Entre 53 et 250 milliards se sont évaporés pendant le règne Bikassam. Avec le blackout de la présidence, on ne saura jamais la vérité. Fausses factures, fraudes sur TVA, réquisition en espèces pour le régime, achats de matériels non adaptés, budgets gonflés et dégonflés à volonté, le scandale Togotélecom est arrivé par mille moyens. Des dizaines d’employés sont arrêtés, une enquête superficielle est lancée alors que Faure Gnassingbé tient à protéger quelqu’un qui aidait son parti plus qu’il ne vole.
En prélude à l’élection présidentielle de 2010, il avait une mission, à lui assignée par Faure Gnassingbé. Financer les parallèles de la campagne et surtout, « acheter » les petits opposants qui lèvent la voix. L’opération « ratissage large » est ainsi née. Mission vite assimilée par le directeur général de Togotélécom. Il peut compter sur deux facteurs qui lui donnent des moyens presque illimités. Primo, le monopole de la téléphonie qui fait que sa société peut, seul, fixer le prix, souvent excessifs, escroquant allègrement les usagers. En toute impunité. L’Etat s’oppose à l’arrivée de nouvelles compagnies, protégeant sa vache à «lait noir », de toute concurrence. Secondo il ne dispose d’aucune structure réelle de contre-pouvoir.
Les membres du Conseil d’Administration, souvent ses amis, étant majoritairement acquis au pouvoir, ils ne s’opposeront pas à un « détournement » au service du parti. Le ministre de tutelle, longtemps le sulfureux Kokou Dogbé, un autre « ami » de Faure Gnassingbé et depuis trois ans, Cina Lawson, puissante ministre et « maîtresse » du président de la République. Conséquence, gestion approximative, sinon hasardeuse dans laquelle s’est installée sur fond de calculs d’intérêt en toute opacité une société qui, par le passé, à renflouer les caisses de l’Etat et a souvent voler au secours d’une finance publique asséchée par la rupture de la coopération entre 1992 et 2007.
Bénéfices dilapidés et matériels sur-encombrants…
Entre 2006 et 2009, la société, dans le cadre de l’extension de son réseau a réalisé une série de commandes. Aucune n’a respecté la norme en vigueur. Pour la Banque mondiale, le principe est clair pour toute commande dépassant les 10 millions de cfa, 20.000$», le recours à un appel d’offre est obligatoire pour assurer la transparence et la concurrence« . Togotélécom a fait de la culture du gré à gré une norme, permettant à des intermédiaires et autres cadres de gonfler leurs paradis fiscaux. La somme investie pour les investissements est restée si secret que même deux membres du Conseil d’administration contactés par notre rédaction sont « juste informés des commandes », pas plus. Mais dans le bilan de la société, une somme totale de 29 milliards a été destinée à ces investissements.
Sans appel d’offres, les commandes ont été faites entre prestataires et Togotélécom, sans tenir compte des évolutions techniques en cours, conséquence, la moitié du matériel fourni avec retard est inadaptée. La société les gardera en reliques hors d’usage avant même d’avoir été livrées. Sans doute que Bikassam, le directeur général, pensait à un musée pour les y conserver, il n’en aura jamais le temps. Alors qu’une société française a proposé de livrer du matériel plus adapté, Bikassam a préféré se tourner vers la Chine accusant technologiquement quelques décennies de retard. Objectif, réaliser en pots-de-vin et autres dessous de table des sommes colossales qui sont allées à divers réseaux dont notamment des membres du Conseil d’administration mais aussi et surtout de réseaux liés au régime. Actuellement, plusieurs dizaines de matériels pour des installations centrales sont restés dans des magasins de la société parce qu’ils ne répondent plus aux normes avant d’avoir été acheminés au Togo.
Dans le cadre du plan de la campagne électorale, c’est 2,7 milliards qui seraient versés à des structures supposées proches de l’opposition pour les acheter afin de permettre la victoire de Faure Gnassingbé. Dans les faits, beaucoup moins. Dix fois moins, 30 fois moins à en croire les partis bénéficiaires. On a vu des ralliements de la Ndp, Nouvelle dynamique populaire de Glbert Atchou, de la Ndpd, Nouvelle dynmique populaire démocratique de Justin Yidi, du Nid de Dosseh Gabriel et de plusieurs autres mouvements supposés venir de l’opposition. Si quelques dizaines de millions ont servi à rapprocher certains leaders de la « nouvelle vision » de Faure Gnassingbé, dans les faits, cela n’a rien à voir avec la somme avancée et qui s’affiche sur un bilan parallèle adressé à la présidence et qui porte la mention de « soutien à la campagne électorale de 2010« . Au-delà de cette somme, pour plus de 9 milliards, la vague mention de « aides et assistances » ont suffi à rassurer Faure Gnassingbé alors que ses Services lui ont fait cas de détournements avérés et comme par hasard attribués à des rubriques liées aux fonds noirs de la société d’Etat. Togotélécom a investi, pour la seule présidentielle de 2010, plus de la somme exacte de 913 millions pour des gadgets selon une source interne bien informée. Une somme confirmée par un document recensé par les Renseignements.
Abandon de la ligne filaire a tué l’internet
L’abandon de la ligne filaire a été la décision la plus dramatique pour l’internet. C’est la principale raison pour laquelle le débit du 3G mobile au Togo est le plus bas de la sous-région. Vendu par Togocell, une filiale de Togotélécom, à 10.000f cfa par mois (20$), le forfait 3G coûte deux fois moins cher au Bénin, soit 5.000 f cfa avec un débit trois fois plus élevé. Le prix normal du forfait mensuel au Togo ne devrait pas dépasser 2.000f cfa. Il y a là une escroquerie évidente. Même chose pour l’abonnement modem. Vendu à 15.000 f cfa par mois, il coûte, pour le débit cédé, 6 fois plus cher. Prévu pour accueillir 69.000 clés, le réseau est soumis au triple. Au point même où, depuis quelques mois, les clés Togotélécom sont épuisées dans tout le pays. Sans augmenter sa capacité, la société a déjà lancé de nouvelles commandes. En tuant la concurrence et en monopolisant l’internet qu’il revend à une compagnie rivale, Moov, Togotélécom, non seulement fixe le prix qu’il veut, mais agir par rétention pour perturber le débit de Moov et de Togocell afin d’attirer vers lui la grande majorité des abonnés, conséquence, la clé Togotelecom est deux fois plus fluide que celle des autres. Pour faire face efficacement à cette situation, le retour à la ligne filaire s’impose. Le seul canal qui peut transporter le débit adapté et favoriser la fluidité est la ligne filaire, mais un accord contre-nature avec une entreprise chinoise a contraint Togotélécom à opter précipitamment pour les fixes sans fil, Illico qui a malencontreusement remplacé le téléphone fixe traditionnel. Bien que Togotélécom ait investi entre 2001 et 2009, 32 milliards pour renforcer les lignes filaires, non seulement il est devenu presque impossible d’en disposer à Lomé, sous prétexte que les zones sont toutes saturées, mais la même société abandonne progressivement un secteur dans lequel elle n’a cessé d’investir jusqu’à récemment. Quelle contradiction ? Pourquoi investir dans un domaine qu’on abandonnera dans la foulée ? Et ce qui est surprenant, alors que Bikassam est la seule personne à pouvoir répondre à cette question, il n’a été ni interpellé, ni écouté alors qu’au moins 31 de ses collaborateurs ont déjà été écoutés et une vingtaine écroués et/ou mises en examen à la prison civile de Lomé. Mais pour le régime, interpeller le patron, c’est laver le linge sale en plein air et Faure ne veut pas oser jusque-là. Il a demandé « qu’on fasse attention pour ne pas se donner la mort en voulant couper la jambe à celui » qui a mis plus qu’il a volé, au service du parti. Originaire, comme le président de la République de Piya, l’ex directeur général ne devrait rien craindre, tant que « le linge sale se lave en famille » comme il aime à le dire à ses visiteurs de soir, sauf qu’avec Faure, il ne faut jamais dormir, les pieds contre le mur, il peut vous surprendre à tout moment. Sa versatilité fait d’ailleurs tout son écho dans son camp où on l’appelle, avec très peu de risque de se tromper, « le caméléon ». Un caméléon qui a encore des couleurs à révéler.
Privatiser une partie et retourner aux lignes filaires
Un comité spécial a été mis sur pieds pour trouver les solutions qui s’imposent dans la foulée. Romain Tagba, ancien directeur de cabinet du ministère des finances nommé directeur général par intérim se bat pour trouver des solutions, solutions qui n’existent nulle part pour l’instant. Il pourra compter sur un autre ancien patron de société d’Etat, Marc Bidamon, ancien directeur général de Togocel, filiale de Togotélécom est revenu à la manœuvre, comme administrateur et membre du Conseil d’administration, un poste qui n’a pas existé jusque-là.
En lui préférant un poste aussi improbable et flou, on lui arrache tout pouvoir de directeur général, sans pour autant le conférer à Tagba, tout en lui demandant de trouver des solutions à une société qui se meurt. S’il n’a pas fait preuve d’une gestion plus rigoureuse ni même plus transparente à la tête des douanes togolaises et de Togocell, Bidamon a l’avantage, dans les deux cas, d’avoir augmenté en un temps record les recettes des deux sociétés et de paraître comme un bon manager, mais toujours soumis aux mêmes méthodes d’opacité. Il restera, selon divers témoignages, « le meilleur de tous » un meilleur qui a tout de même, lui aussi, laisser filer quelques milliards entre les doigts, au profit du régime. Il avait la manœuvre moins large pour détourner autant que Bikassam, vite apparu comme l’argentier d’un parti politique qui tient tous les secteurs financiers du pays depuis un demi-siècle.
La meilleure solution à la situation actuelle de Togotélécom, c’est la privatisation totale ou partielle. A cette option, s’opposent tous les barons du régime et autres conseillers du chef de l’Etat qui optent pour la voie de la « souveraineté », celle qui leur permet de mettre un peu d’argent à côté et surtout de pouvoir détourner aussi facilement pour eux que pour leur parti.