Il n’est pas au bout de sa peine, de son chemin de croix qui devient un peu trop long, il n’a plus rien à perdre : le respect, la peur et la
crainte ont laissé place à la détermination, à l’audace et au sacrifice.
Pascal BODJONA est sorti hier, mieux a fait une sortie hier, non sans
échos. L’homme de Kouméa a fait de grands déballages sur son affaire, à
lui infligée pour le neutraliser : complicité d’escroquerie. Les
journalistes attendaient plus que le dossier juridique, mieux les
contorsions juridiques démontrées par ses avocats. Le débat a plutôt
tourné autour de la politique, son métier. Positionnement politique,
intentions et ambitions, réformes politiques, responsabilité des
acteurs, Pascal n’est pas allé du revers de la main. Gros risque sans
doute, responsabilité intégrale assumée et à assumer. Ça passe ou ça
casse. Les lendemains diront…Dossier
« Une fois tombé entre les mains de la police et de la justice
togolaises, las d’être injustement détenu et traité, j’aurais dû
accepter de dénoncer Pascal Bodjona. C’est ce que je n’ai pas tardé à
comprendre. Ce dernier passait pour avoir été le meilleur ami du
Président. Il en avait fait son ministre d’Etat. Jusqu’au jour où,
Bodjona est tombé en disgrâce. Il lui fallait le déconsidérer et
l’humilier publiquement pour justifier sa volte-face. C’est pourquoi
l’entourage du Président togolais attendait de moi que je fasse passer
Bodjona pour complice de l’escroquerie dont se plaignait Abbas
Youssef. » Extrait du livre « Le Mouton noir » de Loïk-Le
Floch-Prigent à la page 41. Ces vérités scandaleuses contenues avec tant
d’autres dans le bouquin du français ont été confirmées hier lors de la
conférence de presse de Pascal Bodjona.
Allure imposante et sereine, démarche rassurée, déclarations
éloquentes frappées d’une bonne dose de colère intermittente, Pascal
Bodjona était entouré de ses conseils, les avocats Dovi Ahlonko, Zeus
Ajavon, Abi Tchessa, EulogeTalboussouma. Ils faisaient face à plus de
250 journalistes mobilisés pour écouter l’ancien Ministre togolais, tout
puissant de l’administration territoriale et de la décentralisation,
chargé des collectivités locales et porte-parole du Gouvernement.
L’homme, avant de revenir se mettre au service de Faure Gnassingbé
officiait aux Etats Unis en qualité d’ambassadeur. La mort de Gnassingbé
Eyadéma et la succession de père en fils en 2005 ont vu Pascal Bodjona
dans un rôle de faiseur de roi. Le roi est roi aujourd’hui, mais lui,
est traîné dans la boue, réduit à la risée de ses détracteurs dans une
affaire qui promet encore des rebondissements. L’homme ne baisse pas les
bras et engage une véritable offensive.
Le feuilleton sans fin
C’est en mars 2011 que ça sentait le fauve. Une affaire d’escroquerie
mettait en scène un homme d’affaires togolais qui venait d’être arrêté
par la tristement célèbre Agence Nationale des Renseignements (ANR.)
L’homme, détenu dans cette agence était torturé pour déclarer que le
ministre à l’époque, encore en fonction était impliqué dans l’affaire.
Il s’agissait donc d’une plainte d’un émirati du nom d’Abbas Youssef qui
accusait le togolais d’avoir organisé, avec la complicité de Loïk
Le-Floch-Prigent, une escroquerie pour lui soutirer la somme de 48
millions de dollars, après lui avoir fait miroiter une fortune
appartenant à feu Robert Guéi, ancien président de la Côte d’ivoire.
C’est donc dans la foulée de la procédure judiciaire engagée que
l’étau du complot a commencé à se resserrer contre le ministre, très
proche collaborateur de Faure Gnassingbé.
De fil en aiguille, et comme dans un conte de fées, le ministre sera arrêté le 1er septembre 2012 pour passer sept mois dans les cellules de la gendarmerie.
La sortie d’aujourd’hui, est la première depuis sa sortie de
« prison », émaillée d’incessantes démarches judiciaires. Lui-même, les
avocats, des personnalités politiques, des parents et amis ont compris
que le dossier se résumait finalement à Pascal Bodjona. Les principaux
acteurs et principaux accusés sont en liberté totale, à l’étranger et
lui, avec la qualité de complice continue à subir les affres d’une
procédure judiciaire dénoncée par les avocats.
Les dérives tel que qualifiées par les avocats.
L’audition, l’accusation, l’arrestation, la détention et la
poursuite de la procédure judiciaire contre pascal Bodjona, d’après Me
Dovi Ahlonko ne respectent en aucun cas la loi. Parce que, les personnes
qui l’ont interrogé ne sont pas compétentes, les faits qui lui sont
reprochés n’ont pas de fondement, l’inculpation qui lui a été infligée
est injuste et l’annulation de la procédure ne devrait plus donner
droit à une quelconque poursuite.
La plaidoirie de Me Ahlonko était de haut niveau juridique et mettait
tout observateur dans une situation d’étonnement face à la situation.
Plusieurs contradictions ont été soulevées par les avocats : le 18
mars 2011, Pascal Bodjona, ministre de son état a été entendu par la
gendarmerie en tant que témoin. Première aberration juridique. L’article
422 du Code de Procédure Pénale dispose que «les membres du
gouvernement ne peuvent témoigner qu’après autorisation écrite donnée
par le Président de la République. La demande est transmise avec le
dossier par l’intermédiaire du Garde des sceaux, Ministre de la justice.
Leur déposition est dans ce cas reçue par écrit dans la demeure ou le
cabinet du témoin par le président de la cour d’appel. »
Le 10 août 2012, Pascal Bodjona sera entendu comme témoin sous
serment conformément aux dispositions de l’article 84 du code de
procédure pénale. C’est dans la foulée de nouvelle audition qu’une
nouvelle plainte venant du même plaignant, pour les mêmes faits est
intervenue. C’est la goutte d’eau qui aura débordé le vase, les avocats
ayant qualifié la procédure de la plus monstrueuse.
Entre temps, comme pour revenir à la raison, la chambre d’accusationa
tenté de rectifier le tir en annulant « purement et simplement la
procédure initiée contre l’inculpé devant le premier cabinet
d’instruction. Courte durée sera cette joie pour Pascal Bodjona, ses
conseils et sa famille. Le dossier sera relancé sur la base de la
première plainte, celle de mars 2011, déjà éteinte.
Sans rentrer dans les détails académiques de droits, le code de
procédure pénale n’autorisait ni la gendarmerie, ni le juge
d’instruction à auditionner Pascal Bodjona.
Ensuite, l’interpellation, la détention et le maintien sous contrôle
judiciaire dont fait l’objet l’ancien ministre sont totalement illégaux
et arbitraires. Ce qui amène les avocats à tirer les conclusions d’un
acharnement qui a ses motifs ailleurs, sans doute dans la politique.
La sortie ce jour de l’ancien Directeur de cabinet de Faure
Gnassingbé a permis à l’opinion de se faire une idée de l’injustice dont
est victime l’ancien ministre et oblige le collège d’avocats à passer à
la vitesse supérieure.
Aujourd’hui, à la limite de la justice nationale Pascal Bodjona a
instruit ses avocats à prendre les dispositions pour que la cour de
justice de la CEDEAO soit saisie aux fins de le faire établir ses
droits. Une décision qui n’est pas sans effets sur la justice togolaise,
l’image du Togo et ses institutions.
L’acharnement politique
C’est sans doute la première fois que le ministre Bodjona se prononce
avec invectives sur la situation politique. C’est sans doute la
première fois qu’il relève des manquements dans les décisions et les
orientations politiques du gouvernement dont il était le métronome.
C’est donc la première fois que l’homme entre dans tous ses états et
veut s’exprimer en toute liberté.
Hier encore, quand il était dans les couloirs du Chef de l’Etat, il
se donnait plutôt la peine d’expliquer au peuple la position du
gouvernement ou du chef de l’Etat dans une bonne foi à servir son
patron, moins bavard, moins communicatif.
Les avocats ont clairement expliqué la situation. Il s’agit, selon Me
Dovi Ahlonko, une volonté manifeste du pouvoir de neutraliser son
client pour des motifs politiques. Pascal Bodjona, à un moment de
l’histoire, était au centre de la résolution de tous les problèmes qui
menaient la vie dure au gouvernement et au chef de l’Etat. Les
manifestions de l’opposition de la communauté estudiantine, la crise
dans l’éducation et les hôpitaux, les problèmes à la Fédération
Togolaise de Football, les tensions politiques qui affectaient la nation
etc.
Tous ces problèmes l’invitaient à être constamment sur tous les
fronts, au point d’indisposer ses détracteurs qui ont eu l’occasion de
faire croire au Président qu’il lui faisait ombrage et avait des
ambitions à s’accaparer de son fauteuil. Ce qui fait l’objet de la
croisade contre Pascal. Sinon, les avocats sont surpris d’un fait. Les
principaux accusés dans l’affaire d’escroquerie ont été favorisés à
quitter le pays et à circuler librement à travers le monde.
Le plaignant, Abass Youssef, qui se trouve être l’acteur clé qui a
déclenché l’affaire ne donne plus signe de vie. Et ce n’est quel
complice qui est constamment harcelé au point de se voir priver de
liberté d’aller, de venir et de faire valoir ses droits.
Les incursions politiques
Au-delà des démonstrations juridiques faites par les avocats
de la défense, la conférence de presse, hier de Pascal Bodjona a été une
sortie hautement politique. Beaucoup s’y attendaient sans doute.
L’ancien ministre n’a pas raté cette occasion pour exprimer sans langue
de bois ce qu’il a sur le cœur : « nul ne pourra m’empêcher de faire de
la politique. J’ai 48 ans, je n’ai pas encore les cheveux blancs, de
même qu’on ne peut empêcher un menuisier de faire son travail de
menuiserie, on ne peut pas m’empêcher d’exister politiquement… », a-t-il
lancé aux journalistes avant d’orienter les invités à la conférence de
presse sur sa position politique. Il a le choix, selon lui, de rejoindre
un parti politique, ou d’en créer un pour mieux exprimer son idéologie
désormais tournée vers la gauche, ou bien il se maintient dans le pire
des cas dans un retour stoïque vers le bercail, le pouvoir.
Dans l’un ou l’autre des cas, le positionnement politique de Pascal
Bodjona ne sera pas sans conséquence sur la situation politique du Togo.
C’est le seul homme politique issu du pouvoir qui fait l’unanimité dans
plusieurs milieux : Les populations du fief du pouvoir, les Kabyè, les
catégories socioprofessionnelles, la classe politique, et même la
presse ; en témoigne le nombre élevé des journalistes qui ont répondu
encore une fois à son appel à la conférence de presse.
Concernant les réformes telles qu’engagées par le gouvernement,
l’ancien secrétaire aux affaires politiques du parti au pouvoir a
démontré par les articles de la constitution qu’il ne revient pas au
gouvernement de prendre l’initiative de la modification de la
constitution. C’est le Chef de l’Etat avec le 1/5 de députés au
parlement qui peuvent prendre l’initiative. Ce qui revient donc à dire
que la façon dont les réformes sont conduites après le dialogue terminé
dans la confusion ne respecte pas les textes.
Dans ses déclarations ovationnées par les personnes présentes dans la
salle de spectacle qui a servi de cadre à la conférence de presse,
Pascal Bodjona a promis revenir pour situer l’opinion sur sa position
politique.
Le pouvoir devrait naturellement nourrir des craintes et des
inquiétudes face aux incursions politiques menées actuellement par
l’ancien collaborateur de Faure Gnassingbé. Elles auront, à la veille de
l’élection présidentielle, son effet sur la situation politique du
Togo en général et sur le parti UNIR au pouvoir en particulier.
Loïk-le-Floch-Prigent a connu tout comme Pascal des moments de gloire
politique dans son pays avant d’être, selon son livre traîné dans la
boue, criblé de dettes. Mais sa poigne, son influence à mener les
réformes au sein de grandes sociétés françaises liées à l’Afrique lui
ont valu le pseudonyme de «Mouton noir » inventé par l’ancien Président
français, François Mitterrand titre de son livre qui fait de grands
déballages sur cette affaire d’escroquerie. Un pseudo qui nous inspire
qui nous fait attribuer le titre de «Mouton blanc » à Pascal Bodjona,
étant lui aussi resté dans l’ombre de la République togolaise pendant
déjà 24 ans.
Seulement, le mouton blanc est le symbole religieux du sacrifice, et
de la purification. Pour l’heure, Pascal Bodjona s’est-t-il déjà
sacrifié ou va-t-il être sacrifié pour sauver un peuple meurtri. La
question reste posée et l’on attend jusqu’où ira cette détermination que
le fils de Kouméa vient s’exprimer à travers sa conférence de presse.
Carlos KETOHOU
Independance Express