Qui a fait un tour vendredi dans l’environnement du palais des congrès de Lomé, a dû se rendre compte d’un attroupement inhabituel.
Des bus chargés de dizaines de jeunes les déversaient avec frénésie tout autour de ce palais. Des groupes folkloriques étaient aussi là avec leurs tambours et traditionnels instruments de musique ainsi qu’un détachement de la cavalerie nationale.
Dans la grande salle, étaient massés les chefs traditionnels emmitouflés dans leurs imposants pagnes de chefs. Des élèves étaient eux-aussi mobilisés, des chorales, des troupes de théâtres et de sketches, des corps constitués pour la plupart vêtus de tee-shirts qui proclament les valeurs citoyennes.
Tout ce folklore ne venait en réalité pas du néant, c’était bien le jour du lancement officiel du fameux « mois du civisme et de la citoyenneté » au Togo dont on nous a rebattu les oreilles ces dernières semaines à travers des spots publicitaires abondamment et exagérément diffusés par les chaînes publiques nationales.
L’évènement est placé sous le haut patronage de « Monsieur le Président de la République, Son Excellence Faure Essozimna Gnassingbé » et lancé justement par Monsieur le Premier Ministre, Son Excellence Arthème Kuessi Séléagodji Ahoumey-Zunu, entouré pour la circonstance de plusieurs membres du gouvernement ainsi que des diplomates et partenaires au développement.
Trois interventions majeures ont marqué cette cérémonie de lancement de ce mois du civisme, celle de l’ancien Premier Ministre Joseph Kokou Koffigoh, désigné comme personne ressource pour entretenir l’assistance sur le concept de la citoyenneté et ses différentes implications morales.
Elle sera suivie de celle de Mme la ministre de la communication et de la formation civique. Kouméalo Anaté a beaucoup martelé sur la nécessité pour tous les togolais de s’approprier les valeurs citoyennes, d’œuvrer pour l’enracinement effectif de ces valeurs au Togo afin de garantir l’éclosion effective de la démocratie dans notre pays.
Le Premier Ministre lui, ne fera pas trop d’efforts pour faire passer son message.
Il lui a suffi simplement de s’appuyer sur une longue citation de son Chef, Faure Gnassingbé qui, lors de son discours du 26 avril 2014 disait ceci :
« Les valeurs citoyennes de respect de la chose publique doivent s’imposer à tous comme une ardente obligation.
Agrandir sa maison en mordant sur la voie publique, jeter des ordures et des déchets de toutes sortes dans la rue, encombrer sciemment les trottoirs qui viennent d’être rénovés, ne pas respecter les voies, les ponts, les chaussées réaménagés à grands frais, bloquer la circulation piétonne en envahissant les trottoirs, boucher les caniveaux destinés à évacuer les eaux de pluie, se faire transporter à trois ou à quatre sur une seule motocyclette, jeter les eaux usées dans les rues sont des attitudes qu’il est urgent d’abandonner.
Nous devons revenir à des réflexes citoyens, que nous avons perdus de vue depuis quelques temps. Le respect de la chose publique est une valeur fondamentale que nous devons préserver, car le développement est à ce prix ».
Avec cette litanie de vœux et de leçons professés par Faure Gnassingbé et amplement repris par son Premier Ministre, l’on pouvait en réalité dire que la messe est parfaitement dite. Les citoyens togolais se devraient justement de se plier d’emblée à ces prescrits de leur cher Président.
Mais l’on remarque que ce discours du Chef qui a eu lieu il y a déjà plusieurs mois, n’a laissé aucun impact sur les togolais. Et il est fort à parier que même sa reprise vendredi par le Premier Ministre ne laissera non plus aucun impact évident sur ce peuple qui semble ne guère s’intéresser aux gesticulations de ses dirigeants.
Ces observations nous amènent d’ailleurs à nous interroger sur les résultats auxquels va aboutir ce fameux mois de propagande politique sur l’idéal d’un « Citoyen actif et responsable pour un Togo prospère ».
Mme Anaté dit que durant tout ce mois d’octobre, elle et son équipe vont sillonner toutes les régions du Togo pour professer ce message de la citoyenneté dont la vision a été actée depuis le 12 juin 2014 par le gouvernement dans « une politique nationale de formation civique et d’éducation à la citoyenneté ».
En attendant d’évaluer les résultats que cette propagande politique aura à générer au sein des citoyens togolais, il nous semble opportun d’inciter nos dirigeants à un interrogatoire introspectif sur leurs propres comportements et agissements.
Sont-ils eux-mêmes en phase avec les exigences de la citoyenneté telles que développées vendredi par Me Joseph Kokou Koffigoh ?
Rappelons ce qu’a dit cet ancien Premier Ministre qui a aussi été en 2005, président de la Commission d’Etablissement des Faits après l’horreur post-électorale qui avait engendré au moins 150 morts selon le rapport que cette commission avait à l’époque établi.
Joseph Kokou Koffigoh dit que la citoyenneté impose des droits qui " couvrent la panoplie des besoins de l’homme, d’abord son intégrité physique puis ce qui émane de lui, ses pensées et leur matérialisation en parole, par écrit, par action et si j’ose dire, par omission. Les rapports avec autrui, les rapports avec l’Etat, la nécessité de l’intervention d’une justice équitable et impartiale en cas de conflit ou de manquement, la présomption d’innocence, etc. le droit à la santé, à un environnement sain, le droit à l’éducation, le droit au logement, à l’alimentation et, en général, au développement".
Me Koffigoh a aussi cité la Constitution comme étant un instrument clé qui renferme les prescrits sur la citoyenneté ainsi que les instruments juridiques internationaux auxquels se réfère cette loi Fondamentale.
En termes de devoirs qui s’imposent à tout citoyen, l’ancien Président de la Commission des Faits post-électoraux au Togo les a habilement regroupés en « 12 commandements du bon citoyen ».
Au sixième commandement, Me Koffigoh formule ce qui suit : « Si tu es une autorité, accomplis tes devoirs avec probité et impartialité. Fais régner la justice et la paix et aime chaque citoyen comme toi-même ».
Au septième commandement il ajoute ceci : « Quelle que soit la place que tu occupes dans la cité, combats la corruption, les détournements et les fraudes ».
Arrêtons-nous là et procédons à une analyse de ces exigences par rapport aux comportements et agissements de nos dirigeants. Nous découvrirons –là la racine principale de l’incivisme actuel que l’on observe au Togo.
D’abord qu’est-ce que la Constitution exige du Président de la République en termes de devoirs ?
Qu’il doit déclarer ses biens avant toute prise de fonction. Qu’il doit faire annuellement l’état du pays devant l’Assemblée Nationale. Faure l’a-t-il fait ? Jamais ou presque.
La Loi Fondamentale exige aussi de lui de veiller au fonctionnement normal des institutions de la République et d’agir en garant des libertés publiques pour tous les citoyens.
Le fils-héritier veille-t-il au fonctionnement normal des institutions de la République ? Manifestement non.
Garantit-il l’impartialité, l’équité de la justice au Togo ? Se préoccupe-t-il de la nécessité pour la justice de respecter la Présomption d’innocence dans les procédures judiciaires ?
Le dossier Kpatcha Gnassingbé, celui des incendies ou la rocambolesque affaire Bodjona où la justice s’est montrée particulièrement ordurière, constituent la réponse à ces questions.
La formule de Kokou Koffigoh qui dit « Si tu es une autorité, accomplis tes devoirs avec probité et impartialité. Fais régner la justice et la paix et aime chaque citoyen comme toi-même » s’applique plus à qui au Togo ?
A Monsieur le Président de la République qui, s’il aimait chaque citoyen comme lui-même, aurait déjà réparé les torts causés par les violences à caractère politique dont un pan a d’ailleurs été établi par Joseph Kokou Koffigoh lui-même en 2005 après l’accession de Faure au pouvoir.
Il se serait préoccupé du cas des deux élèves lâchement abattus à Dapaong par ses propres forces de l’ordre, ou indemniser les journalistes de Togo Presse et de la TVT mort et blessés dans un accident du convoi qui le suivait pour Aneho en 2009, ou encore des morts et des blessés après l’accident du camion qui transportait les pauvres populations de Sarakawa qui sont venus l’accueillir au palais des congrès de Kara au lendemain de son retour triomphal d’Israël après les fallacieuses allégations de sa mort.
Sur l’impératif de combattre la corruption, les détournements et les fraudes dans le pays, le constat est tout aussi triste.
Le rapport GFI dit qu’entre 2005 et 2011, la corruption, les blanchiments d’argent, la criminalité ont occasionné la sortie illicite de 8.233 milliards de fcfa du Togo vers des paradis fiscaux.
Faure combat-il ces fléaux dans notre pays ? Non, au contraire, il les entretient et les encourage par le maintien à des postes stratégiques du pays, des gens véreux et particulièrement dangereux pour l’économie nationale.
Il les entretient aussi par cette culture d’impunité qu’il a érigée en mode de gouvernance depuis son accession au pouvoir.
Et lorsque dans son propre discours il parle du « respect de la chose publique », beaucoup de togolais s’interrogent sur sa capacité à respecter lui-même cette chose publique.
Pourquoi a-t-il refusé de déclarer ses biens avant sa prise de pouvoir en 2005 ?
Sans doute qu’il savait qu’il ne pourrait pas respecter cette chose publique en restant droit dans sa gestion.
La preuve, combien de résidences s’est-il fait construire au Togo pendant les 4 premières années de son mandat et avec quel argent ?
La preuve encore il multiplie ses voyages clandestins et privés à bord des Jets privés loués à coups de millions avec l’argent du contribuable togolais pour suivre du théâtre en Italie ou bien d’autres villégiatures personnelles.
C’est encore avec cet argent qu’il huile les réseaux mafieux de démarcheurs auprès des juridictions internationales pour soit obtenir des arrêts au rabais, soit avoir la tête de ceux qu’il soupçonne d’être des dangers pour son pouvoir.
Il faut simplement reconnaître que le gaspillage et le pillage des ressources de l’Etat à des fins futiles sont bien le propre de nos dirigeants actuels.
Il suffit de voir ce que leurs bêtises juridiques et leur abus de pouvoir ont déjà causés comme tort au trésor public pour s’en convaincre.
L’affaire avec le groupe Elliot représenté au Togo par Togo Electricité a coûté au moins 29 milliards au trésor public togolais. Celles de Kpatcha Gnassingbé et des 9 députés ont coûté pratiquement le milliiard de fcfa. Qui dit mieux ?
De quels civisme et citoyenneté veut-on nous parler aujourd’hui ? La charité bien ordonnée commence toujours par soi. Et mieux, dans la gouvernance d’un Etat, on dirige toujours par l’exemple….
Tous les togolais attendent donc que leurs dirigeants leur donnent des gages de sérieux, de probité morale, d’impartialité, de responsabilité, d’amour pour la patrie etc. pour les suivre dans la dynamique.
Autrement, toutes les initiatives superficielles, orientées vers autrui, ne feront pratiquement rien.
C’est d’ailleurs en cela que nous trouvons particulièrement pertinente cette observation de Mme Anaté Kouméalo :
« Aujourd’hui, tout le monde se plaint du délitement des valeurs civiques et citoyennes dans notre pays.
Dans la recherche des causes, on est facilement enclin à accuser les autres. Mais combien sommes-nous à nous interroger sur notre propre responsabilité face aux écarts de comportements que nous relevons quotidiennement… ? »
Retournons l’observation à nos dirigeants et invitons les à une profonde méditation. Est-il civique de mentir, de dribbler, de fuir ses propres responsabilités et engagements pris devant le peuple togolais et la Communauté Internationale ?
Est-il possible d’infuser les valeurs civiques à un peuple quand celui-ci sait d’avance que ces valeurs sont littéralement bafouées par l’autorité elle-même ?
Comment le pouvoir de Faure Gnassingbé peut-il espérer pouvoir inoculer les valeurs civiques au peuple togolais quand tout le monde voit ce régime vaciller au quotidien au point de rentrer dans la banalisation systématique de la vie humaine et des valeurs républicaines ?
Faure Gnassingbé et ses affidés se sont au moins interrogés sur ce qui a provoqué le brutal incivisme au Togo alors que notre pays était qualifié jusqu’à une date récente, de "Suisse de l’Afrique" du fait du comportement décent et particulièrement digne du Togolais que le Premier Minisitre Ahoumey-Zunu a d’ailleurs rappelé vendredi ?
Il aurait suffi que nos dirigeants se posent une telle question pour se rendre compte que cet incivisme est lié au lâche accaparement du pouvoir durant un demi-siècle par le père et le fils sans le Saint-Esprit....
Tout cela à travers des méthodes peu orthodoxes de vols et de fraudes des résultats électoraux, l’usage éhonté de la violence sur d’honnête citoyens, l’accumulation des frustrations à travers une culture empirique d’injustice sociale etc...
Au final ce "mois de civisme et de citoyenneté va ressembler de près à un vrai dilatoire aux yeux de nombre des togolais".
La racine de ce fléau doit être exhumée par Faure Gnassingbé lui-même dans son attitude et son comportement face aux majeurs défis qui se posent au pays.