Le cratère dans le sable laisse imaginer la violence inouïe de l'impact. Il ne reste quasiment rien de l'avion, littéralement pulvérisé. Il y a çà et là, concentré sur un carré de 300 mètres, des débris, de rares affaires personnelles accrochées dans les buissons desséchés, une longue trace en V de sable et pierres noircis, aucun morceau intact de carlingue ou de turbine mais des pièces métalliques tordues, fondues. Et aucun corps des 118 personnes qui se trouvaient à bord, ont constaté, samedi 26 juillet, la vingtaine de gendarmes, de policiers et une équipe du Bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA) arrivés le même jour de France.
La trajectoire du vol Ouagadougou-Alger AH 5017 d'Air Algérie s'est achevée dans la nuit de mercredi 23 au jeudi 24 juillet par un choc effroyable dans le cercle de Gourma, région de plaines, de marécages et d'escarpements rocheux au centre du Mali. « C'est comme si une bombe était tombée », témoigne une source proche de l'enquête. Une partie du McDonnell Douglas MD-83 est probablement enfouie sous un mètre de sable mais les enquêteurs ne se faisaient guère d'illusions sur ce qu'ils allaient pouvoir en tirer.
« L'avion avait décollé peu de temps auparavant de Ouagadougou, les réservoirs bourrés de kérosène. Une vraie bombe, je crois que je n'ai jamais vu ça », insiste notre source, pourtant habituée à gérer les crashs aériens. La profondeur du cratère laisse penser que la trajectoire de l'avion suivait une forte pente ; qu'il s'est fracassé au sol à pleine vitesse, sans planer, sans pouvoir tenter un atterrissage même désespéré.
Les premières observations – le cratère, la concentration des débris sur une faible surface, l'absence de morceaux intacts de l'avion – renforcent la thèse de l'accident. Celle d'un avion pris dans une violente tempête tropicale en cette saison des pluies et dont le pilote, pour une raison encore inconnue, perd le contrôle. La dernière communication entre le vol AH 5017 pour Alger et le contrôle aérien fait d'ailleurs état d'une tentative de changement de cap pour essayer, en vain semble-t-il, de contourner la turbulence.
« S'il y avait eu une bombe à bord ou s'il avait été touché par un missile, l'avion se serait en partie disloqué en vol, des éléments auraient été projetés dans l'air, retrouvés éparpillés sur une grande surface, comme dans le cas du Boeing de la Malaysia Airlines descendu [le 17 juillet] au-dessus de l'Ukraine », explique notre source. Rien de tout cela dans le cas présent.
HYÈNES QUI RODENT
L'étude des deux boîtes noires retrouvées parmi les débris permettra de lever les derniers doutes qui subsistent sur les raisons du crash. Les deux enregistreurs ont été acheminés à Gao, à une centaine de kilomètres de là, où est basé « le centre de gestion tactique des opérations » sur le crash, associant la France, les autorités maliennes et la Mission de l'ONU au Mali (Minusma).
Par chance – si l'on peut dire ainsi –, le Mali a été en guerre il n'y a pas si longtemps. Il y a donc au sol des militaires français et des casques bleus déployés en nombre depuis le lancement de l'opération anti-djihadiste le 11 janvier 2013. Cela a permis de mobiliser d'importants moyens humains et logistiques (drones, avions de chasse, hélicoptères...) et ainsi de localiser rapidement le lieu du crash.
Les enquêteurs doivent maintenant travailler dans un environnement difficile – hyènes qui rodent, chaleur étouffante alternant avec des pluies torrentielles, dans un lieu qui n’est accessible que par hélicoptère ou après de longues et laborieuses heures de hors-pistes depuis le bourg le plus proche, Gossi. Mais l'environnement sécuritaire n'est pas hostile. Car ici, comme sur la plupart des territoires du nord du Mali, les islamistes armés liés à Al-Qaïda au Maghreb islamique ou autres narco-terroristes qui faisaient la loi avant le 11 janvier 2013 ont été tués ou chassés vers la Libye par l'opération Serval. Les seules bouffées sporadiques de violences dans le Gourma opposent depuis des lustres les éleveurs nomades Peuls en quête de pâturage et d'eau aux agriculteurs Songhaï. Ou sont l'œuvre de quelques brigands.
« TOUS LES CORPS SERONT RAMENÉS EN FRANCE »
Ce ne sont donc pas tant les militaires qui sécurisent les lieux qui seront mis à contribution, à la différence de ce qui aurait pu se passer dans l'extrême nord où subsistent des petits groupes radicaux, mais les légistes, qui s'attellent à une difficile entreprise d'identification.
Samedi à Paris, le président François Hollande a pourtant promis aux familles des 54 victimes françaises de « faire en sorte que les équipes qui sont sur place puissent, le temps nécessaire, faire le travail de regroupement des corps et d'identification ». Puis, « lorsque ce sera possible, tous les corps seront ramenés en France. Je dis bien tous les corps de tous les passagers de ce vol », a-t-il ajouté.
Une promesse qui semble difficile à tenir, à en croire le général Gilbert Diendéré, chef d'état-major particulier du président burkinabé Blaise Compaoré : « Je ne pense pas qu'on puisse reconstituer les corps, ils ont été éparpillés, dispersés, a-t-il prévenu après une visite sur place. Je ne suis pas sûr qu'on puisse en retrouver certains. » Tout juste satisfaire le souhait qu'il a recueilli auprès de certaines familles dévastées par le chagrin : « Avoir au moins les cendres de nos proches ».