Le pasteur Kpatcha Alou, ancien directeur du Collège protestant de Lomé, est loin d’imaginer l’importante contribution, pionnière, qu’il vient de faire par la publication en juin dernier de son livre Rencontres avec mes souvenirs (Editions Haho). Dans un pays où ceux qui occupent la scène publique et font l’histoire refusent de raconter leur passage, quand un modeste pasteur de l’Eglise évangélique presbytérienne du Togo (EEPT) se livre à ce difficile exercice, il faut bien lui tresser des lauriers.
Dans ce récit, le pasteur décrit trois phases essentielles de sa vie : son enfance et son adolescence dans le pays kabyè partagé entre tradition et modernité, son parcours scolaire entre le Togo et l’étranger, et son expérience de pasteur de l’Eglise protestante, une église en crise.
Défense des valeurs traditionnelles
Le chapitre concernant son enfance dans le village de Pya est en réalité une satire de la modernité. On pourrait l’intituler “A la recherche du temps perdu“- non pas en relation avec le fameux roman de Proust mais parce que les réminiscences du pasteur présentent une époque idyllique du village kabyè, laquelle époque tend à évoquer la philosophie rousseauiste de la nature corrompue par la civilisation. Le kabyè, qui, notons-le, tire sa pitance quotidienne d’une nature hostile voire ingrate, est vu comme extrêmement sobre, respectueux de la nature, loin de la cupidité et l’hypocrisie: "Le repas était ensuite consommé par l’ensemble de la famille. C’était dans ces rares occasions que nous mangions de la viande. Sinon, on ne tuait jamais de la volaille ou de bête pour la plaisir d’en manger. J’étais très content que les ancêtres aient une faim de moineau. Ils devaient être friands de la bonne odeur de la viande, laquelle odeur nous creusait le ventre".
A comparer avec la consommation effrénée des chiens et des porcs dans la Kozah de nos jours… !
L’auteur loue l’éducation dans la société traditionnelle kabyè; l’enfant appartient à toute la communauté et est élevé par tous. Il dénonce l’individualisme encré dans la société togolaise de nos jours où il devient carrément impossible voire dangereux de faire des remontrances ou de punir l’enfant d’autrui sans s’attirer les foudres de la famille ou de la justice. Autre temps, autres mœurs.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, selon l’auteur plus de respect était dû à la femme dans la société traditionnelle kabyè. Il ne manque pas de fustiger l’exploitation de la femme instaurée par une société de plus en plus machiste: "Il n’y a plus, de nos jours, un seul secteur au sein duquel l’adolescente, la jeune fille et la jeune femme ne subissent de pressions physiques, verbales ou morales pour offrir leur corps contre des notes, l’emploi ou la promotion. Le harcèlement sexuel semble être érigé en règle de vie. C’est ahurissant. Une société qui ne respecte pas la femme et ne prend pas soin de protéger la fille, épouse, mère, éducatrice de demain, court à sa perte".
Un passage intéressant à relever également, à l’heure où la résurgence du virus Ebola montre les faiblesses structurelles de notre système de notre système de santé sans gouvernement, l’auteur expose les bienfaits de la médecine traditionnelle et certains exploits des thérapeutes de l’époque. Un vaste savoir scientifique basé sur la connaissance des herbes et de la nature profonde, qui s’oppose aujourd’hui à tout ce qui est engendré par l’industrie pharmaceutique.
Eyadema et les fanatiques chrétiens kabyè de Pya
Le clou du livre concerne le récit concernant son expérience de pasteur de l’Eglise protestante. Le pasteur s’est épanché sur “L’Eglise dont [il] est membre, comme elle va“. Mais il dénonce de nombreuses tares, surtout la perte de la foi, du feu sacré du sacerdoce. Il ne manque pas de souligner le décalage entre “la foi et l’éthique chrétienne“.... suite de l'article sur Autre presse