Plus le temps passe, plus les choses se précisent. Le fils-héritier du feu général, qui a gracieusement hérité du fauteuil présidentiel depuis 2005, n’a pas l’intention de renoncer à ce pouvoir. Il tient à y rester autant que possible.
Pour ce faire, il mesure avec tout le sérieux, sa marge de manœuvre et les handicaps majeurs auxquels il doit faire face avant l’échéance de 2015.
La première difficulté qu’il a dû repérer est liée à la longévité du pouvoir que la famille Gnassingbé incarne. Plus d’un demi-siècle à la tête de la République togolaise. C’est sans doute trop.
Les tenants actuels du pouvoir au Togo en ont pleine conscience et ils savent que si les règles du jeu sont claires, ils auront du mal à convaincre la majorité des togolais à les suivre à nouveau dans cette aventure de conservation absolue et quasi-éternelle du pouvoir.
En réalité, le débat aujourd’hui n’est pas de savoir si Faure Gnassingbé a un bilan ou pas, s’il gère bien le pays ou pas. Le débat, à ce niveau, est justement de se demander s’il convient, pour une République, de se laisser gouverner pendant plus de cinquante ans par une seule et unique famille.
A une telle interrogation, la réponse évidente est naturellement non, du fait même que cette «éternisation» de la famille Gnassingbé dans le fauteuil présidentiel heurte de front le principe fondateur d’une République qui sous-tend une forme régulière d’alternance au pouvoir.
Mais alors, que doit faire le Prince-héritier dès lors que non seulement il nourrit encore une envie vorace et inextinguible de s’incruster continuellement au pouvoir, mais surtout aussi il sait qu’il a beaucoup de comptes à rendre à sa famille, à ses amis et au peuple togolais une fois hors de ce pouvoir?
A une telle question, une solution simple a été d’emblée envisager. S’y accrocher par tous les moyens.
Qu’entendons-nous par « tous les moyens » dans le contexte précis du Togo ?
Il s’agit d’une part, de faire un blocus total sur les réformes institutionnelles et constitutionnelles qui pourraient ouvrir le Togo sur des perspectives démocratiques saines, donc synonymes d’un risque de départ du Prince du pouvoir. Le simulacre de dialogue et le rejet par la suite du projet de loi sur ces réformes par la majorité parlementaire, participent à ce plan.
D’autre part, il faut absolument et sans mesure, bâillonner toute velléité d’opposition à ce pouvoir. Voilà pourquoi, les leaders de l’opposition au Togo sont d’abord spoliés par tous les moyens au point de les rendre incapables d’une action sérieuse et soutenue par des moyens adéquats.
Et comme si cela ne suffisait pas, les génies du pouvoir ont trouvé le moyen de mettre le couperet des incendies des marchés de Lomé et de Kara sur la plupart des opposants susceptibles de créer des ennuis au Prince. Sur cette question justement, et c’est là où la plus grave faute va être commise, le pouvoir n’a pas l’intention de renoncer au projet de faire condamner Jean –Pierre Fabre pour le rendre inéligible en 2015.
C’est sans doute lâche, mais pour les tenants du pouvoir actuel au Togo, c’est la seule formule qui pourrait sauver le Prince d’une humiliation électorale en 2015. Voilà pourquoi, depuis quelques semaines, le dossier des incendies est à nouveau sorti des tiroirs et les tenants du pouvoir sont en train de tâter le terrain avant de mettre en œuvre leur plan lugubre de démolition systématique du chef de file de l’opposition togolaise.
Mais ce n’est pas tout. Le fait pour le Prince de compromettre les chances de candidature d’un Fabre ne lui garantit pas d’emblée sa réélection si jamais d’autres poids lourds venaient à se présenter à ce scrutin.
Du coup, Pascal Bodjona, l’ancien ministre de l’administration territoriale est retenu comme une cible et pas des moindres. Ce redoutable homme politique qui, au jour le jour, prenait une fulgurante ascension dans le champ politique togolais, a fini par sa bravoure et son aura, par inquiéter les gens de son bord politique.
Finalement l’on le soupçonnait de tout, l’on l’a tellement soupçonné qu’au final un plan ignoble de sa démolition politique a été acté. L’intenable histoire de l’escroquerie internationale dans laquelle le pouvoir est en train de forcer son implication tient de ce but.
En effet, il est aujourd’hui établi, à la lumière des multiples contorsions juridiques initiées et soutenues vaille que vaille par le palais de la marina, que le pouvoir du Prince a de sérieuses difficultés pour forcer l’implication de Pascal Bodjona dans cette affaire aussi légère qu’infamante d’escroquerie.
Le plan a en réalité échoué surtout que les avocats de l’ancien ministre ainsi que les médias ont réussi à éventrer point par point, les acrobaties juridiques que les alchimistes du droit ont cru devoir initier contre Bodjona pour décréter l’implication de ce dernier dans cette affaire.
Mais, détrompons-nous. Les tenants du pouvoir sont bien loin d’abdiquer. Dos au mur, et de guerre lasse, ils entendent poursuivre ces aberrations afin d’entrer coute que coute en condamnation pénale contre le Ministre Bodjona.
Pour eux, il ne saurait en être autrement dès lors que l’enjeu est et reste 2015. Comment Faure Gnassingbé pourrait-il récupérer à nouveau un Pascal Bodjona ou du moins obtenir la résignation de ce dernier dès lors qu’il l’a déjà blessé au plus haut point ? L’équation est sans doute difficile, très difficile à résoudre.
Alors le mieux, c’est de fermer les yeux et de forcer tout pour obtenir par la force brute, la neutralisation de Pascal Bodjona même s’il faut marcher à tout point de vue, sur la morale, la raison et le bon sens.
Cela frise une certaine forme de démence, mais c’est le moindre mal si l’on part du fait que Pascal Bodjona est une menace sérieuse et indéniable pour le Prince en 2015.
Voilà pourquoi, le 17 juillet prochain, la Cour Suprême du Togo, contrainte de brader littéralement sa valeur éthique et son essence pour des objectifs politiques, s’apprête à nouveau à opérer une forfaiture dans ce dossier Bodjona.
Au regard du rapport aléatoire présenté le 19 juin par Abdoulaye Yaya, le président de la chambre judiciaire, subitement devenu un véritable braconnier du droit rangé sous les bottes du pouvoir, et au vu des incessantes pressions exercées par ce pouvoir sur les autres magistrats de cette Cour, l’on peut déjà présager du sort qui sera réservé à ce recours du Ministre Bodjona.
En clair, l’enjeu électoral de 2015 a systématiquement anesthésié la conscience de nos dirigeants. Ils n’ont plus la crainte de Dieu.
Et le refus de Faure Gnassingbé de libérer Kpatcha Gnassingbé et coaccusés malgré l’arrêt de la Cour de Justice de la CEDEAO établissant clairement la non équité du procès qui les a condamnés en est encore une autre preuve évidente qui rend compte de l’état mental actuel de nos dirigeants.
Mais, toutes ces cibles sont-elles prêtes à baisser les bras pour se laisser broyer de ci-tôt sans autre forme de lutte ? Le peuple togolais se laissera-t-il berner et abuser par des gens qui jouent leur survie en foulant tout aux pieds ? La communauté internationale continuera-t- elle à rester aussi indifférente et amorphe devant de telles bassesses ?