Dans l’établissement des budgets annuels, la part de la masse salariale demeure un paramètre d’envergure pour tout gouvernement qui cherche à se projeter vers l’avant en maîtrisant ses dépenses. Lancé depuis le début de l’année pour augmenter les recettes des régies financières que sont les services des Impôts et des Douanes et lutter contre la corruption, l’Office togolais des recettes (OTR) s’apparente de plus en plus à un gouffre financier qui, si rien n’est fait pour arrêter l’hémorragie, risque de mettre à terre l’économie déjà mal en point du Togo. Les données chiffrées à venir permettent de comprendre pourquoi les responsables de cet office font planer l’omerta sur les salaires et autres avantages. Parce que la réalité fait hérisser les cheveux et s’apparente à un crime économique organisé.
Selon les informations chiffrées en notre possession, les services des Impôts comptent 264 agents à la date du 17 juillet 2014, pour une masse salariale mensuelle dépassant les 101 millions, soit plus de 1,212 milliard de FCFA par année. Les services des Douanes totalisent à la même date un effectif de 630 agents pour une masse salariale mensuelle de plus de 134,880 millions de FCFA, soit plus de 1,618 milliard de FCFA. Hormis les agents des Services généraux qui sont aussi payés sur le budget de l’OTR, les services des Impôts et des Douanes cumulent au total un budget annuel de plus de 2,830 milliards de FCFA !
Sans compter les agents des Impôts qui ont été recrutés dans le mois de septembre. Mais contre quelle productivité cette masse salariale est-elle versée? Pour les sceptiques sur notre base de calcul, les lignes qui suivent pourront servir d’éclaireurs. Le total de la masse salariale a été obtenu après que nous avons réparti les effectifs de chaque grade et effectué les calculs correspondants. Les allergiques aux chiffres n’y comprendront que dalle. Mais encore, il n’a pas été tenu compte de la dernière vague des agents des Impôts qui viennent d’être recrutés.
La nomenclature des grades à l’OTR varie du grade 8 au grade 1. Et dans l’ordre décroissant, on réalise que les agents des grades 8 et 7 sont des cadres supérieurs d’orientation, de conception, de direction et de supervision. Les grades 8 – les commissaires généraux des douanes et impôts – sont rétribués à 1.339.144 FCFA comme salaire taxable.
Ceux du grade 7 perçoivent 986.738 FCFA. Les agents du grade 6 sont des cadres moyens qui participent aux travaux de conception, de coordination et de supervision. Leur salaire taxable est de 677.963 FCFA. Le grade 5 est constitué du personnel de maîtrise qui encadre les équipes opérationnelles mises à sa disposition. Les agents de ce grade perçoivent 469.875 FCFA. Les grades 4 et 3 sont constitués du personnel technique ayant au minimum la licence comme diplôme et touchent respectivement 342.338 F et 288.638 FCFA comme salaires taxables. Le grade 2 est composé du personnel d’exécution dont le niveau minimum requis est le Bac II. Contre ce diplôme, ils sont rétribués à 198.019 FCFA comme salaire taxable. Ceux du grade 1 appelés personnel d’appui dont l’essentiel des travaux exécutés est manuel, ne nécessitent pas de connaissances particulières. Le niveau requis à ce grade est le BEPC ou son équivalent.
Pourtant, leur salaire taxable est de 135.593 FCFA. Sont classés dans ce dernier grade les gardiens, les chauffeurs, les nettoyeurs, les plantons et assimilés. Et pourtant, au Togo de Faure Gnassingbé avant les revendications de la Synergie des travailleurs du Togo (STT) qui ont permis une sensible amélioration des conditions de certains travailleurs, un docteur nouvellement engagé après huit années d’étude, percevait à son embauche environ 180.000 FCFA, soit une différence de moins de 45.000 FCFA par rapport aux gardiens de l’OTR ! Un autre exemple, un enseignant titulaire d’une Maîtrise au minimum et classé dans la catégorie A1, gagne environ 130.000 FCFA comme salaire net à l’embauche!
Dans le budget des salaires et autres compensations du personnel devant couvrir la période 2013-2016, des incongruités sont apparues pour tout citoyen soucieux de la rigueur dans la gestion des ressources du pays. Il en est ainsi des indemnités accordés aux agents de l’OTR sans commune mesure avec le niveau de vie du pays. C’est ainsi que respectivement, des indemnités de logement et de transport sont accordées aux agents selon le bon vouloir du Commissaire général Henri Gaperi : 350.000 F et 250.000 F pour les agents du grade 8 ; 300.000 F et 150.000 F pour le grade 7 ; 180.000 F et 80.000 F pour le grade 6 ; 120.000 F et 60.000 F pour le grade 5 ; 70.000 F et 40.000 F au grade 4 ; 60.000 F et 30.000 F accordés au grade 3 ; 40.000 F et 25.000 F pour le grade 2 ; et 18.000 F et 18.000 F pour le grade 1. Mais si seulement les incongruités se limitaient à ce stade !
Dans l’article 36 du Statut du personnel de l’OTR portant sur la prime de rendement/gratification, on lit : « Sur la base de la performance de l’Office (dépassement de l’objectif attendu en termes de collectes des recettes fiscales), à la fin de chaque exercice, l’Office accorde aux agents une gratification correspondant à la rémunération mensuelle brute au 31 décembre de l’exercice concerné. Les bénéficiaires de cette gratification sont les agents en poste au 31 décembre de l’année qui y donne droit. Les agents qui n’ont pas accompli une année de service à l’Office, bénéficient de la gratification au prorata de la période prestée au cours de l’année ».
Mais à quoi est-on confronté en parcourant le budget des salaires ? Tous les agents perçoivent mensuellement des primes de rendement, contrairement aux prescriptions du statut. C’est ainsi que ceux du grade 8 reçoivent mensuellement 195.000 F ; ceux du grade 7 touchent 120.000 F ; 100.000 F pour le grade 6, 70.000 F pour le grade 5. Les grades 4, 3, 2 et 1 perçoivent respectivement 50.000 F, 40.000F, 30.000 et 16.000 FCFA.
Lorsqu’on revisite les objectifs de l’OTR, il est question de booster les recettes des deux régies financières du pays que sont les Impôts et les Douanes. Et pourtant, les recettes des Impôts entre 2008 et septembre 2013 n’ont cessé de croître. Plus de 97 milliards en 2008, 105 milliards en 2009, 113 milliards en 2010, 128 milliards en 2011, 150 milliards en 2012 et 131 milliards à fin septembre 2013. Une projection au prorata temporis sur décembre 2013 donnerait plus de 174 milliards comme recettes. Une augmentation continue est donc à attendre des recettes fiscales au 31 décembre 2014. Mais selon des informations provenant des services de l’Office, la situation financière serait des plus inquiétantes, justement cette année où cet Office a été mis en marche.
La même croissance a été remarquée au niveau des Douanes avec des augmentations continues depuis 2009. Au 31 décembre 2012, cette augmentation a été de plus de 43%. Et les courbes qu’amorcent les recettes douanières en 2013 indiquent que la tendance à la croissance ne devrait pas infléchir. La grande question est de savoir comment les citoyens pourront apprécier l’apport de l’OTR si ces recettes observent chaque année des augmentations. N’aurait-il pas mieux valu que les objectifs de performance soient seulement revus avec des dispositions qui réduisent les fraudes ?
Au nom de l’Office togolais des recettes, environ 140 agents des deux régies ont été mis prématurément à la retraite et . Mais pas exactement d’après nos sources. Pendant les deux ou trois années de service qui leur restent à effectuer avant d’être admis à la retraite, ils percevront intégralement leur paye jusqu’à la date de leur retraite. Si cette situation peut paraître incompréhensible pour beaucoup, il y a pire scénario. Nous apprenons que pour des raisons de légèreté administrative, de nouveaux agents affectés à l’OTR ont perçu doublement leurs salaires d’août 2014 : le ministère de la Fonction Publique dont ils dépendaient a fait son virement en même temps que l’OTR. Ça se passe dans l’administration togolaise ! Au final, les agents se retrouvent avec deux virements sur leur compte, pour un seul mois. Le ministre Gourdigou Kolani ou le Commissaire général Henry Gaperi voudra-t-il les sanctionner s’ils usent de cet argent qui a atterri sur leur compte ? Tout est possible au nom de la « tolérance zéro à la corruption ».
Les autorités togolaises tentent de copier la fusion des régies financières rwandaises, mais sans avouer le nombre d’années que ce processus a mis avant de prendre. La France a très tôt renoncé à sa mise en application. Et à l’allure à laquelle le projet est conduit au Togo, le stress des employés ne fait que commencer et l’économie du pays n’a pas encore fini d’en pâtir. Malheureusement.