« Un accord sur certaines questions importantes doit être trouvé dans les meilleurs délais pour éviter que Les législatives n’occasionnent d’autres violences »
Après avoir conduit sous les feux de critiques la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) à son terme et rendu son rapport assorti de 68 recommandations que le pouvoir Faure Gnassingbé a vite rangé dans les placards, l’ex-Président de cette Commission, Mgr Nicodème Barrigah a fait le choix du mutisme face à l’évolution de la situation politique de notre pays. A la veille du scrutin législatif dont la date vient d’être fixée, il rompt le silence à travers une interview accordée à nos confrères du journal catholique La Croix en France.
Dans cette interview qui paraît aujourd’hui, Mgr Barrigah évoque la suite à donner au rapport et aux recommandations de la CVJR et exprime sa préoccupation face à la détérioration de la situation actuelle. Lecture !
Alors que le Togo se prépare à des élections législatives début juillet, Mgr Nicodème Barrigah qui préside la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) met en garde contre les arrestations et les conflits ouverts entre partis qui ne cessent de perturber le climat sociopolitique.
Mgr Nicodème Barrigah, évêque d’Atakpamé, président Justice et Paix et président de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation du Togo (CVJR)
Le 3 avril 2012, la Commission Vérité, Justice et Réconciliation du Togo (CVJR) que vous présidiez remettait son rapport au président de la République du Togo. Plus d’un an après, où en est-on ?
Mgr Nicodème Barrigah : En remettant ce rapport, nous étions bien conscients que la mise en œuvre de nos 68 recommandations n’allait pas être aisée au regard du contexte sociopolitique du pays. Un an après, les tensions ne sont pas calmées et la situation n’a pas beaucoup évolué. À plusieurs reprises cependant, le gouvernement a réaffirmé son engagement à faire du processus de réconciliation une priorité de son programme. Dans ce but, il a publié le 25 mai le décret de création du Haut-Commissariat à la réconciliation et au renforcement de l’unité nationale (HCRRUN). Nous espérons qu’il fera de même, dans les prochains jours, avec le « Livre Blanc » qui définit les grandes lignes de la politique du gouvernement face aux recommandations de la CVJR et la nomination des membres de ce Haut-Commissariat. Ce sont ces deux piliers qui permettront une mise en œuvre effective desdites recommandations.
Quel a été le rôle de l’Union européenne dans ce rapport de la CVJR ?
L’implication financière (1,6 millions d’euros) et technique de l’Union européenne dans le processus de réconciliation au Togo a été décisive, permettant que les activités soient menées dans un climat relativement serein. Certains pays, notamment l’Allemagne et la France, ont accompagné les travaux de la CVJR de manière efficace. Actuellement, l’Union Européenne continue de soutenir le processus à travers le Projet d’appui à la société civile et à la réconciliation nationale au Togo (PASCRENA).
Parmi les 68 recommandations de ce rapport, lesquelles vous semblent prioritaires ?
Ces recommandations ne concernent pas seulement la réforme de l’État; elles s’adressent aussi à toutes les institutions et aux citoyens. De plus, toutes ces recommandations ont leur importance dans la dynamique de redressement et de consolidation de la réconciliation. Toutefois, dans le contexte actuel, les réformes politiques, institutionnelles et constitutionnelles tout comme la lutte contre l’impunité sont prioritaires, car c’est autour d’elles que se cristallisent les tensions. Je suis convaincu qu’en mettant en œuvre les recommandations formulées, des situations pourront être redressées, le climat apaisé, l’impunité combattue et la réconciliation plus effective… même si les signaux que nous enregistrons actuellement sont plutôt préoccupants.
Des vagues de violences, comme il y en avait eu lors de l’élection présidentielle d’avril 2005, sont-elles toujours possibles ?
Il suffit d’une petite étincelle pour embraser tout un pays ou le faire basculer dans l’horreur. Actuellement, les manifestations récurrentes, les grèves des syndicats, les propos belliqueux tenus dans les médias, etc., sont autant d’éléments qui font redouter ces vagues de violences. Il est donc urgent d’en prendre la mesure et de chercher ensemble les solutions appropriées.
Les élections législatives prévues initialement au dernier trimestre 2012, puis au printemps 2013, ont finalement été repoussées à la première semaine du mois de juillet : pourquoi ?
Le report des élections est dû essentiellement au climat de tensions. Les partis politiques (composant la Coalition « Arc-en-Ciel) », les associations de défense des droits de l’Homme et les organisations de la société civile (regroupés au sein du « Collectif Sauvons le Togo ») exigent, avant la tenue des élections législatives, qu’un dialogue soit mené, non seulement sur le cadre électoral mais également sur les réformes préconisées par l’Accord politique global de 2006 et rappelées par la CVJR. Le gouvernement et d’autres partis (notamment l’Union pour la République et l’Union des forces de changement ») soutiennent que seules les législatives permettront de mettre en place le cadre approprié pour ces réformes. Pour ma part, je pense qu’un accord sur certaines questions importantes doit être trouvé dans les meilleurs délais pour éviter que ces législatives n’occasionnent d’autres violences.
Depuis votre retour au Togo en 2008, comment décririez-vous l’évolution politique et économique de votre pays ?
Le Togo a réalisé des avancées incontestables, notamment au plan de la réhabilitation des infrastructures, de la création d’emplois, de la relance de l’économie, du respect des droits de l’Homme, etc. Malheureusement, au cours de la même période, des manifestations récurrentes, des événements non élucidés, des arrestations contestées, des conflits ouverts entre partis politiques… ont constamment perturbé le climat sociopolitique. De même, la lutte pour l’alternance politique s’est beaucoup radicalisée à la veille des élections législatives. Je crois qu’il faut éviter deux excès : d’une part, vouloir réduire tous les enjeux de notre pays à un débat politique, et d’autre part, esquiver les questions politiques comme si elles n’avaient aucune importance. Tous ces défis doivent être relevés ensemble.