Aboudou Assouma : « La page des réformes est tournée depuis le 30 juin… »
Elle semblait définitivement enterrée ; mais la question des réformes constitutionnelles et institutionnelles est revenue sur le tapis en fin de semaine dernière, avec l’appel conjoint des Eglises catholique, évangélique presbytérienne et méthodiste et la requête des ambassadeurs de l’Union européenne. Mais de toute vraisemblance, ces exhortations sont destinées à être jetées dans la poubelle, si l’on en croit un article-réponse du site-maison, et aussi une sortie du président de la Cour constitutionnelle.
Les Eglises et l’Ue ressuscitent un dossier classé
Oui, la page des réformes constitutionnelles et institutionnelles de l’Accord politique global (Apg) nécessaires à la consolidation de la démocratie, de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance était manifestement tournée par le pouvoir Faure Gnassingbé, avec le sort réservé le 30 juin dernier au projet de loi de réformes introduit par le gouvernement à l’Assemblée nationale. En rappel, ce texte a été rejeté par les propres députés du pouvoir. Et entre-temps, c’est le ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales, Gilbert Bawara qui a tué tout espoir de voir le pouvoir se reprendre et mettre en œuvre ces réformes avant le scrutin de 2015. Comme pour prouver le classement définitif de ce dossier, il a même laissé entendre que chaque candidat développera sa propre vision de ces réformes. Mais c’était compter sans les Eglises catholique, évangélique presbytérienne et méthodiste, et les ambassadeurs de l’Union européenne.
A travers un appel lancé conjointement le mercredi 1er octobre, les trois Eglises ont relancé le Gouvernement à mettre en œuvre les réformes, bien entendu avant le scrutin. « Tout en respectant les positions exprimées par les diverses formations politiques représentées ou non à l’Assemblée nationale, la Conférence des Evêques du Togo, le Bureau Exécutif de l’Eglise Evangélique Presbytérienne du Togo et le Comité Exécutif de l’Eglise Méthodiste du Togo » ont tenu à adresser « un appel pressant au Chef de l’Etat, au Premier ministre et à son Gouvernement, au Président de l’Assemblée nationale, à tous les députés et à tous les responsables de l’opposition togolaise en faveur d’une nouvelle initiative visant à réexaminer les questions introduites auprès de l’organe législatif de notre pays en vue d’y trouver une issue plus positive ». Elles ont au finish exhorté « tous les fils et filles de notre pays à faire prévaloir l’amour de la Patrie sur toutes les autres considérations partisanes et égoïstes afin de faire avancer la démocratie et permettre à l’élection présidentielle de 2015 de se tenir dans un cadre serein, paisible, juste et équitable ».
Comme s’il existait une télépathie avec les trois congrégations religieuses, c’est l’Union européenne qui enfoncera le clou le lendemain, à l’occasion de la 15e session du dialogue politique tenue ce jeudi 2 octobre et qui a regroupé les ambassadeurs de l’Union et des émissaires du Gouvernement. Cette rencontre a offert l’occasion aux diplomates de réitérer leur désir de voir les réformes mises en œuvre avant le scrutin de 2015. « Nous avons mis beaucoup de temps à parler des élections présidentielles, et naturellement, des réformes que nous aurions souhaitées qu’elles soient faites avant les élections », a déclaré le chef de la délégation de l’UE au Togo, Nicolas Berlanga-Martinez. Et d’appeler le gouvernement à réintroduire un nouveau projet de loi.
C’était au demeurant une sale semaine pour le pouvoir. Embêté, le pouvoir Faure Gnassingbé l’est vraiment par ces sorties.
Des appels visiblement destinés à la…poubelle, republicoftogo annonce les couleurs
Les appels à la mise en œuvre des réformes, c’est ce qui a manqué le moins. Opposition, acteurs de la société civile, représentants diplomatiques, tous s’y sont mis ; mais ces exhortations n’ont jamais décidé le pouvoir Faure Gnassingbé à s’exécuter, et elles ont été balayées du revers de la main les unes après les autres. Cet appel conjoint des Eglises catholique, évangélique presbytérienne et méthodiste ne devrait pas connaitre meilleur sort, à lire entre les lignes d’un article pondu par le site-maison, republicoftogo.com.
« A chacun son rôle », tel est le titre. « Le rôle de l’Eglise est-il de s’immiscer dans les affaires politiques ? La question n’est pas nouvelle, au Togo et ailleurs. Si la religion peut et doit s’impliquer dans les affaires de la cité pour améliorer la vie des populations, elle ne saurait devenir un acteur du jeu politique. Chacun son métier, chacun ses priorités. La demande formulée récemment par les évêques et les pasteurs togolais apparaît donc étrange. Ils invitent les acteurs politiques à reprendre le processus de discussions pour aboutir à des réformes politiques. Etrange pour au moins deux raisons. D’abord, il n’appartient pas aux représentants des églises évangéliques, presbytériennes et méthodistes de s’exprimer sur ces questions. Ensuite, ils ne peuvent ignorer que la représentation nationale, c’est-à-dire l’Assemblée, a rejeté le projet de réformes introduit par le gouvernement, à moins de considérer le Parlement comme une institution illégitime », lit-on.
On peut donc aisément imaginer le sort que le pouvoir compte bien réserver à cet appel des Eglises. Republicoftogo a été juste mandaté pour répondre tacitement à ces congrégations religieuses qui ont cru devoir « se mêler de ce qui ne les regarde pas ». L’Assemblée nationale est l’expression de la volonté du peuple, a-t-il assené. En clair, l’ultime message est de dire à ces Eglises que tant que l’Assemblée nationale a rejeté le projet de loi, elles doivent se taire.
Au-delà des hommes de Dieu, Nicolas Berlanga-Martinez et les siens aussi doivent trouver réponse à leur requête de voir les réformes mises en œuvre avant le scrutin de l’année prochaine.
La page des réformes tournée pour Aboudou Assouma
On connait son penchant pour le pouvoir ou plutôt Faure Gnassingbé, mais on n’imaginait pas le président de la Cour constitutionnelle prendre aussi ostentatoirement parti dans ce débat. Aboudou Assouma a cru devoir s’y immiscer, dans une interview accordée au site-maison. Et pour lui, la page des réformes est tournée depuis le 30 juin dernier.
« La page des réformes est tournée depuis le 30 juin à la suite du rejet par l’Assemblée nationale du projet de loi sur ces réformes. Les députés sont des élus du peuple, ils ont décidé en toute souveraineté. Tous les citoyens doivent se plier à ce choix opéré par les élus du peuple. La classe politique doit plutôt s’atteler aujourd’hui à une organisation apaisée de l’élection présidentielle de 2015. Et nous pensons qu’il y a des pas encourageants qui sont déjà posés avec la mise en place consensuelle de la nouvelle Céni (Commission électorale nationale indépendante, ndlr) et la prestation de serment de ses membres devant la Cour Constitutionnelle qui a été elle-même renouvelée », a-t-il assené, en réponse à la requête des hommes de Dieu. Et d’ajouter : « L’Accord politique global est caduc aujourd’hui. Ce n’est pas le pouvoir qui l’enterre. Il est tout simplement caduc. De 2006 à ce jour, beaucoup de pas ont été franchis. Le Togo dispose aujourd’hui d’une Assemblée nationale pluraliste et plurielle qui doit jouer pleinement son rôle. Le contexte dans lequel l’APG avait été signé n’est plus le même aujourd’hui ; cela doit être clair pour tous les acteurs politiques ». On est là devant une prise de position politique d’un homme censé être au-dessus de la mêlée.
Le message est on ne peut plus clair. C’est donc une fin de non recevoir que le pouvoir réserve à ces appels somme toute responsables des Eglises et de l’Union européenne. Ils sont simplement destinés à la…poubelle de la présidence (sic).A
Le scrutin sur la même lancée
La conséquence évidente du rejet de ces appels est donc l’organisation de l’élection présidentielle de l’année prochaine sans les réformes constitutionnelles et institutionnelles. En clair, Faure Gnassingbé évoquerait la Constitution tripatouillée par son défunt père qui a sauté le verrou de la limitation du mandat présidentiel le 31 décembre 2002 pour briguer un 3e mandat, puis un 4e, puis un 5e, puis…Au regard de la logique du verrouillage du processus dans laquelle s’était inscrit le régime depuis son ouverture, il va de soi que la transparence et l’équité recherchées pour cette élection importantissime ne soient pas au rendez-vous. Surtout que les observateurs de l’Ue ne seront pas là, ses recommandations n’étant pas mises en application, tout sera fait dans l’obscurantisme total, et la victoire du candidat du pouvoir ne sera qu’une formalité.
Tout ceci ira évidemment avec le lot de frustrations que la candidature de Faure Gnasisngbé pourrait charrier. Après le Père qui aura égrainé 38 ans sans partage au pouvoir, le Fils enclencherait sa série avec un 3e mandat. Déjà la tension est montée avec l’ouverture du débat sur sa représentativité ou non à un mandat supplémentaire et l’opposition a plus d’une fois déjà exprimé sa position. Ces tensions risquent simplement de s’exacerber au cours du scrutin. Et vu qu’une opération conditionnement des corps habillés est entreprise concomitamment, afin qu’ils accompagnent le Prince dans son aventure risquée pour la paix sociale au Togo, il faut donc redouter le pire. Surtout que les bourreaux de 2005 sont encore là…