Je me suis amusé ( je dis bien amusé, car, en un sens je me suis trouvé face à un jeu ) à comparer deux discours récents, tenus au sujet des réformes ou absence de réformes constitutionnelles et institutionnelles. Oui, ces fameuses réformes dont il est question, comme devant déterminer l’allure que prendront les élections présidentielles de 2015 et donc l’avenir de notre vie nationale.
Ces deux discours sont, d’un côté celui de l’Ambassadeur de France au Togo, M. Nicolas Warnery et de l’autre côté celui Jean-Pierre Fabre, le Président National de l’ANC. Pour l’ambassadeur, le rejet en bloc du projet de loi relatif à ces réformes par le Parlement togolais, constitue une mise en échec du gouvernement. Pour Jean-Pierre Fabre, ainsi d’ailleurs que pour les autres leaders de l’opposition, confère par exemple Isabelle Améganvi au lendemain de ce vote, cet acte n’est qu’une mise en scène, une mascarade.
Mais, après la quasi-unanimité affichée par l'opposition pour dénoncer la mascarade, n'est-on pas déjà, gentiment, retourné aux habitudes de division autour du titre même que revendique Fabre et des prérogatives que cela lui confèrerait, ainsi que de la représentation de chaque coalition au sein de la CENI?
Cependant, voici ce qui m’a amusé.
Au Nigéria, dont la langue de travail, langue officielle est l’anglais, le mot employé pour désigner la sortie des danseurs masqués, supposés être des revenants est « mascarade ». Si vous voulez, vous pouvez les appeler Egun, ou encore Egungun, en yoruba. La question est : qui fait le Egun dans cette histoire, le faux Egun, je veux dire ? Le gouvernement, comme l’insinue Fabre ?
L’ambassadeur, prenant le déguisement, la musique bien orchestrée, le tourbillonnement des danseurs, leur contorsion, leur gymnastique, leurs tours de magie, leurs sauts périlleux mêmes ( car il y aurait réellement danger pour un gouvernement normal à voir rejeter par sa propre majorité au parlement son projet de loi ) pour la réalité et cherchant à nous le faire admettre comme la réalité ? Je ne vous dis plus de penser à toutes les gesticulations, tous les ballets exécutés ici et là, toutes les tractations, tous les discours tenus avant, pendant et aussitôt après le prétendu dialogue et le « rejet » du projet de loi.
À moins que le Egun, ce soit Fabre puisque dans la même déclaration, se targuant d’être le chef de file de l’opposition et donc le candidat naturel de cette opposition pour 2015, il justifie ce statut par le fait d’être le leader du parti ayant obtenu le plus grand nombre de sièges, à part celui au pouvoir, à l’Assemblée Nationale.
Sur au moins un seul point, l’ambassadeur et le chef de l’opposition s’entendent : les résultats des dernières élections législatives. Ils sont incontestables, donc justes et l'assemblée parfaitement légitime, habilité pour légiférer. Dès lors, pourquoi, en vertu de quoi, Fabre contesterait-il un vote de cette assemblée ? Ce n'est pas la première de nos contradictions. On peut souhaiter que ce soit la dernière.
Or, le Egun, ce n’est pas un jeu. C’est certainement pourquoi, dans mon Anagokomé natal, ce quartier de Lomé, les parents nous interdisaient d’y jouer quand nous étions petits. Car, comme beaucoup de rituels africains, et comme dirait l’écrivain kényan Ngugui wa Thiong'o, c’est « une affaire de vie ou de mort, de survie de la communauté »1.
Il faut, bien sûr, se sentir concerné et avoir une bonne dose de foi pour admettre que le danseur masqué est vraiment, non pas l’ancêtre incarné, mais l’ancêtre tout court.
Serait-ce cette dose de foi ou simplement de bonne foi qui manque à tous ceux qui se mêlent de tenir des discours sur cette question de vie ou de mort, la crise togolaise ?
Et, de quoi parle Nguggi, avec qui on peut ou non être d’accord ? C’est que dans le rituel, chaque parole, chaque mot, chaque discours, chaque geste, chaque acte, chaque symbole a un sens pour la vie de ceux qui sont concernés, pour toute la communauté. Si donc nous en émettons pour une raison ou une autre ( ego, prestige, enrichissement personnel, intérêt particulier, poste convoité ) qui n’ait pas de sens pour la vie, n’est-ce pas le plus sûr moyen d’invoquer la mort ? Mort imperceptible et lente peut-être, mais qui ne manquera pas d’arriver.
Et qui voudra et pourra, et comment, interdire, comme nos parents le faisaient quand nous étions petits, à ceux qui, actuellement se livrent au jeu de la mascarade politique au Togo et sur le Togo, de le poursuivre ?
Ah, j’oubliais que ce n’est pas un jeu d’enfants, mais de la haute politique !
Sénouvo Agbota ZINSOU
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1 Ngugi wa Thiong'o, cité par Alain Ricard, dans Littératures d'Afrique Noire, CNRS, Karthala 1995, p. 200