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Rejet de la loi portant réformes par le parlement : « les dés ont été largement pipés à l’avance », BATIR-LE-TOGO
Publié le mardi 8 juillet 2014  |  Full News Infos


© Autre presse
Jean Yaovi Degli, Président du bureau provisoire de l`association "BATIR LE TOGO"


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Togo - Le 30 juin 2014, lors de la dernière séance de la 1ère session ordinaire de l’année 2014, le parlement Togolais a rejeté le projet de loi portant réformes constitutionnelles et institutionnelles par 63 voix contre et 27 pour. Le texte proposait la limitation du mandat présidentiel à deux, un scrutin présidentiel à deux tours et la recomposition de la cour constitutionnelle. Ce vote suscite des critiques, l’opposition et une partie de la société civile y voient un vote guidé par le pouvoir. Dans cet entretien, « BATIR LE TOGO », par la voix de son président, Docteur Jean Yaovi Dégli nous livre sa lecture de la situation sociopolitique du pays.


Full-news.info : Bonjour Docteur Jean Yaovi Dégli, vous êtes président de BATIR LE TOGO, votre organisation suit de près le débat sociopolitique au Togo. Et ce vote intervenu lundi 30 juin 2014 au parlement, rejetant les réformes constitutionnelles et institutionnelles proposées par le gouvernement, comment comprenez-vous cette décision du parlement, dont la majorité rejette une loi de son gouvernement, une situation plutôt rare au Togo ?

Dr. Jean Yaovi Dégli : Si nous n’étions pas en train de traiter une question très sérieuse en ce sens qu’elle conditionne l’avenir de notre pays, je vous dirai que c’est une grosse blague. Pour moi, il s’agit d’une situation qui démontre encore une fois combien le pouvoir a des difficultés à respecter sa propre parole et à faire mettre en œuvre les réformes constitutionnelles et institutionnelles décidées dans le cadre de l’Accord Politique Global, approuvées de façon consensuelle dans le cadre du CPDC rénové et réclamé par la CVJR dans son rapport.
Mais il faut avouer que dès le départ, la chose était prévisible et le ver était bien dans le fruit en ce qui concerne ce projet de loi puisque si j’ai bien compris, contrairement à la lettre de la Constitution, le projet de loi a plutôt été un texte émanant du Premier Ministre qui l’a signé au lieu du Président de la République.

FN : Le parlement qui dit NON à une loi du gouvernement portant sur des réformes tant souhaitées, ça passe mal pour l’opposition. Elle parle même d’un « vote guidé ». Y-a-t-il une raison de voir les choses de cette manière ?

Dr. Jean Yaovi Dégli : Même s’il est vrai que l’opposition togolaise a beaucoup pêché en ce qui concerne l’adoption de ces réformes qui auraient pu et même dû être engagée dès 2007, il ne demeure pas moins exact que ce vote a entièrement les caractéristiques d’un « vote guidé ». Combien de fois avez-vous vu le parlement togolais, « caisse de résonnance » de l’Exécutif par excellence, rejeter un projet de loi du gouvernement depuis que le régime RPT est au pouvoir ? Zéro fois. Si donc la proposition d’un texte qui a fait l’objet de consensus préalable au CPDC rénové et devant des ambassadeurs occidentaux est rejetée par ce parlement, cela veut dire clairement que les dés ont été largement pipés à l’avance.
A mon humble avis, ce n’est pas pour rien que le Chef de l’Etat n’a pas lui-même signé ce projet de loi. A moins qu’il n’y ait d’autres explications cachées.

FN : Dès le début du débat sur cette question de réforme, le président de la République a indiqué que le parlement devra jouer son rôle, même en cas de dialogue. N’est-ce pas ce qui a été fait ?

Dr. Jean Yaovi Dégli : Dans tous les pays en crise (comme ce fut le cas de notre pays en 2005), lorsque dans le cadre du processus de sortie de crise, les parties prenantes arrivent à avoir un consensus sur un texte ou signent un accord, celui-ci est soumis au Parlement (s’il en existe un) qui l’adopte comme tel. Puisque tous les acteurs politiques aussi bien de l’opposition que du parti au pouvoir se sont mis d’accord, le parlement n’a plus à pinailler. Il entérine le texte qui a fait l’objet de consensus ou d’accord entre les parties prenantes au dialogue ou à l’accord. Nous sommes dans ce cas de figure puisque le pouvoir et l’opposition ont signé l’APG en 2006. Ensuite, le pouvoir et l’opposition ont eu un accord dans le cadre du CPDC rénové même si ce n’est pas toute l’opposition qui a participé à ce processus. Il est donc anormal que le parlement dominé par le même pouvoir qui a appelé les partis à se réunir avec lui dans le cadre de ce CPDC rénové rejette le texte qui se base sur le consensus trouvé dans ledit cadre.
Pour moi, si le Président de la République dit que le parlement doit avoir son rôle à jouer (pas d’aller faire le dialogue au parlement) cela voudrait dire tout simplement que ce sont les députés qui doivent voter le projet de réformes. Ce qui est tout à fait normal. Cela ne veut nullement dire que les députés vont rejeter les accords politiques qui concourent à l’apaisement et à la Réconciliation Nationale que le Chef de l’Etat lui-même semble appeler de tous ses vœux.
On se serait attendu à ce que ce soit l’opposition et plus particulièrement sa frange qui n’a pas participé à ce processus du CPDC rénové qui rejette ce texte au niveau de l’Assemblée Nationale. Pas de voir les députés du pouvoir qui avait lui-même initié le processus du CPDC rénové et déposé ensuite un texte sur cette base le faire.

FN : Pour certains observateurs, ce vote est une réponse à l’« intransigeance » de l’opposition togolaise qui veut tout avoir ici et maintenant. Référence à la rétroactivité de la loi sur la limitation du mandat présidentiel exigée par une bonne partie de l’opposition, notamment parlementaire. Que pensez-vous de cette analyse ?

Dr. Jean Yaovi Dégli : Personnellement je dirai que cette vue n’est pas conforme à la réalité et que cette analyse est spécieuse. En effet, le texte en question ne dit pas que la limitation de mandat proposée sera rétroactive et empêcherait M. Faure Gnassingbé de se présenter aux prochaines élections présidentielles. Je ne vois donc pas en quoi ce vote constitue une réponse aux « élucubrations » de l’opposition en ce qui concerne la prétendue rétroactivité de la limitation de mandats. Tout le monde sait que l’opposition n’a pas les moyens d’imposer la rétroactivité de cette disposition et que le pouvoir n’acceptera jamais cette rétroactivité. Cet argument trompe l’œil est une justification ou une explication qui ne tient pas la route.

FN : A votre avis, ne fait-on pas trop du « surplace » en politique au Togo ?

Dr. Jean Yaovi Dégli : Oh que si. On fait beaucoup de surplace dans la politique de notre pays alors qu’il y a beaucoup de choses importantes dont il faudra s’occuper.

FN : Le projet de loi rejeté, les députés sont en vacances. Le pays organise dans quelques mois une élection présidentielle. Cette décision du parlement peut-elle avoir un impact sur le climat social souvent tendu à l’approche de pareille échéance ? A quoi s’attendre dans les prochains jours sur le plan sociopolitique ?

Dr. Jean Yaovi Dégli : Bien sûr que oui, le climat sociopolitique sera tendu. Le seul bémol est que l’opposition togolaise s’est tellement affaiblie et ridiculisée que cette tension perspective de tension ne semble guère inquiéter le pouvoir.

FN : BATIR LE TOGO est crée pour apporter sa contribution à la l’édifice d’un Togo démocratique et prospère. Quelle recommandation peut-elle faire aux politiques sur ce sujet précis de réformes qui, visiblement, va alimenter les prochains débats et peut être faire monter la tension sociale dans le pays ?

Dr. Jean Yaovi Dégli : Premièrement, le Chef de l’Etat doit respecter la parole donnée et savoir que si l’on peut ruser avec ses adversaires politiques, on ne ruse et on ne doit jamais ruser avec son peuple.
Il a signé l’APG en août 2006 et a promis le mettre en application en faisant les réformes nécessaires. Il a toujours promis qu’il allait faire mettre les réformes en œuvre dès que les élections législatives auront lieu et qu’une nouvelle Assemblée sera en place.
Il a l’obligation de respecter la parole donnée à son peuple même si ce peuple ne semble généralement pas avoir beaucoup de respect de la part de ses hommes politiques. S’il ne tient pas la parole donnée à son peuple, ce sera une façon de ne pas respecter celui-ci et même de le mépriser.
Je veux croire que le Chef de l’Etat ne fera pas cela. En outre, le Président Faure Gnassingbé a mis en place une Commission Vérité Justice et Réconciliation qui lui a demandé dans ses recommandations de procéder à ces réformes constitutionnelles et institutionnelles.
Il s’agit là d’une des mesures phares que la CVJR considère comme nécessaires à la Réconciliation Nationale. Dans le Livre Blanc que le Chef de l’Etat vient de faire sortir suite aux recommandations de la CVJR, il est indiqué que « le gouvernement togolais exprime sa ferme conviction que le processus enclenché n’a de réelle chance d’atteindre l’objectif d’apaisement, de réconciliation nationale et de paix que s’il s’accompagne de réformes institutionnelles… » « A ce titre, le gouvernement accepte les recommandations relatives :… Aux réformes constitutionnelles, institutionnelles et sécuritaires... » Ces propos sonneront faux dans la bouche du Chef de l’Etat et de son gouvernement si rien n’est fait avec honnêteté et sincérité pour les réformes constitutionnelles et institutionnelles.
Pour ce qui concerne l’opposition, elle doit comprendre qu’il faut faire la politique de ses moyens. Elle n’aura jamais la rétroactivité de la limitation de mandat. Qu’elle cesse de se berner d’illusions pour discuter avec le gouvernement et faire adopter les réformes qui peuvent l’être aujourd’hui, plus particulièrement la limitation de mandat. Quand vous avez soif et qu’on vous donne un verre d’eau à moitié plein, buvez-le avant de demander qu’on vous donne plus. Si vous refusez et exigez que le verre soit d’abord plein, vous risquez de mourir de soif.
Aux deux parties, je demande de mettre de côté les intérêts égoïstes et partisans et de faire prévaloir l’intérêt du Peuple togolais à travers cette affaire de réformes constitutionnelles et institutionnelles.

FN : Pour finir, 2015, année électorale au Togo, comment l’envisagez-vous sur le plan sociopolitique ?

Dr. Jean Yaovi Dégli : Une année difficile si nous ne faisons pas tout pour organiser les élections de façon consensuelle et dans un climat de paix et de sérénité et si nous n’essayons pas de mettre en place les réformes dont nous venons de parler. Je veux parler de ces réformes qui pourront être mises en place dès maintenant comme la limitation de mandats. Espérons que l’horizon sera meilleur et ne s’assombrira point une fois encore pour notre pays.

FN : Monsieur le président, merci !

Dr. Jean Yaovi Dégli : Merci et Que l’Eternel bénisse le Togo.
Propos recueillis par Carlos TOBIAS
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