« L'école togolaise est malade, gravement malade et son mal a atteint le stade d'une crise aiguë. L'école togolaise souffre. Elle souffre de la misère de ses enseignants. Elle souffre de leurs conditions de travail déplorables. Elle souffre de l'insuffisance de ses infrastructures et de ses équipements. »
Cette déclaration véhémente, affligeante et accablante était la conclusion tirée par un ministre de la République au fort temps de la crise socio-économique au Togo en 1991. Cette réalité est encore d’actualité et plus criarde car, en vérité, parmi tous les secteurs de la vie publique au Togo, l’éducation demeure encore le parent le plus pauvre du système de gouvernance. Aujourd’hui, cette école n’est pas seulement malade, mais elle est agonisante.
Togolaises et Togolais, chers compatriotes, nous voici une fois encore dans la rubrique « Pour la Cause du Togo. » Notre réflexion de ce jour porte sur l’éducation au Togo : ses problèmes par secteur d’enseignement et les approches de solutions pour sa redynamisation.
1. Les problèmes du système éducatif togolais
La misère des enseignants
Nos enseignants du cours primaire, secondaire, et supérieur perçoivent des salaires dérisoires qui sont en plus irréguliers. Leurs indemnités de corrections et de surveillance des examens nationaux sont perçues non seulement tardivement mais après des grèves et des révoltes de tous genres. De tous les corps de métiers, les enseignants sont les plus miséreux, une fonction qui n’inspire pas les jeunes. Lorsque ces derniers s’y aventurent c’est bien sûr malgré eux. Comment peuvent-ils de ce fait inspirer les élèves qu’ils sont appelés à encadrer et à servir de modèles ? Les enseignants ne peuvent pas se doter d’un logement et d’un moyen de transport décents.
Cette misère se traduit également par leur incapacité à se doter d’une bibliothèque personnelle, les poussant à ne recourir qu’à leur propre vieux cours désuets et sans attache avec les réalités de la vie moderne. Cette pauvreté se traduit aussi par la stagnation et le recule intellectuels du fait de l’incapacité de renouveler le savoir et le savoir-faire. Il n’est pas étonnant de voir que les enseignants sont les clients les plus fidèles des bars et les plus endettés vis-à-vis des propriétaires de boutiques. Il n’est non plus surprenant de voir les enseignants enclins à la corruption à l’occasion des examens nationaux.
Conditions de travail déplorables
Faisons un tour dans le Togo entier et jetons un regard sur la nature des salles de classes de l’enseignement public, du primaire à l’Université. Le constat est amer. Ce sont des bâtiments de désolation, pour la plupart délabrés, donnant le spectacle d’un abandon, d’un délaissement et d’un mépris. Comment peut-on élever des âmes dans des cadres physiques pareils ? Tant vaut l’école, tant vaut la nation, dit le bel adage. Si le Togo est à l’image de son école, la logique de délabrement et de manque de soin caractérisent alors l’image du Togo.
A cette image de désolation s’ajoutent les effectifs pléthoriques qui écrasent le ratio enseignant-apprenants. Que ce soit au primaire, au secondaire, dans l’enseignement technique ou à l’université c’est le même amer constat. Les amphithéâtres des universités sont surabondés, entassant les étudiants les uns sur les autres, les obligeant à aller occuper les places à des heures très matinales pour ne suivre que des cours entièrement dictés, dans des conditions qui ne sont pas dignes d’une institution dite universitaire.
L’enseignement primaire et secondaire général
Contrairement au texte régissant l’éducation national qui fixe les effectifs à 35 élèves par classe, on constate malheureusement une pléthore d’élèves par classe allant de 52 à 150 élèves par classe dans le public ; et de 35 à 75 dans le privé. Les belles lettres de la réforme éducative de 1981, communément appelée réforme de 1975, n’ont pas connu leur application véritable. En lieu et place, le système éducatif a purement et simplement été inféodé aux idéaux politiques du parti unique d’alors, remettant ainsi en cause le profil type du Togolais, pétri des valeurs démocratiques, que l’on voulait former. Les contenus d’enseignement quant à eux ont fait l’éloge du culte de la personnalité de l’organe dirigeant.
En plus du malaise créé par les limitations budgétaires affectées au secteur éducatif primaire et secondaire général, les programmes d’ajustement structurel ont fini d’achever ce secteur balbutiant en le définissant comme secteur improductif. C’est alors que naquit la catégorie des enseignants vacataires, volontaires, agents temporaires, agents permanents, avec comme corolaire la décadence achevée du secteur éducatif.
Dans la perspective de l’Education Pour Tous, le Togo a rendu l’école primaire publique gratuite en 2006. Ce qui a eu pour conséquence le renforcement de la pléthore des effectifs par classe, l’insuffisance accrue du soutien financier à l’institution scolaire, et surtout l’achèvement de la qualité de l’enseignement.
L’enseignement technique
C’est le secteur le plus pauvre du système éducatif togolais. Aux problèmes de financement du secteur s’ajoutent les problèmes d’équipements, d’infrastructures, et d’enseignants pour la majorité des cas n’ayant pas d’expérience professionnelle dans leurs propres spécialités. En effet, il n’y a de technique et de professionnel que du bourrage de théories et de descriptions des métiers pour lesquels les élèves sont soit disant formés. En réalité, au sortir des trois ans de formation, l’apprenant est incapable d’exercer son métier. Sur le plan pédagogique, les programmes de l’enseignement technique s’acharnent plus à former des élèves « capables » de poursuivre des études supérieures qu’à leur donner la pratique réelle du métier. L’enseignement technique est coûteux et fortement dominé par le privé confessionnel et le privé et surtout par le secteur informel qui, lui, produit des résultats probants.
Au niveau de l’enseignement supérieur
L’enseignement supérieur au Togo porte les tares et les stigmates de l’enseignement primaire, secondaire général, et de l’enseignement technique. L’Université togolaise forme des chômeurs, des jeunes qui ne peuvent faire que du taxi-moto, communément appelés Zemidjan ou Oleyia. L’université togolaise souffre du nombre très limité des spécialités ou des filières répondant réellement aux besoins sociaux de l’heure. Le mal-être créé par les conditions dérisoires d’études sur les campus universitaires pousse régulièrement les étudiants à la révolte et aux agitations de tous ordres. Les campus de Lomé et de Kara, de ce fait, sont devenus des bases militaires où la chasse à l’étudiant réclameur est devenue le sport favori de la police et de la gendarmerie.
2. Quelles approches de solutions envisager ?
Sur le plan capital. Contrairement aux injonctions des programmes d’ajustement structurels qui ont relégué l’éducation au dernier plan, car étant un secteur non directement productif, le gouvernement togolais doit comprendre que de la qualité de l’école dépend la qualité des citoyens que l’on veut gouverner. Ainsi, une place de choix doit être réservée à l’éducation dans la répartition du budget national. Pour mémoire, en 2014, le secteur de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche bénéficie de 5,68 % du budget total. Un taux très bas, au regard de la mission qui lui est confiée dans le développement national.
Sur le plan humain. La réouverture de l’Ecole Normale Supérieure d’Atakpamé et la création des instituts de formation d’instituteurs à Tabligbo et à Dapaong sont à saluer. Ainsi, toute personne désireuse de faire carrière dans l’enseignement devrait au préalable s’approprier des techniques de l’art d’enseigner. Car l’improvisation tue la qualité de l’éducation. Le gouvernement doit faire l’effort de recruter périodiquement les formés de ces écoles pédagogiques.
Sur le plan des infrastructures et matériels. Il s’agit de doter nos localités de bâtiments scolaires solides et dignes de nom. Espérons que pour l’enseignement primaire, la dotation des 45 millions de $, soit 225 milliards de FCFA du Projet Fast-Track par la Banque Mondiale dont le décaissement est à 81 % et la réalisation à 75 % permettra de construire à terme les 814 classes attendues.
Les bureaux administratifs devraient aussi être équipés de matériel adéquat permettant au personnel administratif de travailler dans de bonnes conditions. La construction des bibliothèques également équipées non seulement de livres mais aussi d’outils technologiques et de multimédia faciliterait un enseignement moderne. La construction des latrines est aussi essentielle pour l’hygiène et la protection de l’environnement.
Le problème des universités du Togo ne réside pas dans les conflits d’autorité au niveau des organes dirigeants de ces institutions. Tout ce dont l’étudiant Togolais a besoin c’est la construction de vrais amphis à la place des agoras, la possibilité de connexion Internet et multi media dans ces amphithéâtres, la dotation des laboratoires de matériels adéquats. La coopération sino-togolaise ou togolo-japonaise pourrait être activée dans ce sens précis pour faciliter l’achat de matériels informatiques à moindre coût.
La Diaspora togolaise, à travers le monde entier, est pleine de volonté pour aider sur le plan matériel. Elle n’attend que la volonté du gouvernement à apporter le soutien financier pour transporter les équipements et matériels didactiques vers le Port Autonome de Lomé. Les projets avortés dans ce domaine sont nombreux. Ces projets échouent parce qu’un ministre refuse d’apporter le concours nécessaire pour n’avoir pas tout simplement été à l’ origine de l’initiative. La jalousie et les égos des ministres ne voudraient pas que quelqu’un à l’étranger en porte les fruits de la gloire de la main tendue. Ces ministres doivent tout simplement être identifiés et châtiés si leur refus est le fait d’une ânerie.
Sur le plan pédagogique : l’enseignement primaire et secondaire doit faire la promotion de la méthode active à travers laquelle l’élève est au centre de l’action éducative. L’élève dans ce cas apprend en agissant et non pas en ingurgitant seulement les cours recopiés. Pour ce faire, l’enseignant devrait lui-même être formé à cette méthode en s’appropriant les capacités de prise d’initiatives et en tenant compte des moyens disponibles et des réalités du milieu.
Un aspect non moins important est celui de la réappropriation de notre identité togolaise et africaine dans nos programmes d’enseignement. Notre histoire togolaise et africaine, les valeurs de patriotisme, de solidarité, d’honnêteté, de fidélité et de travail bien fait devraient être reprises dans nos programmes.
Réforme en profondeur du système éducatif togolais.
Le système éducatif togolais, calqué à l’image de celui de la France, a créé un régime à double vitesses : l’enseignement général et l’enseignement technique. L’enseignement général prétendument destiné à former l’élite intellectuelle et l’enseignement technique réservé à ceux et celles qui ne savent utiliser que leurs mains et leur corps, un enseignement de deuxième zone. Au regard des résultats non probants que l’enseignement dit technique et professionnel fournit, il s’avère important de fusionner les deux régimes en un seul. Ce régime non stéréotypé donnera un enseignement commun jusqu'à la classe de terminale. Un enseignement qui combine à la fois les domaines technique et général.
L’outil informatique ne serait plus un luxe ou un privilège réservé à une certaine classe sociale. Cet enseignement doit être obligatoire à tous les niveaux, du primaire au supérieur. Le génie togolais saurait profiter de l’exploitation de l’énergie solaire pour propager l’utilisation de l’ordinateur dans les campagnes. Cela est faisable si l’on y met vraiment de la volonté. A la sortie, tous les élèves auront les mêmes capacités exploitables tant dans le milieu professionnel que dans la poursuite des études supérieures.
L’enseignement supérieur sera à deux niveaux : un niveau dit communautaire technique et un niveau supérieur libéral. Dans le communautaire technique la durée des études est de deux ans. Toutes les spécialités seraient offertes avec la possibilité, pour ceux et celles qui le désirent, de prendre des cours généraux complémentaires qui leur permettent de continuer dans le supérieur libéral allant du master au doctorat.
Une façon de réduire le problème du chômage est d’initier les élèves aux techniques de l’entrepreneuriat depuis l’école primaire de manière graduelle jusqu'à l’université. Une bonne génération d’entrepreneurs est un ferment important dans le cadre du développement durable de notre cher pays.
Pour conclure, chers compatriotes, il n’est de secret pour personne. L’éducation est la base de tout développement. Accordons-lui toute l’importance qui lui revient. Un penseur avisé avertissait en ces termes : « Si l’éducation est coûteuse, essayez donc l’ignorance ».
Je vous remercie !