Cher Monsieur Ban Ki-Moon, chers Messieurs de l’O.N.U,
C’est par les incontournables réseaux sociaux que je viens de lire le rapport intitulé « World Happiness Report 2013 » commandité par the « Sustainable Development Solutions Network » une initiative de l’Organisation des Nations Unies.
Dans ce rapport, vous avez classé 156 pays selon des indices de bonheur sur la période 2010-2012, 156 pays représentant tous les continents, et j’ai été étonné de voir mon pays, le Togo, en dernière position. Le Togo est donc le pays où les populations sont les plus malheureuses sur ces 156 pays, que dit votre rapport ! Et il paraît, d’ailleurs, que ce n’est pas la première fois que notre pays occupe ce rang, et qu’il a été dernier dans certains de vos rapports précédents sur le bonheur. C’est rassurant pour nous, parce qu’on se dit au moins que vous connaissez notre pays, ce qui n’était pas évident, quand on considère l’indifférence totale dont font preuve votre institution et toutes les autres institutions internationales vis-à-vis de la situation sociopolitique du Togo.
Chers Messieurs, votre ONU était là, quand, aux lendemains des Indépendances des Etats africains, l’un de ses membres les plus influents, la France, avait fait assassiner le père de l’Indépendance du Togo, pour le remplacer par un cultivateur-lutteurtraditionnel-militaire n’ayant participé en rien à la lutte pour la décolonisation du Togo, n’ayant aucune notion, alors aucune, de gouvernance. L’ONU était là, quand Eyadema, puisqu’il faut l’appeler par son nom, comme la peste de La Fontaine, a anéanti tous les espoirs de développement du Togo naissant, fondant, pendant 38 ans, son règne sur des mises en scène cocasses, la torture, le meurtre, le mensonge, la corruption, la prévarication… L’ONU, la vôtre, était là, en 2005, quand à sa mort, l’armée togolaise etles institutions internationales africaines avaient intronisé, dans le sang de centaines de Togolais révoltés, son fils Faure Gnassingbé – que vous connaissez très bien, puisque que vous l’invitez fréquemment à vos sommets. Et jamais, votre ONU n’a pensé à sauver le Togo suivant ses missions – ses missions sur papier bien sûr.
Messieurs, il paraît, et on le voit très bien, que l’ ONU, votre ONU n’intervient que dans de vrais pays, c’est-à-dire des pays qui sont très riches en ressources minières, le pétrole en tête. Et notre pays, le Togo, n’a pas de pétrole. Ah, ouais, il y avait, entretemps, eu ce buzz selon lequel on avait découvert du pétrole sur notre côte. Ce fut la débandade dans le pays. La rumeur avait rapporté que le président Eyadema avait nommé un de ses neveux ministre du Pétrole, en attendant l’exploitation, et ce dernier avait demandé une avance sur salaire, avait envoyé ses six enfants étudier en Occident, s’était construit trois villas à Lomé, et s’apprêtait à prendre une quatrième femme avant que des experts occidentaux ne viennent affirmer que le pétrole que renfermait notre sous-sol n’était même pas suffisant pour alimenter un lampion à la veillée funèbre d’un nourrisson au village. Notre pays n’a donc pas de pétrole, pas suffisamment pour vous intéresser. Pas même du cacao comme la Côte d’Ivoire, ou de l’or comme le Mali, ou de l’uranium comme le Niger. Voilà pourquoi, devant l’ONU, on ne pèserait pas lourd, comme
Mais, Messieurs, chers Messieurs de l’ONU, comme le dit ce proverbe togolais : « même dans un fleuve aux eaux troubles, les petits caïmans arrivent à s’amuser ». Les Togolais, fatigués de vous appeler au secours, ayant compris qu’ils n’intéressent ni votre institution ni les autres institutions internationales censées pourtant les protéger, ayant compris qu’ils ne peuvent faire leur bonheur qu’avec la désastreuse situation dans laquelle ils sont abandonnés depuis presque 50 ans maintenant et qu’ils ont tout tenté pour éradiquer sans succès, ont fini par créer leurs propres indices de bonheur, différents des indices avec lesquels vous faites vos classements.
Quand dans tous les pays limitrophes les étudiants perçoivent autour de deux cents mille francs CFA chaque année comme bourses, l’étudiant togolais se contente de quatre-vingts mille francs « d’aides », et sa plus grande prière est que les autorités aient l’ineffable magnanimité de les lui payer à temps. Et chaque fois qu’il perçoit une tranche de vingt mille, après trois mois, il est aux anges. Le jeune diplômé togolais a fini par voir un salaire de cent mille francs CFA par mois comme une aubaine, et il est heureux, quand il arrive, après cinq ans de chômage – un délai raisonnable – à décrocher, par le plus improbable des hasards, un travail qui lui rapporte soixante mille par mois, parce qu’il se sent plus chanceux que ses dizaines de collègues diplômés qui finissent conducteurs de taxi-moto. Manger au moins une ou deux fois par jour, arriver à accoucher et sortir vivant d’un hôpital public, avoir un toit, gagner un procès face à un Libanais, ne pas mourir avant 50 ans… tous ces faits banals, triviaux sous d’autres cieux, sont devenus des sources de bonheur pour les Togolais.
Il vous suffit, Messieurs de l’ONU, d’aller dans des temples togolais, suivre les témoignages et actions de grâce, pour comprendre comment les Togolais ont relativisé la notion de bonheur, et ont appris à être heureux dans leur déchéance cinquantenaire : « Nous avons construit notre propre maison et nous nous y installons dès la semaine prochaine, nous sommes heureux, ma famille et moi, et nous remercions Dieu, Alléluuuuiiiiiaaaa », « Mon mari, qui n’a que trente-six ans, vient d’acheter une moto pour faire taxi-moto pour son propre compte, Gloire à Dieu, je suis si heureuse », « J’ai ma maîtrise depuis quatre ans seulement, mais je viens d’avoir du travail comme comptable dans une micro-finance, j’y crois à peine, je suis mort de joie, Dieu soit loué » « Le policier qui faisait la cour à ma fille et qui menaçait de l’enfermer si elle n’accepte pas ses avances vient d’être muté dans une autre ville, ma fille est sauvée, Praise the Lord ! » « Le gendarme qui a acheté cent mille francs de sodabi chez ma femme depuis deux ans a finalement décidé de la payer, mon âme loue le Seigneur,
Amen ! », « J’ai gagné à la loterie-visa, Dieu est grand ! »…
Oui, chers Messieurs, même si, à vos yeux, ces gens qui témoignent ne sont pas heureux, parce que ne répondant pas à vos beaux indices onusiens, ils le sont dans leur monde.
Ils se créent, avec leurs propres moyens de laissés-pour-compte, leur bonheur. Votre institution nous classe chaque année comme les plus malheureux au monde, mais pouvezvous nous dire ce qu’elle fait, cette institution ronflante et budgétivore qui installe des dictatures partout au gré de ses intérêts, pouvez-vous nous dire ce que fait l’ONU pour nous rendre heureux au Togo ? Méditez cette question, et répondez y quand vous nous classerez encore derniers dans votre prochain rapport.