Me Koko Essiamé Dzoka, avocat au barreau de Lomé vient de publier son 1er recueil de poèmes, intitulé « Le silence des barreaux ».
Avocat, écrivain puis poète, Me Dzoka, passionné de l’écriture, exprime à travers ses verres et la puissante de ses strophes, les réalités d’un monde très peu connu du grand public.
Il passe à la tronçonneuse cette justice à double vitesse caractérisée par la loi du plus fort, les souffrances infligées aux justiciables…
Bref, la lenteur dans les procédures, les procédures viciées, la corruption à grande échelle, etc.
C’est ce tableau qu’a peint Me Dzoka qui ne s’est pas arrêté à une simple dénonciation mais, propose une catharsis pour justice juste, équitable pour tous.
Dans l’entretien qui suit, Me Dzoka rompt totalement le silence, creuse l’abcès et ouvre les portes du barreau à tout le monde.
Togoinfos.com : Vous venez de dédicacer un recueil de poèmes intitulé « le silence des barreaux », un titre évocateur en somme. Qu’est-ce qui vous a poussé à donné ce titre à votre livre ?
Koko Dzoka : Nous avons sorti un recueil de poèmes que nous avons intitulé le silence des barreaux. Le parcours de ce recueil qui parle des problèmes de la justice en général, montre au lecteur qu’en réalité le silence des barreaux est le titre également d’un poème.
Par ces poèmes, j’ai voulu dénoncer les souffrances des justiciables et aussi des avocats. Lorsque nous avons des dossiers et des procédures, la lenteur et la corruption.
Le silence des barreaux en réalité parle d’une interpellation de la confrérie des avocats, moi y compris, sur leur silence face à certains événements et situations de la vie sociale pour lesquels j’estime que le barreau, en tant que composante de la nation et de la société civile doit pouvoir réagir. Mais compte tenu du fait que le barreau n’a pas réagi comme ce fut le cas il y a quelques années en arrière dans les mouvements démocratiques et autres. D’où mon appel à ce barreau auquel j’appartiens pour vraiment un sursaut d’orgueil.
En dehors de cela, on y trouve des sujets variés sur lesquels j’ai écrit. J’ai écrit sur Dieu, l’amitié, l’amour, les personnes qui me sont chères notamment des personnes disparues à l’instar de ma mère. Mais c’est compte tenu de la particularité de l’auteur que je suis, avocat et en accord avec l’éditeur, nous avons bien voulu mettre le titre du poème-phare.
Togoinfos.com : Quelle est la relation entre le silence des barreaux et la politique togolaise surtout avec l’avènement de la démocratie depuis 1992 ?
Koko Dzoka : Je ne suis pas forcément politique mais j’estime que le barreau, à un moment donné, en tant que personne, en tant que citoyen doit pouvoir réagir parce que vous n’êtes pas sans savoir que depuis lors le barreau a été présent dans la vie sociopolitique de notre pays. J’estime que si hier le barreau l’a fait, aujourd’hui le barreau peut toujours le faire. C’est vrai qu’il y a beaucoup d’avocats qui sont impliqués dans la vie politique et associative, ils font leur travail et leur job de ce côté-là mais nous estimons que le barreau en tant qu’entité doit pouvoir également à un certain moment donner de la vie, pouvoir se lever et interpeler les pouvoirs publics et les institutions par rapport à ce que peux appeler certains écarts et dérives.
Togoinfos.com : Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire ?
Koko Dzoka : Tout simplement, il faut dire que nous sommes dans le cadre de la poésie et comme on l’a appris sur les bancs de l’école, j’ai un penchant assez fort pour la littérature et donc j’ai voulu me remettre à l’eau pour écrire. C’est un plaisir pour moi de me mettre à l’écriture de la poésie.
Togoinfos.com : Comment peut-on alors devenir poète tout en étant avocat ?
Koko Dzoka : En réalité, j’aime toujours dire que les avocats sont des gens qui parlent beaucoup, qui écrivent beaucoup parce que de par notre profession, nous sommes appelés à déposer des conclusions, des écritures, nous introduisons des requêtes. En somme, nous écrivons beaucoup.
Maintenant, quand nous avons des dossiers, nous les plaidons. Par essence, l’avocat a l’écriture et la parole. Les conclusions et les notes de plaidoiries que nous déposons sont en quelque sorte des airs libres que nous écrivons. De là à aller aux vers qui sont bien rimés, c’est un pas ; il suffit d’avoir l’amour de la poésie, s’y connaître dans la versification et le tour est joué. J’insiste sur le fait qu’il faut avoir l’amour de la littérature et de la poésie pour franchir le cap.
Koko Dzoka : Evidemment, j’ai beaucoup écrit mais le silence des barreaux est le premier bébé. J’ai encore un certain nombre de poèmes que j’ai déjà publiés sur la page facebook d’un regroupement d’amis que nous appelons le cercle poétique « le mystère des plumes ».
C’est un regroupement d’amis avec qui on partage nos écrits et nos pensées sur ce réseau social. Par ce canal-là, nous arrivons à publier et à faire connaître à nos amis tout ce que nous faisons comme poésie. Maintenant publiés sous la forme de livres et de recueils, il y a bien d’autres projets en cours et grâce à Dieu, ils verront jour.
Togoinfos.com : A propos de la réforme de la justice, que fait aujourd’hui le barreau pour plaider pour cette cause, faire en sorte que les choses aillent beaucoup plus vite à l’endroit des justiciables et surtout des détenus ?
Koko Dzoka : Souffrez que je parle un peu de moi-même dans ce contexte. Il y a quelques années j’étais au conseil de l’ordre et nous avions eu à élaborer un programme par rapport à ces cas que nous avons essayé de dénombrer. Dans le cadre de ce projet justement, nous avions eu à rencontrer les chefs de juridiction, l’ancien président du tribunal, le procureur près le tribunal, le président de la cour d’appel, le procureur général près la cour d’appel. Nous avions eu une série de réunions sur des problèmes que les avocats rencontrent particulièrement d’une part et d’autre part les problèmes des justiciables qui n’ont pas de conseil rencontrent également au tribunal, à la cour d’appel ou à la cour suprême.
Ayant fait l’état des lieux, nous avons préconisé un certain nombre de dispositions à prendre pour faire évoluer les choses. A titre d’exemple, quand vous avez un dossier au tribunal et que vous ayez un avocat ou non, le dossier suit son cours jusqu’à ce qu’une décision est rendue par le tribunal. Pour en arriver là, c’est un parcours du combattant. Maintenant la décision est rendue en votre faveur et vous voulez l’exécuter, il faut avoir la décision entre les mains. Pour avoir cette décision entre les mains, c’est un autre parcours du combattant parce qu’il faut à chaque fois aller vers le greffier pour le voir et le relancer. S’il le fait, il doit soumettre la minute à la signature du juge qui a rendu la décision. Ce dernier, compte tenu du fait qu’il a d’autres audiences et d’autres dossiers, ça traine. Pour avoir une décision entre les mains il faut une semaine ou des semaines, parfois on peut aller jusqu’à des mois et des années parfois à obtenir une décision.
Pour le cas des détenus, il arrive que des détenus soient oubliés parce qu’ils ont été déposés par une note de service. C’est le cas par exemple de quelqu’un qui envoie une personne qui a eu un problème avec un autre citoyen, défère celui-ci devant le juge du parquet sans pour autant avoir le temps d’étudier le dossier. Normalement, c’est un mandat de dépôt qui envoie quelqu’un en prison mais c’est une pratique qui s’est instaurée. Des fois, quand on fait la note de service, il peut arriver que, compte tenu des occupations le juge oublie un peu qu’hier il a envoyé quelqu’un en prison. Au parquet de Lomé, il y a de multiples dossiers qui arrivent tous les jours des différents commissariats et brigades de gendarmerie.
Il y a beaucoup de travail et les juges sont submergés. Aujourd’hui, après les nombreuses réunions et même au niveau de la magistrature et aussi dans le cadre de la modernisation de la justice, les notes de services ont été supprimées mais il y a un autre problème. Les détenus, des fois compte tenu de ce que leur dossier se trouve entre les mains d’un juge d’instruction qui est aussi surchargé, aujourd’hui on huit cabinets d’instruction par rapport à quatre dans le temps, précisément dans les années 1999, 2000 et 2001. Mais il faut avouer que cela ne suffit pas parce qu’il y a beaucoup trop de dossiers pour chacun des cabinets pris individuellement. La modernisation de la justice, c’est vrai mais on n’a pas encore l’effet qu’il faut. En France par exemple, lorsqu’un avocat fait une procédure qui donne lieu à une décision, il n’a pas à aller chercher le greffier ou connaître quel greffier a été à l’audience le jour-là. La décision est servie à l’avocat dans son casier, ce qui fait l’avocat ne cours pas derrière une décision.
Aujourd’hui, il y a beaucoup de magistrats qui font l’effort de taper leur factum (décision), ce qui fait que certaines fois pour avoir une décision, c’est très rapide, le greffier n’aura qu’à corriger les qualités et les petites coquilles.