Le reproche est connu : l’opposition togolaise est absente du terrain qu’il laisse au pouvoir et qu’il n’investit que durant les deux semaines de campagne électorale ; la même opposition est accusée d’agir en vase clos, étant coupée de tous les réseaux diplomatiques afraicains et européens. Jean-Pierre et son parti l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC) sont en train de corriger le tir. C’est de facto une nouvelle vision de la lutte pour l’alternance dont on peut les créditer.
A l’assaut du terrain
Récemment encore, Jean-Pierre Fabre a conduit une délégation de l’ANC en tournée dans la région des Plateaux. Auparavant, c’était les régions des Savanes, de la Kara, Centrale et Maritime qui avaient été visitées par la délégation de l’ANC. On annonce une nouvelle tournée pour bientôt dans une autre région du pays. Le moins qu’on puisse en dire est que le parti orange a compris que la lutte politique doit sortir des murs de la capitale Lomé pour atteindre les profondeurs du pays et toucher les localités qui n’entendent parler des politiciens que par les « on dit » ou qui sont obligées de se contenter de la gueule des suppôts locaux qui font leur petit cinéma, périodiquement.
Jean-Pierre Fabre et son parti confient volontiers qu’ils se sont engagés pour corriger le fait. « Nous avons entamé un cycle de tournées depuis février 2014. Notre challenge est de visiter 300 localités du Togo avant la fin du programme » a expliqué Eric Dupuy, le chargé de com du parti. Six mois après, le bilan est impressionnant, indique-t-on dans le sérail de l’ANC. « Le président national Jean-Pierre Fabre a rendu visite aux populations de 173 localités depuis février », précise M. Dupuy. Le très acerbe lieutenant de M. Fabre se hâte alors d’ajouter : « certaines localités sont choisies à dessein. Celles-là sont pour la plupart celles qu’aucun chef de parti politique et prétendant au fauteuil présidentiel n’a daigné visiter auparavant ».
Faire d’une pierre deux coups donc, voilà la dynamique de Jean-Pierre Fabre. En même temps qu’il occupe le terrain et parle à ses frères et sœurs, il fait la belle surprise aux populations des localités qui ressortissent à « l’autre Togo ». Les observateurs de la politique nationale se souviennent que c’est déjà dans cette dynamique que M. Fabre et sa délégation se sont rendus l’année dernière à Djarpanga, village atypique appartenant au Togo mais situé dans une zone si enclavée qu’il faut avoir du cœur pour y aller. C’était un événement et un exploit à l’actif de M. Fabre. L’opinion se souvient que Faure Gnassingbé s’est hâté de se faire héliporter au même lieu quelques mois plus tard. « Dans tous les cas, le pionnier, c’est Fabre», commente-t-on dans les milieux des observateurs.
Dans le programme de tournées 2014, d’autres localités de la même espèce ont reçu la visite de M. Fabre : Goulougoussi, Baoudé dans la sous-préfecture de Cinkansé et Binadjoubé dans la préfecture de Bassar. A Goulougoussi, les témoins rapportent que les populations n’ont pas pu cacher leur émotion et leur joie. En plus de voir « de visu » un chef de parti politique, qui plus est de la première force d’opposition, les populations de Goulougoussi ont eu l’occasion de confier leur peine quotidienne : bien que faisant administrativement partie du Togo, leur localité vit et survit grâce au Ghana. « on se soigne au Ghana, nos enfants y vont à l’école, c’est encore dans les villages ghanéens situés à 3 ou 5 km que nous allons chercher de l’eau » a-t-on dit à la délégation de l’ANC les larmes aux yeux.
En tous ces lieux, Jean-Pierre Fabre délivre un seul et même message : les problèmes quotidiens, eau, centres de santé, écoles dans 90% des cas, trouveront un début de fin avec l’alternance politique car le camp au pouvoir ne gouverne le Togo que pour ses seuls intérêts égoïstes et claniques. Message reçu, doit-on dire, à l’image de cette déclaration du porte-parole des populations de Brounfou dans la préfecture de l’Akebou: « nous sommes aussi fatigués, car nous avons servi et obéi le régime RPT/UNIR, mais rien ne va chez nous ici. Voici la raison principale pour nous de vous suivre ».
Offensive diplomatique et médiatique
Sur le terrain au Togo, sur la brèche en Europe. Il se remarque depuis peu que Jean-Pierre Fabre alterne des activités à l’interne et à l’extérieur du Togo. En Europe, on l’a vu à plusieurs reprises dans les milieux diplomatiques français, européens et africains. Que ce soit à Paris au Quai d’Orsay, dans les bureaux de la cellule africaine de l’Elysée, que ce soit à Bruxelles, Jean-Pierre Fabre semble avoir choisi de se faire entendre et de faire entendre la voix des populations togolaises qui pensent que le Togo doit être dirigé autrement. « M. Fabre s’attache au cours de ces visites à expliquer aux interlocuteurs français et bruxellois la réalité du problème politique togolais » indique-t-on de sources proches du parti. « On a constaté que les partenaires européens ne comprennent pas tout à fait le problème politique du pays. Il faut le leur expliquer et attirer leur attention sur l’obstination atavique du système RPT/UNIR à se maintenir au pouvoir par tous les moyens » souligne-t-on aux mêmes sources.
C’est ainsi que M. Fabre a été reçu ici et là en France et en Europe, le président de l’ANC traînant son bâton de pèlerin en tous ces lieux, jusque dans les studios des médias français, essentiellement. L’offensive diplomatique est renforcée par une offensive médiatique. Les télévisions TV5Monde et France24 de même que Radio France Internationale (RFI) n’hésitent plus à ouvrir leurs studios au président de l’ANC. Une présence en Europe rime systématiquement avec des entretiens sur ces chaînes. Conséquence évidente : la lutte des forces d’opposition et d’alternance au Togo est portée à la connaissance du monde entier, du monde francophone en particulier.
Leader de l’opposition, candidat naturel ?
A l’évidence, Jean-Pierre Fabre fait la politique autrement maintenant. Ce que l’opposition ne faisait pas, les contacts diplomatiques dont l’opposition n’était pas trop friande naguère, tout cela est dorénavant au premier plan de son action politique. Cela ne suffit-il pas pour en conclure que M. Fabre est en train de mettre en œuvre une nouvelle vision de la lutte pour l’alternance au Togo ?
Preuve d’efficacité, le parti créait dans chaque localité visitée les conditions de la pérennisation de la mobilisation et du message transmis, il va sans dire que le cycle de tournées est un nouvel élément dans l’action de l’opposition. Cette action de sensibilisation et de mobilisation aujourd’hui à l’actif de l’ANC mais c’est en réalité au bénéfice de toute l’opposition.
A ce titre, M. Fabre a le mérite de se concentrer sur la vraie cible, au lieu de se tromper de cible en essayant de couler sur le terrain ses adversaires de l’opposition.
Sera-t-il sensé ou facile d’aller dire aux populations que ce politicien qui les a respectées en arrivant jusque dans leurs cours n’est pas le candidat de l’opposition pour une présidentielle? Tout peut arriver et, selon le contexte, les acteurs décideront du candidat qui convient pour l’opposition, si possibilité il y a, mais logiquement, le travail que le président de l’ANC fait sur le terrain et à l’international peut être bénéfique aux forces d’alternance si d’aventure elles admettaient la pertinence de sa représentativité. A elles de voir.