Depuis le début du mois de juillet, Agba Bertin, le cerveau présumé de l’Emiratigate a été interpellé à Athènes. Plusieurs missions togolaises ont échoué à obtenir son extradition vers Lomé alors qu’un mandat d’arrêt international pèse contre lui. L’escroc présumé dit craindre pour « son intégrité physique », la diplomatie togolaise montre ses limites, le Ghana le soutient, l’Interpol hésite.
Bertin Sow Agba. Son nom est associé à la plus rocambolesque affaire d’escroquerie au Togo. Dans l’Emiratigate, l’affaire d’escroquerie internationale dont il est l’instigateur présumé et qui a fait perdre 50 millions de dollars à un richissime de Dubaï, il a purgé une peine de 3 ans au Togo avant de s’enfuir. Pascal Bodjona, ancien ministre d’Etat du Togo est mis en examen dans la même affaire. Après plusieurs mois de détention préventive, il est sur le territoire national d’où il lui est interdit de sortir.
Loïc Le Floch Prigent, ancien Pdg du géant pétrolier français Elf a fait plusieurs mois de prison à Lomé, dans la même affaire. Gbikpi Benissan, ancien ambassadeur du Togo à Accra qui aurait lui aussi été un intermédiaire complice court toujours et serait en France où il a demandé asile. Au fond, il s’agit d’une escroquerie à la nigériane où, pour décrocher une forte somme supposée être gardée dans une fictive banque, la future victime prend en charge les frais administratifs.
Dans le présent cas, 48 millions de dollars pour être exact. Depuis, le Togo a politisé l’affaire, ce qui compromet toute issue alors qu’au départ, il s’agissait d’une vulgaire escroquerie, à en croire les morceaux du puzzle. Paris, Accra, Dubaï, cette affaire est vite devenue une épopée diplomatique de réseaux secrets.
Dans les mailles….
Une telle situation ? Agba en a déjà connu, aussi bien en France qu’en Belgique. Puisque son nom figure sur la liste des personnes recherchées par l’Interpol, à la demande du Togo, dans tous les aéroports connectés du monde, un signal alerte la police quand son passeport est scanné. Il faisait une tournée d’affaire quand le signal s’est déclenché en Grèce. Depuis, coincé dans son hôtel de luxe, il attend son sort. Toujours libre de ses mouvements, contrairement à ce qu’a dit la presse jusque-là, sauf que ses titres de voyages sont confisqués, en attendant un dénouement. Trois perspectives possibles. Soit l’Interpol cède à la requête du Togo et l’escroc revient au bercail, ce qui reste peu probable dans la situation actuelle. Soit il est extradé vers le Ghana, pays ont il détient à la fois un passeport diplomatique et un passeport ordinaire.
Soit il continue son voyage, s’il convainc la police que ce qu’on lui reproche ne mérite pas une extradition. La dernière piste est la plus plausible, selon les dernières informations que nous avons d’autant plus que ni la plainte portée précipitamment par Abbas Yusef en Grèce, les diverses missions togolaises n’ont jusque-là pas porté leurs fruits. En effet, au lendemain de son arrestation et après que soit informé le Togo, une première délégation est partie de Lomé pour Athènes et a dû rebrousser chemin, constituée essentiellement d’officiers de l’ANR, ce que l’intéressé a qualifié de « la délégation de la mort », dénonçant les conditions dans lesquelles il avait été traité pendant sa détention, notamment « la torture dont il a été victime ». Information qui fit mouche à partir du moment où le Togo, ces dernières années, s’est illustré tristement par la pratique de la torture notamment dans l’affaire de tentative d’atteinte à la sureté de l’Etat dans laquelle le frère cadet du président togolais purge une peine de 20 ans fermes. De mêmes que dans plusieurs autres affaire de droit commun.
Il a fallu la pression des Nations Unies et l’Examen Périodique Universel de Genève 202-2013 pour alerter la communauté internationale et obtenir du Togo quelques garanties fragiles contre la torture. Depuis le retour à l’ANR (Agence nationale des renseignements) de l’ex patron et tortionnaire, Massina, le retour aux vieux démons est craint alors même que ce dernier faisait partie de la première délégation, ce qui a eu un effet négatif sur l’Interpol qui a du mal à remettre l’escroc supposé à son pays ‘origine. Depuis, les deux délégations qui ont suivi n’ont pas obtenu grand-chose et Agba Bertin pourrait, dans les prochains jours retrouver sa pleine liberté si le Togo persiste dans ses dérives administratives et judiciaires.
Le Ghana au secours
Au Ghana, Agba Bertin est un roitelet. Sans trône mais roitelet tout de même. L’immense fortune dont il dispose grâce à ses « affaires » lui a permis de s’imposer et de tout obtenir. Protection, honneur, sécurité et autres facilités administratives. Contre de l’argent. Par la corruption et dans une ex colonie anglaise comme le Ghana, on est plutôt « pragmatique », l’autre épithète de « réaliste intéressé ». Il tutoie, là-bas encore, chefs traditionnels et autorités administratives et politiques. Il était en terre conquise, d’où il faisait à sa guise le tour du monde jusqu’à ce qu’il ne soit interpellé à Athènes. Mais malgré les bonnes relations supposées entre Accra et Lomé et selon nos dernières informations, les autorités ghanéennes se sont opposés à « toute extradition vers un pays tiers notamment le Togo » et exigent qu’il rallie Accra si l’Interpol ne veut pas le laisser continuer son voyage. Une délégation venue d’Accra est même allée en Grèce pour lui apporter son soutien alors que l’homme d’affaire togolais est proche de la famille de l’ancien président ghanéen, Rawlings. Il a le soutien de l’ancien homme fort du Ghana mais aussi celui de la police ghanéenne et du ministère en charge de la sécurité. Idem pour l’Afrique du Sud où il tient ses quartiers généraux.
Si cette affaire, l’Emiratigate, a nui à sa réputation au point de le faire connaitre en super escroc et donc de réduire ses chances de succès ultérieure, il a quand même su se muter en homme d’affaires et investir ce qui serait, selon les Services secrets togolais, « les rentes d’arnaque« . Il a investi au Ghana et c’est en « opérateur économique » qu’il est défendu par Accra qui fait tout pour le protéger. Selon nos informations, sa base restée à Accra met une pression maximale sur ses « amis » au gouvernement pour obtenir, contre le Togo, son retour tranquille à Accra. Et il faut ajouter qu’au Ghana, il dispose d’un puissant réseau et de contacts de hauts niveaux. Il pourrait, avec le soutien d’un pays aussi important, continuer sans difficulté son voyage.
Lomé cafouille, l’Interpol hésite
A Lomé, c’est le cafouillage. Comme d’habitude, le Togo ne prend aucune disposition particulière dans cette affaire et le chef de l’Etat l’a laissé entre les mains de conseillers et officiers sulfureux qui tâtonnent. Au ministère togolais des affaires étrangères, on « n’est pas informé, on suit l’information suit internet comme tout le monde » alors qu’il s’agit aussi d’une affaire très diplomatique. Le principe à Interpol veut que les personnes recherchées soient extradées quand les conditions d’accueil dans le pays de destination sont conformes au droit international.
Le Togo aura du mal à convaincre de cela, à partir du moment où, partout dans le monde, il est aperçu comme un Etat de torture et une démocratie approximative. La politisation à outrance de l’affaire fait aussi mouche et l’immense mobilisation du Togo montre que pour une affaire d’escroquerie où l’inculpé a déjà purgé 3 ans de prison, « on en fait trop ». Faure Gnassingbé, sachant que ses homologues trouvent sa main derrière ce scandale, a du mal à activer sa diplomatie. Malgré le soutien que le Ghana apporte à Bertin Agba et bien qu’il vive à Accra, le Togo n’a jamais ni mis une quelconque pression sur son voisin, ni convoquer l’ambassadeur du Ghana à Lomé. Faure rase les murs avec les siens, cherchant des solutions de bricolage et là, il peut être sûr ‘une chose, l’escroc présumé a de l’avance sur l’Etat.