Interview de Francis Ekon, Président de la Convergence patriotique panafricaine, Cpp: «Quel que soit celui qui prendra le pouvoir, on doit savoir en amont où on va »
Alliance de quatre partis politiques de l’opposition, la Cpp, Convergence patriotique panafricaine, a quinze ans. Elle a été dirigée pendant plus de dix ans par Edem Kodjo, Ancien premier ministre, ancien Secrétaire général de l’Oua (Organisation de l’unité africaine, ancêtre de l’union africaine) très critiquée pour ses positions jugées trop modérées en faveur du pouvoir Gnassingbé qu’il a longtemps servi. Il fut d’ailleurs Premier ministre sous Faure Gnassingbé après l’avoir été sous son feu dictateur de père. Aujourd’hui, c’est Francis Ekon qui en tient les rênes. Dans une position ambiguë de l’opposition face à la présidentielle de 2015, la Cpp ne se prononce pas clairement mais appelle à une vision partagée pour régler la crise sociopolitique togolaise. Il tente de mieux l’expliquer ici dans cette interview de son actuel président Francis Ekon à Afrikaexpress. Il aura du mal à convaincre. Entretien !
Quelle était l’urgence de créer la Cpp, il y a 15 ans ?
Il y a quinze ans, lorsque plus de 650 togolais venant de tous les coins du Togo avaient décidés de mettre la Cpp sur les railles, en vue de répondre à un appel pressant des concitoyens qui demandaient à tous les partis politiques de l’opposition de se réunir, de se fondre. Cet appel venait des syndicats, des chefs traditionnels, des militants, des religieux. C’est donc selon ce souhait que dix partis de l’opposition ont entamé très rapidement des pourparlers en vue de se fondre en un seul bloc politique.
Et puis très rapidement le problème de leadership s’est posé. On va fondre dix partis politiques mais qui va les diriger puisqu’il y a dix présidents ou secrétaires généraux autour de la table. De discussions en discussions, quatre partis politiques seulement ont accepté de faire le saut qualitatif. C’était l’Utd (Union togolaise pour la démocratie) d’Edem Kodjo, Parti démocratique de l’unité de Jean-Lucien Savi de Tové, l’Uds de Cornelius Aïdam et le mien, Pad (Parti de l’action pour le développement). Nous avons crée la Cpp , et décidé de faire disparaitre donc nos formations politiques. On a pris pour premier président du parti, monsieur Edem Kodjo. C’est vrai, à la création de la Cpp, il y avait beaucoup d’espoir mais nous avons constaté que l’idéologie de la Cpp fondée sur le grand pardon de l’Utd, et puis sur l’amour de la patrie et le dialogue n’était pas compris du peuple togolais. C’est courageusement et en refusant catégoriquement d’adhérer au populisme de l’heure que nous avons continué à défendre notre idéologie.
Que mettez-vous à l’actif au bilan de ces 15 ans?
En 1999, après les élections présidentielles de 1998, c’est le président de la Cpp avec d’autres collègues qui ont pris le chemin de Bruxelles pour demander à l’Europe de venir nous aider. Et cela a débouché sur le dialogue inter-togolais qui a amené des résultats dont on ne parle plus aujourd’hui, qui d’ailleurs n’ont jamais été évalués correctement, parce que s’ils avaient été évalués nous ne serons plus en mesure de refaire les mêmes erreurs. A l’issue de ce dialogue inter-togolais, trois décisions majeures avaient été prises. Le président de la république de l’époque avait pris la décision de dissoudre l’assemblée qui était monocolore pour permettre à tous les partis politiques de participer à des élections législatives anticipées pour que l’Assemblée soit représentative de l’opinion et du Togo.
Deuxièmement, il avait pris l’engagement de ne pas toucher à la constitution, donc de ne pas l’amender, et pour finir de ne pas se représenter à l’élection présidentielle de 2003. Malgré ces avancées notables, alors que nous avons obligation de protéger ces acquis de façon extrêmement prudente, dans les discussions sur l’avant projet du code électoral, sur le fait que l’Assemblée nationale devait simplement voter en l’état, je précise bien le mot « en l’état », c’était le mot. Rien que cette situation nous a amené à boycotter les législatives de 2002. Alors que ce qui avait été changé ne mettait pas fondamentalement en cause les résultats que l’on pouvait avoir de ces élections. On ne l’a pas fait et nous nous retrouvons aujourd’hui dans cette situation de crise continue. Mais une fois de plus, c’est la Cpp qui hurle, qui appelle au dialogue ; l’incontournable dialogue il faut le respecter sinon nous sommes descendus dans la rue mais ça n’a rien donné.
Comment expliquez-vous la « vision partagée » que vous proposez aux Togolais?
Nous pensons que la vision partagée du Togo, qui sera une vision unique, négociée par tout le monde peut contribuer à régler le problème. Cela veut dire que quelque soit celui qui sera le président de la république, nous allons discuter de la vision du Togo sur les dix, vingt, trente ou même cinquante ans à venir. Et si la vision est partagée, on est sûr que celui qui vient gouverner le pays a une feuille de route qui lui permet d’avancer. Quel que soit celui qui prendra le pouvoir après, tout le monde sait où on va, et la bataille ne sera plus celle de programme mais d’homme. Cette bataille d’homme ne sera pas ardue parce que nous savons que cette personne qui va prendre la tête du pouvoir saura en fonction du programme qu’on a pour le pays, il ne peut choisir que des hommes valables, capables de conduire le programme. Et s’il n’arrive pas à conduire le programme, son évaluation sera faite beaucoup plus rapidement.
Aujourd’hui, on ne pense plus qu’au fauteuil présidentiel, personne ne se soucie de savoir si la personne qui va prendre le fauteuil présidentiel sera à même de régler les problèmes fondamentaux de l’heure qui sont le chômage de la jeunesse, l’infrastructure, la santé, autant de problèmes. Et même, les problèmes politiques de la sous-région, avec le terrorisme. Nous ne pouvons pas dire face à cette situation qu’un bon homme va appartenir à tel ou tel courant politique, et va être élu pour diriger notre pays. Nous sommes obligés de bien regarder la personne qui va diriger notre pays, si elle a les compétences, on doit pouvoir voter pour elle. C’est la « vision partagée ». Une fois que nous nous sommes mis d’accord sur ce qu’il faut faire, nous allons courageusement choisir la personne qui peut conduire notre pays vers des destinées négociées. C’est ce que la Cpp propose aujourd’hui, si nous arrivons à cela les tensions seront moindres parce que nous aurons à apprendre à travailler ensemble.
Que faites-vous alors pour partager cette vision aux Togolais ?
Nous allons communiquer, bien sûr avec le soutien des médias. Je suis sûr que des gens vont commencer à jeter l’anathème sur ce point de vue, ce qui arrive souvent quand la Cpp sort une idée nouvelle. Nous allons faire notre proposition, mais il faut aussi avouer que nous avons besoin de moyens. Les togolais doivent comprendre qu’il faut des cotisations de membres dans les partis politiques et ne pas tout attendre du président.
Propos recueillis pour Afrikaexpress
à Lomé par Eli Goka