Nous nous excusons de revenir, encore une fois, sur le discours-programme que le Premier Ministre Ahoomey-Zunu a présenté mercredi à l’Assemblée Nationale et qui lui a valu en prime, l’onction des députés UNIR-UFC.
Nous y revenons parce que ce programme revêt un caractère déterminant dans la conduite des affaires de l’Etat et partant, dans le devenir de notre pays et de son peuple.
Lorsque l’on lit de près cette déclaration de politique générale, un constat saute à l’œil nu.
Il s’agit bien d’un listing de bonnes intentions, de veux pieux qui reposent fondamentalement sur un mécanisme de suppositions divinatoires qui n’a rien à voir avec une démarche scientifique et pragmatique, qui elle, exige un minimum de cohérence et de planning des actions à mener en fonction du temps et des moyens dont l’on dispose.
Le discours-programme du Premier Ministre illustre parfaitement le caractère aléatoire, hasardeux ou même magique qui sous-tend fondamentalement le style de gouvernance du régime actuel.
Non seulement Ahoomey-Zunu a affirmé gratuitement qu’il entendait poursuivre les actions et différents programmes initiés par le passé sans pour autant situer leur niveau actuel d’application et d’impact réel sur le terrain, mais il a aussi promis, tout aussi gratuitement, d’autres actions sans pour autant dire par quel mécanisme il entend mobiliser les moyens humains, matériels et financiers pour les mettre en œuvre. C’est extraordinaire et typiquement togolais !
Dans le domaine de la santé par exemple, il y a, depuis 2009, un plan national de développement sanitaire sur la période 2009-2013 et qui prévoit la mobilisation de près de 319 milliards de fcfa pour assurer de meilleures performances à ce secteur.
Ahoomey-Zunu n’a pas parlé de ce plan et du niveau de mobilisation de ressources dans le cadre de ce plan. Il s’est juste contenté d’évoquer des programmes disparates dont la mise en œuvre a d’ailleurs créé plus de problèmes dans le secteur qu’elle n’en a résolu.
Dans le secteur agricole, le PNIASA qui est d’ailleurs décliné en trois sous-projets, prévoit un investissement global de l’ordre de 600 à 700 milliards sur une période de 3 à 5 ans.
Au lancement de ce programme en 2011 à Notsè, le niveau d’investissement était juste de l’ordre de 15%. Où en est-on avec la mobilisation des ressources pour le compte de ce programme surtout qu’au vu et au su de tous, les partenaires ont décrié quelques mois seulement après le lancement de ce programme, des malversations graves dans la gestion du peu de ressources déjà mobilisées ?
Qu’a-t-on fait de concret pour ramener la confiance des partenaires ?
Dans le domaine de l’eau et de l’assainissement, il y a eu en 2011, une table-ronde des bailleurs qui a permis d’obtenir des intentions d’engagements à coup de milliards.
A-t-on réussi à mobiliser ses ressources ? Si oui, jusqu’à quelle hauteur et pour quelle fin ? Un code de l’eau aussi été adopté, est-il réellement appliqué ? Si oui par qui et comment ? Si non pourquoi ?
En ce qui concerne le programme de modernisation de l’administration publique, il a été initié entre autres, le programme ATENS (Avançons Tous Ensemble) où de façon périodique, l’on débarque à coup de millions au Togo, un ancien Premier Ministre ou ministre influent d’un pays occidental pour entretenir des milliers de cadres de l’administration togolaise massés dans une salle sur un sujet donné touchant notamment à l’économie, à la croissance ou au développement. Tout cela est bien.
Mais quelle est l’efficacité d’une conférence d’une heure, animée à la hâte par une personnalité si érudite soit-elle, si cette communication orale n’est pas soutenue par une démarche pratique et pragmatique qui pousse les cadres de l’administration publique togolaise à intégrer les pistes esquissées par l’orateur dans l’exercice quotidien de leurs charges ?
Mais alors, quel a été l’impact de ce programme sur les performances de l’administration togolaise depuis qu’il a été lancé ?
Suffit-il juste d’annoncer des projets d’appui à l’administration ou des plans d’emplois des jeunes pour s’assurer un meilleur rendement de cette administration ou des remèdes adéquats pour assurer une bonne prise en charge des jeunes ?
Sur la question des capacités d’endettement de notre pays, le Premier Ministre dit que le Togo a aujourd’hui une capacité d’endettement qui se situe dans l’ordre de 45% contre une norme internationale qui est de 70% et que l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative PPTE a permis de soulager le service de notre dette extérieure. C’est très bien.
Seulement il a omis d’indiquer combien la dette extérieure coûtait mensuellement au Togo et à quel niveau se situe aujourd’hui le gain après l’atteinte du PPTE et surtout à quoi sert concrètement cette différence.
Cet aspect est particulièrement important d’autant plus qu’il permet de comprendre à quelle fin les dettes remises à l’Etat sont utilisées et qu’est-ce qui justifie le tôt actuel de 45% d’endettement alors même que les partenaires bilatéraux et multilatéraux nous ont remis nos dettes sur la base d’un certain nombre de projets qui devraient être financés avec l’argent que le pays était supposé utiliser pour payer la dette.
Ces projets concernent notamment les infrastructures et les secteurs sociaux tels l’éducation, la santé, la promotion de la femme etc.
C’est fondamental que le PM réfléchisse concret !
C’est en réalité en répondant avec précision à ce type de questions que le Premier Ministre pourrait donner la preuve qu’il maîtrise réellement les sujets dont il parle dans sa déclaration de politique générale.
D’ailleurs la recherche des réponses à ces questions devrait aussi l’amener à se rendre compte que le pouvoir dont il est de fait le porte-parole souffre terriblement d’un problème sérieux et épineux de cohérence et de consistance.
Pire, l’on été scandalisé de voir le Premier Ministre aborder de façon lapidaire la question liée à l’exercice du droit et au respect des droits de l’homme au Togo.
Sur ce volet justement voici en substance ce que déclare le PM
« Nous devons toutefois accélérer le rythme des réformes pour nous donner les moyens d’asseoir davantage la culture du respect des droits humains dans notre pays à travers la mise en place d’un cadre juridique et institutionnel adéquat.
Dans cette optique, le parachèvement du processus de réforme de la justice au Togo permettra de réaliser de nouvelles avancées.
Je garde bon espoir que dès l’adoption du projet de nouveau code pénal et du projet de nouveau code de procédure, tous les acteurs du système judiciaire disposeront des outils nécessaires pour faire prévaloir en toute circonstance, les droits humains et le respect de la dignité humaine ». Et il passe à un autre volet.
C’est dommage. Ahoomey-Zunu sait-il au moins que l’accroissement des investissements, l’éclosion du secteur privé et la floraison de l’économie dans un pays passent avant tout par l’instauration d’une santé parfaite dans le domaine de l’exercice des droits et libertés humaines ?
L’expérience a montré de par le monde que la justice est la clé de voûte qui détermine non seulement le niveau d’évolution démocratique d’un pays, mais surtout aussi son niveau de développement économique.
Or de quoi souffre fondamentalement le Togo aujourd’hui ?
De la carence de l’exercice judicieux du droit et de la justice. Les gens se comportent comme s’ils étaient dans une porcherie ou dans une brousse où règnent le désordre et l’anarchie dans l’exercice du droit et des libertés publiques.
Tout se fait sur un coup de tête et selon les humeurs du haut surtout sur des dossiers amplement signalés sans aucune élégance ni subtilité qui indiquerait que l’on est dans une République.
Et c’est donc curieux que le Premier Ministre traite cette question avec un tel niveau de légèreté alors qu’il devrait pouvoir savoir que le problème du secteur judiciaire ne se résume pas seulement en une carence de texte, mais plutôt en un manque cuisant de bonne foi et de liberté des juges aussi bien du parquet que du siège.
Que compte-t-il faire pour remédier à cela ?
Il n’a rien dit la dessus et il s’est juste contenté de « garder bon espoir » que tout ira pour le mieux dès que l’arsenal juridique sera mis en place.
En l’affirmant ainsi, il donne le désagréable sentiment qu’il ne sait pas que l’important n’est pas dans les textes à élaborer mais plutôt dans leur application effective par des magistrats libres et indépendants.
Que peut faire un procureur si son chef hiérarchique l’instruit de tordre le cou à la loi parce qu’il obéît lui aussi à un projet du sommet qui vise à démolir un adversaire politique ?
Au regard de tout ce qui précède, l’on se rend bien compte, que Ahoomey-Zunu était juste allé mercredi à l’Assemblée Nationale pour une formalité d’usage constitutionnelle plutôt qu’à un exercice de démonstration de sa capacité à gérer avec efficience les divers problèmes qui se poseront au Togo et aux togolais.
Si c’était la deuxième option, ce discours-programme serait à reprendre littéralement avec une démarche plus pragmatique, plus réaliste et plus scientifique.