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Échasses et chiffons
Publié le lundi 30 juin 2014  |  icilome


© Autre presse par DR
Faure Gnassingbé a reçevant son principal opposant Jean Pierre Fabre


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Le problème est là : on a eu pendant près d’un demi-siècle, un homme providentiel, un général ( pour un génie se prenait-il sûrement), guide bien-aimé, incontesté et incontestable! Et qui est mort. Les généraux d’Alexandre le Grand se sont partagé son empire à sa mort, chacun voulant être à son tour un grand, le plus grand, même si c’est dans un coin, tout petit coin, général, bien-aimé, incontesté et incontestable.

Surtout! À défaut d’avoir un empire, transformons notre petit coin en empire. C’est dans la tête que cela se passe. Soyons maître de notre petit coin, pardon, de notre empire. Soyons quelque chose de National, même dans un petit coin. Je vous ai dit que c’est dans la tête que cela se passe. Donc, dans la tête, dans notre tête, nous sommes le premier, le meilleur…Dans On joue la comédie1(là au moins les comédiens sont conscients de jouer ), l’acteur qui allait incarner Chaka, distribuant les rôles aux autres dit : „ Moi-même, je jouerai Chaka, le Libérateur, le Rédempteur, le Sauveur, le Messie…“. Combien de Libérateurs, Sauveurs, Messies…avons-nous au Togo, auxquels il faut ajouter prophètes, pasteurs, hounons, évêques ? Et quand on fait remarquer à Chaka que ce rôle ne lui revient pas parce qu’il est trop petit ( allez savoir de quel genre de petitesse il s’agit ), il répond :“ Si vous voulez, je monterai sur des échasses pour paraître plus grand et je me ferai une poitrine plus large avec des chiffons“. Échasses et chiffons !

Ce n’est pas plus compliqué que ça? On en vient même à se demander si l’autre, celui qui est mort et dont les vivants se disputent aujourd’hui la place ou revendiquent un morceau de peau, de peau morte, n’avait pas lui-même usé des mêmes recettes. Et on en cherche, dans le discours, dans l’habit, dans les postures, dans les agitations, les foules qui vous suivent, vous ovationnent, vous gonflent de leurs motions, communiqués, déclarations de félicitations, d’encouragement, de soutien…



Comme l’autre ! Et on accumule comme des grades ( l’autre pouvait en avoir autant qu'il voulait, les plus élevés possibles, et pas seulement dans le domaine militaire qui était le sien, de vrais ou ceux de pacotilles), échasses sur échasses, chiffons sur chiffons. Et on se persuade, aux yeux des spectateurs ( Chaka ne dit pas autre chose au théâtre , « on se trompe les uns les autres » dit-il ) que l’on est réellement devenu grand, tout en restant toujours un nain, le nain qu’on a toujours été. D’ailleurs exactement comme aurait dit l’autre. Cependant, nous devons l'avouer, il n'est pas donné à n'importe qui de pratiquer avec aisance l'art des échasses aguélé ou tchébé. L'amateurisme dans ce domaine peut être mortellement dangereux. Je sais, surtout grâce à mes anciennes fonctions qu'il faut apprendre à en devenir spécialiste dès son plus bas âge, qu'il faut être doué pour monter sur des échasses, se les attacher, se déplacer sur des échasses, se faufiler dans une foule sur des échasses, danser avec des échasses, sauter sur des échasses, faire des bonds sur tous les terrains possibles, se livrer à toutes les gymnastiques possibles avec les échasses et c'est peut-être tous ces talents que l'on reconnaît aux échassiers quand on les admire, les ovationne, quand on les applaudit. Jouir, du haut des échasses, du bonheur que procure la domination que l'on exerce sur les autres.« C'est un calcul très difficile...Tu n'y arriveras pas. Il faut savoir chercher, choisir, inventer au besoin le lieu, le moment, l'histoire, le mot exact...Ce travail demande beaucoup de subtilité, d'énergie, de vigilance, de finesse (science politique?) que tu ne possèdes pas encore, mon petit», dirait un autre de mes personnages, Podogan à son gendre Agbo-Kpanzo qui lui dispute le poste de Premier Conseiller, pardon, le titre de Meilleur Échassier.

2 Mais la différence avec les échassiers politiques? La tendance qu'ont ces derniers à prendre pour un don naturel et même le fait de la prédestination ce qui n'est qu'artifice? Ou bien la conscience que l'artiste a, même quand les foules l'ovationnent, de ne pas être un génie, un dieu, un homme providentiel, un messie, un rédempteur... et qu'une fois sa prestation terminée, il reprend ses dimensions humaines.

Dans la troupe que je dirigeais, les échassiers réduits aux modestes dimensions humaines, dimensions de simples mortels, mangent, boivent, se soûlent, jouent...avec les autres. Quant aux chiffons, ne risquent-ils pas d'étouffer celui qui en fourre trop sous sa chemise, hanté par la peur de ne pas pouvoir soutenir la concurrence avec ses rivaux qui lui paraissent plus costauds? Chiffons! Chiffons! Chiffons! réclame-t-il sans cesse, même à bout de souffle.



Chiffons! Chiffons! Chiffons! N'importe quels chiffons, pourvu que cela gonfle bien le torse! « Voilà, dites-vous, comme toujours, celui-là, je veux dire ce petit bonhomme qui écrit, se moque des gens; il rigole alors que c’est sérieux. Et il ne propose aucune solution. » Ah, bon, solutions ? Je croyais que vous en aviez, vous libérateurs, prophètes, messies, rédempteurs, hounons, évêques… ! Mais, de quel droit oserais-je proposer de solution à des gens haut montés sur des échasses, ayant les poitrines bien larges, des gens bien costauds, comme l’autre ? À des gens qui la connaissent déjà, cette solution ? Ai-je besoin de dire, débarrassez-vous des échasses et des chiffons, pour ne pas être exactement comme l’autre, tout en prétendant faire disparaître ses traces ? C'est dans la tête, vous ai-je dit, même dans nos têtes à nous, nous qui proclamons haut et fort notre volonté d'effacer définitivement les traces de l'autre.

Sénouvo Agbota ZINSOU


[1] Saz On joue la comédie, éd. RFI 1975, Haho 1980, Prologue.
[2] Saz La Tortue qui chante, éd. Hatier 2003, tableau VII

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