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Togo : La disparition d’André KUEVIDJEN…militant nationaliste
Publié le lundi 13 octobre 2014  |  letogolais




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André Anani Assiongbon KUEVIDJEN qui fut juriste, professeur de mathématiques, militant nationaliste, ministre, directeur d’école, directeur de publication du journal Le Noir Continent et poète a tiré sa révérence en quittant le monde des vivants le jeudi 25 septembre dernier, à l’âge de 88 ans, au terme d’une courte maladie. Par respect des dernières volontés de cet humaniste qui avait demandé qu’on n’attende pas plus de trois jours pour le porter en terre après son décès, il a été inhumé au Cimetière de Bè-Kpota le vendredi 3 octobre dernier. Auparavant, une veillée funèbre et une cérémonie d’adieu qui furent des plus sobres et surtout laïques, comme l’avait souhaité cet anticlérical viscéral, avaient rassemblé à son domicile, au quartier Adjololo à Lomé, un petit groupe de parents et amis.

Une personnalité qui a marqué la vie scolaire, politique et littéraire de notre pays, une grande plume, venait de disparaître…



André KUEVIDJEN est né le 14 Décembre 1926 au quartier Adjido, à Aného où il a commencé ses études primaires qu’il a terminées dans la même ville avant de se rendre à Lomé pour y commencer ses études secondaires comme élève de la 19e promotion (1940 – 1943) du Cours Complémentaire qu’on appelait encore Ecole Primaire Supérieure (EPS) ou Collège moderne de Lomé qui constituait le début du cycle secondaire existant alors au Togo. Il compta parmi ses promotionnaires deux camarades dont on entendra parler plus tard comme lui sur la scène politique togolaise mais des deux bords de son échiquier. Il s’agit d’abord d’Alex MIVEDOR, nationaliste comme lui à l’époque du combat pour l’indépendance nationale qui deviendra par la suite un pilier du régime RPT mais restera jusqu’à sa disparition son grand ami malgré les désaccords politiques profonds qu’il y aura entre eux et avec lequel il montera ultérieurement le Collège du Plateau. Baguilma YWASSA, son autre promotionnaire de l’EPS, rejoindra, lui, le camp des partisans du pouvoir colonial français dans les années 1950 et, lui aussi par la suite, celui du régime RPT.

A sa sortie du Cours Complémentaire en 1943, André KUEVIDJEN, personnalité qui se montrera atypique à tous les égards tout au long de sa vie, travailla d’abord comme Secrétaire des greffes et parquets des tribunaux de 1ère instance de Lomé avant de partir pour le Sénégal où il alla poursuivre ses études secondaires à la célèbre Ecole William Ponty de Dakar. Au Sénégal également, il travaillera très tôt parallèlement à ses études comme Secrétaire des greffes du Parquet général à la Cour d’appel de l’Afrique occidentale française (AOF) de Dakar pour financer ses études. Et, au bout de tous ces efforts, ce fut à Dakar qu’il obtint comme candidat libre la première partie de son Baccalauréat Série moderne, en 1950, suivie, l’année suivante, en 1951, de la deuxième partie qu’il obtint dans les mêmes conditions, en Série Mathématiques, qu’on appelait à l’époque Mathélem.

Lorsqu’il obtint son Baccalauréat, il était déjà arrivé à maturité beaucoup plus tôt que la plupart de ses camarades pour avoir durement appris à gagner lui-même sa vie pour financer ses propres études. Et c’est en adulte indépendant de corps et d’esprit qu’il alla rejoindre en France ses autres camarades togolais qui y étaient systématiquement envoyés, pour les boursiers, depuis 1947. Les nationalistes togolais, qui avaient pris le contrôle de l’Assemblée représentative du Togo (ART) après leur victoire aux toutes premières élections organisées par le pouvoir colonial français fin 1946, s’étaient battus pour obtenir de l’administration coloniale que les étudiants togolais y soient envoyés pour être mieux formés qu’au Sénégal où on ne les gratifiait que de diplômes au rabais.

Et c’est à Toulouse qu’André KUEVIDJEN alla poursuivre ses études universitaires en mathématiques, pour relever un défi qu’il s’était senti lancé par un des procureurs racistes blancs de la Cour d’Appel de Dakar qu’il avait entendu dire à un avocat africain, un matin, que les noirs ne pouvaient jamais faire les mathématiques, qu’ils n’étaient destinés qu’aux études de lettre et de droit. Révolté et s’étant senti humilié au plus profond de son être par cette injure raciste, il revint à 14 H 30 avec une lettre de démission avec pour objet : « Je vais faire les maths »…

Arrivé à Toulouse, il passa d’abord son certificat d’études de Mathématiques générales (Math-géné) à la Faculté des sciences de la Haute-Garonne, puis, au sein de la même université, les diplômes des différents grades d’études mathématiques pour lesquelles il se découvrit non seulement une véritable passion mais un vrai don :


— le Certificat d’études Supérieures de Mathématiques Générales, obtenu en 1954 sous la direction du Professeur Raymond JACQUES ;
— le Certificat d’études de Calcul Intégral et Différentiel, obtenu en 1956 sous la direction du Professeur Robert DETHEIL Huron ;
— le Certificat d’études Supérieures de Mécanique Rationnelle, obtenu en 1958 sous la direction du Professeur COMBES ;
— le Certificat d’études Supérieures de Physique Générale/Optique Générale obtenu en 1960 qui lui faisait passer le cap de la Licence en mathématiques sous la direction du Professeur Gaston DUPOUY, membre de l’Académie des Sciences et inventeur du Microscope Electronique
— la Préparation au Diplôme d’Etudes Supérieures d’Astronomie Approfondie à laquelle il s’attela tout en étant Surveillant d’externat et Adjoint d’enseignement au Lycée FERMAT à Toulouse (Haute Garonne).

Il se plaisait à expliquer que, s’il était devenu si profondément matheux dans l’âme, c’est parce qu’il avait été forgé par l’extrême rigueur qu’on lui avait apprise en droit à faire appliquer toute la sévérité de la loi aux affaires soumises à son étude, dans l’exercice de son métier de parquetier.

En fait, depuis le Sénégal et pendant toutes ces études en France, il suivait l’évolution de la vie politique au Togo et dans le reste de l’Afrique où se développaient les différentes phases du combat pour l’indépendance nationale et avait commencé à militer dans les rangs des organisations étudiantes radicales qui s’étaient constituées. Il fit donc ses premières armes en politique dans la Section toulousaine du Jeune Togo, alors dirigée par l’étudiant en droit – et futur brillant avocat – Guy KOUASSIGAN.

A propos du Jeune Togo, organisation créée dès 1947 en France où elle développait une intense activité de soutien au combat des nationalistes togolais, rappelons que Godwin Têtêvi TETE ADJALOGO cite dans son Histoire du Togo, La palpitante quête de l’Ablodé (1940 – 1960) cet extrait d’un Rapport de la Police française, très révélateur de la terreur qu’elle inspirait aux autorités françaises, qui dit :
« Malgré leur petit nombre, ces jeunes Togolais ont toujours déployé une très vive activité en France, principalement depuis 1952. C’est ainsi qu’ils se sont tenus en liaison permanente avec le Conseil de tutelle de l’ONU et les chefs des deux grands partis nationalistes togolais « Comité de l’Unité Togolaise » (CUT) dirigé par Sylvanus Olympio et la « Juvento », mouvement de jeunesse togolaise dirigé par Ignace Santos. En outre, c’est parmi eux que la FEANF a trouvé les plus brillants de ses leaders, comme Noé Kutuklui, future grand avocat qui a assumé sa présidence de 1957 à 1958 ».

L’indépendance du Togo ayant été arrachée par la victoire aux élections tenant lieu de référendum du 27 avril 1958, André KUEVIDJEN, qui avait rejoint de longue date la Juvento et militait parallèlement dans les rangs du Parti communiste français comme la plupart des étudiants ayant adhéré à ce parti, décida de rentrer au pays. Comme ceux de sa génération qui furent nombreux à rentrer à l’époque au bercail, il entendait apporter sa pierre à la construction de son pays surtout après que Sylvanus OLYMPIO eut lancé un appel dans ce sens en proclamant sa politique d’africanisation des cadres.

C’est ainsi que dès son retour, il fut immédiatement embauché comme professeur de mathématiques au Lycée Bonnecarrère de Lomé, le seul existant à l’époque et s’attachera, pour donner toute sa dimension à son métier de pédagogue, à publier au fil du temps plus d’une quinzaine d’ouvrages de vulgarisation de la science mathématique.




Après le coup d’Etat du 13 janvier 1963 marqué, comme on le sait, par l’assassinat de Sylvanus OLYMPIO, André KUEVIDJEN fut, avec Firmin ABALO, l’un des deux représentants à avoir été choisi par son parti, la Juvento, pour faire partie du gouvernement de Nicolas GRUNITZKY qui était personnellement son beau- cousin et son ami et. Parce que nombre de ses responsables avaient été arrêtés pour cause de tentative de coup d’état par le régime OLYMPIO, la Juvento avait noué dès l’année 1961 une alliance avec les anciens partis de la mouvance pro-coloniale qu’étaient le Parti togolais du progrès (PTP) et l’Union des chefs et des populations du nord (UCPN), lesquels avaient fusionné après le scrutin de 1958 pour constituer l’Union démocratique des peuples du Togo (UDPT).

Au sein du cabinet d’alors, il occupa le portefeuille du Garde des sceaux, Ministre de la Justice.
Cette expérience devait tourner court au bout de quatre ans avec le deuxième coup d’Etat du 13 janvier 1967 où le gouvernement français des de GAULLE-FOCCART fit prendre à EYADEMA qu’il imposa comme chef de l’Etat, le contrôle d’une situation où différentes fractions, dont la Juvento – qui s’était entre-temps rapprochée de son ancien alliée du CUT –, se déchiraient au sommet des institutions. Ce nouveau coup d’Etat prit à rebours André KUEVIDJEN qui ne l’accepta pas et marqua d’autant plus sa démarcation du nouveau régime que la mise en place du parti unique en 1969 avec ses rustres méthodes d’embrigadement heurtait profondément cet intellectuel resté très attaché à l’esprit de contradiction et aux débats d’idées malgré son snobisme apparent et déroutant de prime abord.


Ce fut pour André KUEVIDJEN, une très longue traversée du désert qui, à vrai dire, n’a jamais cessé depuis lors jusqu’à sa disparition et qui l’a d’abord vu retourner à la craie, comme professeur de mathématiques au Lycée de Tokoin à Lomé. Il contribua de nouveau à former toute une génération de cadres pour le Togo, dans cette matière si fondamentale dans le domaine scientifique que sont les mathématiques, c’est-à-dire, constituant la base même des métiers d’ingénieurs, de médecins, de comptables et économistes, de chercheurs, etc..

Lorsque le pays fut secoué par le soulèvement populaire du 5 octobre 1990 et son ouverture démocratique, ce fut comme une sorte de renaissance pour l’homme qui s’était isolé de la plupart de ses anciens camarades qui avaient sombré dans la collaboration avec le régime d’Eyadéma et à l’endroit desquels il exprimait des jugements des plus sévères. Il accompagna le mouvement et tenta de l’aider à aller le plus loin possible.
C’est ainsi qu’à la Conférence nationale de juillet - août 1991, il fut l’un des rares à avoir osé monter à la tribune pour exiger, séance tenante, la destitution d’EYADEMA, dans une salle très agitée car encore sous le choc du coup de force qui venait d’être perpétré contre cette assise par l’interruption de la retransmission en direct de ses débats à la télévision.

EYADEMA s’en souviendra, qui le fera « Convoquer à l’Etat-major des forces armées togolaises, derrière le stade municipal » par ses sicaires-putschistes à travers leurs proclamations rocambolesques.

Il était alors dans le collimateur de ces soudards tout comme les Monseigneur KPODZRO, Tavio AMORIN, et autres « venus de France » comme on les appelait à l’époque, avec lesquels on voulait en finir lors de ce coup de force contre les institutions de la transition, fin 1991. Commencé le 28 novembre 1991, il s’acheva par l’assaut sur la Primature le 3 décembre suivant avec la capture de KOFFIGOH qui rallia entièrement depuis lors le régime RPT. Extrêmement courageux, audacieux et effronté, André KUEVIDJEN fut, à l’époque, le seul à déférer à la convocation des putschistes dont il n’avait aucune peur en se rendant au lieu indiqué ! Preuve de l’anarchie régnant à l’époque, il n’y trouva personne qui puisse lui dire quoi que ce soit tant sur le motif de sa convocation que le sort qu’on entendait lui réserver et s’en retourna tranquillement chez lui, à ce moment où grande était la terreur qui planait sur la capitale togolaise où la mort frappait de partout.

Après l’effondrement du Collectif de l’opposition démocratique/Front de l’opposition démocratique (COD I) courant 1992, ce fin connaisseur des personnalités et méandres de la vie politique togolaise fut, avec son compagnon Boukari DJOBO, à l’initiative de la nouvelle version de ce regroupement des partis et d’associations auquel on donna le nom de COD II.

Déçu par les déchirements des responsables politiques et les piètres résultats de ce nouveau front dans lequel il avait placé beaucoup d’espoir, il se retira progressivement de la vie politique et s’adonna à corps perdu à ses activités littéraires bien que maintenant les contacts lui permettant d’apporter sa contribution au combat de l’opposition togolaise. Ce fut alors qu’il eut une activité littéraire prolifique qui le voyait extérioriser ses pensées profondes sur des sujets de tous ordres, mais surtout politiques, à travers des poèmes qu’il destinait à tous les journaux ou faisait publier en recueils. Pas un seul journal paraissant au cours des années 1990 jusqu’au début des années 2000 n’a manqué de publier ses poésies. Ce fut également à cette période qu’il entreprit de sortir son journal, Le Noir Continent, un nom très révélateur de cet idéal panafricaniste auquel ceux de sa génération sont restés profondément attachés. Il ne put cependant en maintenir la parution au-delà d’une dizaine de numéros, l’entreprise ne faisant pas dans le sensationnel pour se garantir un succès commercial, signe des temps nouveaux…

Il consacra parallèlement le reste de son temps à l’autre entreprise qui le mobilisa après sa retraite où, extrêmement préoccupé par la vertigineuse dégradation du niveau de l’enseignement public, le grand pédagogue qu’au fond de lui-même il a toujours été, avait créé entretemps, avec ses vieux amis d’enfance, ADAMA Godfroy et Ayité Gachin MIVEDOR, le GRAND COLLEGE du Plateau. Il dirigea tour à tour cet établissement scolaire qu’il voulait pilote comme proviseur, directeur pédagogique et directeur administratif mais ses forces déclinant avec l’âge, abandonnera progressivement cette activité qu’il ne pouvait plus soutenir avec la même rigueur et vigueur.
Progressivement, l’âge, à propos duquel il proclamait qu’il « n’était pas une maladie », réduira sa motricité et, faisant son œuvre, finira par l’isoler totalement.

Les mondes de l’enseignement, de la politique, de la presse et de la littérature du Togo perdent en André Anani Assiongbon KUEVIDJEN, un homme plein de sensibilité, un poète qu’on est souvent dérouté de trouver dans la peau de ce logicien, ce rigoriste mathématicien.
N’est-ce pas aussi pour cela qu’on doit comprendre que, bien que s’étant fourvoyé sur les mauvaises sentes de notre histoire, celle du régime mis en place par les assassins du 13 janvier 1963, il aura tenté tout le reste de sa vie, de se rattraper en œuvrant à l’avènement d’une société démocratique au Togo ?


Veuf depuis 1995, André KUEVIDJEN laisse quatre filles, deux garçons, des petits-enfants et arrière petits-enfants auxquels vont naturellement nos plus sincères condoléances.

Une cérémonie d’hommage sera organisée dans l’après-midi du dimanche 14 décembre 2014 au Grand Collège du Plateau, au quartier Tokoin Casablanca à Lomé, pour permettre à tous ceux qui l’ont apprécié d’honorer sa mémoire.

Lomé, le 9 octobre 2014
Claude AMEGANVI

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