Interview de MAX-SAVI Carmel, Journaliste d’investigation et Fondateur de Afrikaexpress: «Nous sommes un juste milieu entre le Monde diplomatique et Médiapart, un média dense et d’investigation mais surtout une innovation»
Publié le mercredi 24 septembre 2014 | Afrika Express
Afrikaexpress est le nouveau-né de la presse togolaise en ligne et fait déjà parler de lui, avec une multitude d’articles d’investigation bien relayés par la presse locale. Avec pour vocation de s’étendre progressivement à l’Afrique francophone, il a vu le jour à Lomé, à l’initiative de quelques journalistes. Le 25 septembre prochain, une cérémonie de lancement est prévue alors que depuis la toile, le média dérange beaucoup.
Des articles qu’on dit « osés », et des enquêtes qui s’enchainent. Pour son fondateur, ce n’est « ni une Agence de presse, ni un site internet, c’est un média tout court, dynamique et complet« . A la veille du lancement, MAX-SAVI Carmel se livre dans une interview préparatoire qui dit tout sur son « opus » et qui relance le débat sur l’avenir de la presse en ligne en Afrique et revient sur le lancement officiel. Un lancement auquel vous êtes invité ce jeudi.
Depuis quelques semaines, Afrikaexpress est apparu sur la toile et fait son chemin, qu’est-ce qui a motivé une telle initiative ?
Je fais une thèse sur les nouveaux médias à Paris après un Master à l’ESJ-Paris (Ecole Supérieure du Journalisme, Ndlr) et une série de formations à Sciences Po sur le même sujet. J’ai vite compris que la meilleure manière de faire ma thèse, c’est d’essayer ce que je veux proposer. Dans la pratique. Certains fidèles collaborateurs avec qui j’ai mené d’autres projets m’ont apporté leurs soutiens et Afrikaexpress est né. Depuis deux ans, je travaille à un projet de média en ligne, véritable média dynamique, complet et évolutif, adapté aux réseaux sociaux avec pour principal socle, l’investigation. C’est ainsi qu’est né Afrikaexpress. Avec plusieurs avantages, non seulement le ton de liberté est préservé par l’impossibilité de sanctionner matériellement (par une suspension par exemple) votre média, mais vous faites un journalisme pratique et remis en cause par l’apport des observateurs à travers des réseaux sociaux. C’est donc un produit proposé à des consommateurs qui participent à sa conception, cela répond mieux à leurs besoins, à leurs exigences.
Avec des articles parfois trop osés ?
L’audace est notre motivation dans le métier. Le journalisme normal et régulier existe déjà. Nous ne pouvons pas innover en faisant comme les autres. Faire autrement, c’est apporter des touches subtiles dont l’audace. Pour nous, le journalisme n’a pas de limite (imposée par des diktats), il a des frontières que nous imposent le bon sens, la déontologie, la conscience, la bienséance.
Votre site a déjà, à peine né, à son actif plusieurs révélations et grands dossiers, comment vous y arrivez aussi aisément ?
Aisément ? Non. On y arrive même très difficilement. Ce sont de longues enquêtes, menées de fond en comble, souvent pendant plusieurs mois voire années, avec la contribution d’une multitude de sources. C’est un immense travail qui se fait d’abord en équipe, ensuite au niveau de la rédaction, enfin avec l’apport des observateurs. Chaque dossier nécessite aussi un investissement financier, important, souvent colossal qu’il faille trouver. Rien n’est moins évident.
Vous publiez souvent de très longs articles, ce qui n’est pas évident sur le net.
Nous sommes un mélange du Monde diplomatique et de Médiapart. Donc un média d’investigation qui fera ou fait déjà de longs articles. Il s’agit de dossiers complets pour permettre aux lecteurs d’en saisir l’essentiel. Nous voulons aussi mettre les lecteurs au travail à travers la lecture.
Vous avez dit sur votre page Facebook que Afrikaexpress, ce n’est pas seulement un média, c’est un concept innovant pour l’Afrique ?
C’est avant tout un média, un journal, véritable média en ligne. Il ne s’agit pas d’un site internet, encore moins d’une agence de presse, il s’agit d’un journal en bonne et due forme, avec les corollaires caractéristiques. Mais un journal tourné vers l’investigation. Nous voulons aller au fond, fouiller, fouiner, dénoncer et ouvrir le débat. Ce qu’aucun média ne fait en ce moment au Togo. C’est l’occasion de donner à l’Afrique un espace de média rigoureux et professionnel, sur un support qui n’est pas très fiable dans l’appréhension générale, l’internet. Nous amenons ainsi l’Afrique à être sur le net, avec la « percutance » et la pertinence nécessaire, nous nous approprions le web comme un véritable média.
Est-ce qu’il y a des avantages à être en ligne que sur d’autres supports ?
Oui, sans doute. Les frais les plus importants passent par la distribution et la production. Vous échappez à l’une et à l’autre. Nous ne faisons pas de distribution ni de production en imprimerie. Il y a une production qui s’assimile à l’édition et qui est plus facile. La production et la distribution consomment 60% du coût d’un journal papier. L’autre avantage, c’est d’être accessible de partout. Nous avons atteint facilement 25.000 clics sur un seul article, ce n’est pas possible d’avoir 25.000 lecteurs actuellement en Afrique pour un journal papier. Ce qui est aperçu au départ comme une limite est devenue, dans notre cas, un avantage.
Deux articles que vous avez publiés sur les réseaux rwandais et la franc-maçonnerie au Togo ont suscité beaucoup de réactions. Comment avez-vous accès aux informations ?
Je suis moi-même d’abord un journaliste d’investigation. Le reste, c’est grâce à mon équipe, jeune, dynamique et surtout, déterminée. Le plus important pour des journalistes, ce n’est ni la plume ou l’enregistreur, c’est un cahier d’adresses. Des hommes et des femmes qui peuvent tout vous dire, sans réserve parce qu’ils vous font confiance et son protégés par vous. Le reste vient aisément.
Vous disiez que afrikaexpress va au-delà de afrikaexpress.info ?
Oui, le site internet est l’un des produits. Nous avons ensuite des abonnements spécialisés et adaptés à chaque client puis un volet formation sociale très importante. L’autre volet, c’est l’édition, il y a Les Éditions Afrikaexpress qui vont publier des livres d’enquêtes et d’investigation, une manière de mettre des journalistes togolais au travail. Ils n’écrivent pas assez.
Mais comment peut vivre un média comment le vôtre ? Comment pouvez-vous rentabiliser les investissements ?
Par la fiabilité et l’accumulation de crédit. Nous avons déjà quelques abonnements, sans doute à cause de la crédibilité que suscitent nos articles. La prochaine étape sera celle de quelques articles payants. Il est aussi possible de faire des dons pour nous soutenir. Nous arrivons ainsi à bien payer le personnel, en gardant une marge suffisante pour le développement de la structure. Et dites-vous, nous n’en sommes qu’au début. Nous nous attendons à des améliorations futures qui vont stabiliser nos recettes.
Quelle relation entretenez-vous avec les médias traditionnels ?
Il n’y a aucune relation particulière. Pour le moment, la plupart de nos grands articles sont relayées, sans conditions. Des discussions sont en cours pour aller vers un partenariat avec les journaux, la presse écrite notamment au Togo. Mais aussi les radios et télévisions. C’est un vaste projet qui prendra du temps à se mettre totalement en place.
Le nom fait penser à l’Afrique mais vous êtes plutôt très togolais ?
On est avant tout un média en ligne au Togo et sur le Togo. L’Afrique est une perspective en développement chez nous. Il aura d’autres relais sur le continent, notamment dans les pays voisins, mais nous n’en sommes pas encore là. Nos moyens ne le permettent même pas vraiment.
Comme le Togo, plusieurs pays d’Afrique n’ont pas de cadre légal pour la presse en ligne…
Les États généraux de la presse qui ont eu lieu cette année à Kpalimé (du 30 juin au 2 juillet, Ndlr) au Togo y ont consacré une part des travaux. A notre niveau, nous allons lancer un lobbying dans ce sens. Le cadre légal nous permet de bénéficier de l’appui de l’État et de pouvoir exister comme tout média, normalement. C’est aussi bien à l’avantage des médias que des autorités diverses, cela est une nécessité capitale. Il faut y pousser le parlement. Certains pays ont déjà beaucoup avancé sur ce plan.