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Sénouvo Agbota ZINSOU: l’art de la dérision
Publié le lundi 8 septembre 2014  |  icilome


© Autre presse par DR
Le président Faure Gnassingbé et Gilchrist Olympio fondateur de l’UFC (opposition)


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Togo - Eyadèma était un éléphant. Non seulement parce qu'il l'avait dit lui-même, avec, bien sûr, un brin de vantardise et nous nous étions moqués dans les années 90, mais parce que certains Togolais avaient perçu ce qui pouvait se cacher derrière la métaphore animalière. Massif, immense, il occupait de l'espace, tout l'espace politique et ne s'imaginait, n'admettait pas un autre animal, politique s'entend, sur la scène togolaise, fort, puissant, il écrasait, ravageait, détruisait sur son passage tout ce qui pouvait sembler vouloir se mettre en travers de son chemin. Conscient cependant qu'il mourrait un jour, il ne se voyait de successeur que issu de sa progéniture. Nous le savons tous maintenant.

Pachyderme,cynique, il était naturellement insensible à tout ce qui n'était pas son pouvoir ou ne contribuait pas à son pouvoir : vies, sang des autres, souffrance, douleurs n'avaient aucune valeur quand il s'agissait de les utiliser au renforcement, à l'accroissement de son pouvoir, lorsque celui-ci vacillait.

Mais, il savait aussi se mettre dans la peau de Yévi et c'est dans la peau de ce dernier animal qu'il savait user de diversion : le principe est simple, connu comme tactique politique. Il s'agit de détourner notre attention des vrais sujets qui devraient l'occuper et de la porter sur autre chose. Yévi en a usé à perfection dans un conte. Il jura au roi qu'il relèverait le défi qui consiste à cultiver un champ plein d'herbes piquantes, de fourmis et autres insectes, du matin au soir, sans se gratter une seule fois.

La récompense, s'il réussissait son pari, serait un bœuf que le roi lui donnerait. Tandis que, armé de sa houe Yévi travaillait, que naturellement herbes et insectes le piquaient de partout et que tout aussi naturellement, il s'ensuivait des démangeaisons, Yévi faisait semblant de montrer la peau, par où cela le démangeait et répétait: «Roi, roi, est-ce cette peau rugueuse, rugueuse, rugueuse...que vous avez dit de ne pas gratter?». Et, autant de fois il répétait « rugueuse, rugueuse...», ce qu'il faisait tout son saoul, il se grattait, cela s'entend. Le roi qui voyait bien la main qui montrait la peau et celle-ci mais pas le geste, répondait à Yévi: «Oui».

Évidemment, vous direz qu'il faut que ce roi soit borgne, aveugle ou suffisamment con. Oui, le conte a voulu qu'il fût con. Et, en matière de connerie, ne commettons-nous pas souvent celle de croire que tous ceux qui portent des titres de Rois-Généraux-Présidents-Maîtres-Docteurs, c'est-à-dire ceux qu'on offense par des crimes de lèse-majesté, ne puissent jamais en faire, de conneries? Même si la nature de ces personnages est de croire qu'ils ont toujours raison parce qu'ils sont les plus malins. Ce n'est donc que pur réalisme si le conte traite de cette manière notre roi. Mais il y a encore plus réaliste. C'est la leçon de morale à tirer de ce conte, ou plutôt les leçons, car il y en a deux.

La première, c'est la diversion dont nous parlons et dont usait souvent Eyadema ou son régime : des plus sanglantes comme la tragédie de Sarakawa, aux plus comiques comme ses théâtrales fausses sorties qui occasionnaient des manifestations, des défilés de foule vers la présidence pour le supplier de rester au pouvoir. Cela occupait les foules, ou pour mieux dire, les foules faisaient semblant d'en être préoccupées.


J'avais déjà publié un article intitulé«Les éléphanteaux1». Les héritiers d'Eyadèma se trouvent aussi bien dans le camp du pouvoir que dans celui de l'opposition : nous en convenons, n'est-ce-pas ? ( pour parler comme lui). S'ils sont héritiers, éléphanteaux, ne le sont-ils pas aussi, petits Yévi? En tout cas, si leaders de l'opposition et tenants du pouvoir s'entendent sur une affaire aujourd'hui, c'est, me semble-t-il, l'affaire Bodjona. J'ai bien dit «me semble-t-il», car je ne veux pas donner l'impression de faire un procès d'intention à qui que ce soit. Mais, j'ai bien l'impression qu'on veut que nous nous en préoccupions.

C'est au point qu'un groupe d'«amis de Pascal Bodjona», recrutés on ne sait comment, fait un sit-in devant le domicile de ce dernier, devant le tribunal, devant la prison... pour réclamer sa libération». Jusque-là, ce n'était peut-être pas très grave. Mais voilà que nos deux grands collectifs de partis politiques de l'opposition, en conclave depuis plus d'un mois, sortent un communiqué commun pour dénoncer le procès politique déguisé en affaire d'escroquerie ( ce qui est peut-être le travail des avocats qui dirigent les deux collectifs, mais n'est pas forcément ce que le peuple togolais attend d'eux, en tant que politiques.) Il y a encore pire: on nous parle de Bodjona comme d'un opposant.

On aura tout vu, tout en entendu au Togo. L'occasion fait le larron, non, pardon, la prison conduit à l'opposition! Pendant ce temps, le peuple attend de savoir quelles sont les décisions vraiment politiques qui sont prises, ou au moins les problèmes vraiment politiques qui sont discutés au cours du conclave. Au moins, des volutes de fumée noire en attendant la grande colonne de fumée blanche! Mais non, le feu est allumé ailleurs! Quoi? Ils disent que c'est l'absence de réformes qui favorise ces abus de pouvoir que sont l'arrestation et l'emprisonnement de Bodjona?

D'accord, mais alors, il faudra que les cas individuels de tous les citoyens victimes de l'absence de réformes fassent l'objet d'un communiqué des collectifs de l'opposition. Il en faudra même pour rendre justice à ceux qui avaient été les victimes de Bodjona quand celui-ci était du côté du pouvoir.
Combien y en aura-t-il alors par jour? Par semaine? C'est à croire que nos politiciens n'ont pas autre chose à faire, où alors qu'ils confondent tribunal et tribune politique, plaidoyer d'avocats et communiqué de partis politiques. Et si c'est une manœuvre consciente de diversion de nos leaders de l'opposition, est-on sûr que ce n'est pas le pouvoir qui en profite le plus? Que les tenants de ce dernier ne ricanent pas secrètement en se disant :«Merci, messieurs de l'opposition de faire fructifier notre invention»?. «Les collaborateurs d'une légende sont à la fois trompeurs et trompés2», écrit Ernest Renan. Sommes-nous en train d'assister à la naissance de la «Légende de saint Pascal»? Pour moi, personne, ni au sein de l'opposition, ni du côté du pouvoir ne croit que Bodjona soit un opposant. Qu'il soit un escroc ou non, ça, c'est une autre question à laquelle je ne suis pas mieux qualifié pour répondre que nos hommes de loi. Mais, mon simple bon sens me dit que le Togolais moyen ne peut croire Bodjona innocent de tout crime au Togo. Malgré son beau prénom, il n'est pas l'Agneau «qu'on mène à la boucherie»3, comme l'écrit le prophète.

La deuxième leçon, c'est que Yévi ayant relevé le défi, eut la récompense, le bœuf. Mais, j'avais oublié de vous dire que c'est la Tortue qui lui avait conseillé la ruse pour se gratter la peau sans que le roi le sache. Seulement, vous le connaissez, il n'aime pas partager. Il dépeça la viande, mit les morceaux dans une grande bassine, chargea la lourde bassine sur la tête et s'en allait tranquillement chez lui. La tortue le supplia en vain de lui donner quelques-uns des morceaux. Alors, elle en parla à plusieurs de ses sœurs qui convinrent de lui administrer une bonne leçon. Chacune se déguisa en génie, monstre, tout ce que vous voulez. Imaginez des tortues habillées, maquillées, portant foulard ou casquette de différentes couleurs, à deux, trois...dix têtes. Elles se mirent sur les différentes étapes du chemin menant chez Yévi. A chaque étape, apparaissait un démon qui effrayait Yévi. «Que veux-tu?» disait-il en tremblant, en claquant des dents.

Épargnez-moi les détails, car je ne vous dirai pas que dans son effroi, il ne contrôlait plus du tout ce qu'il émettait. «Que veux-tu? Ô grand génie, grand Vaudou que mes pères ont toujours adoré?» « La tête du bœuf», «la patte antérieure droite du bœuf», la patte postérieure gauche du bœuf», « la patte antérieure gauche du bœuf», «la patte postérieure droite du bœuf», «les boyaux du bœuf»...Je ne sais plus dans quel ordre exactement, mais Yévi fut obligé de tout céder et n'avait plus que la bassine vide sur la tête en arrivant chez lui. Trompeur trompé, c'est facile à deviner.

Bref, la diversion ne paie pas indéfiniment, la diversion ne payera pas toujours. Elle n'a pas payé Yévi, elle ne payera pas nos petits Yévi, je veux dire nos petits malins à quelque camp qu'ils appartiennent. Et, dites-moi à qui profite finalement toute la viande gagnée par Yévi, en récompense de sa diversion bien réussie?

Sénouvo Agbota ZINSOU


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