C’est un immense travail, de journaliste et de chercheur. Mais aussi d’un passionné de l’Afrique qui, à force de se laisser aller à la rencontre des communautés africaines, à Paris notamment, découvre les subtilités de la politique sur le continent. Pour le compte de Afrika Express, le journaliste indépendant français Régis Marzin signe un grand dossier sur le processus démocratique et l’imposition progressive de la limitation des mandats. Il ramène à la lumière les cas les plus importants, les deux Congo (s), le Togo et le Burkina Faso particulièrement et repose la problématique de l’élection dans les fragiles démocraties africaines.
Cette première des 5 parties du dossier, est consacrée aux constitutions africaines et leur lente maturation, l’état des lieux depuis la guerre froide, les conséquences de la guerre au Mali et finit par un classement qui concerne exclusivement, ici, les ex colonies françaises. Afrika Express publiera, au quotidien une partie et disposera, au bout du compte du dossier complet pour consultation. La rédaction n’en modifiera que les titres. Bonne lecture de cette première partie et à demain pour la suite !
Introduction
Depuis la guerre au Mali, la focalisation sur les guerres, le retour à la paix, la lutte contre des rébellions et le terrorisme, ont permis à une majorité de dictateurs d’Afrique francophone de se renforcer. Les démocrates accusent le coup. La plupart abandonnent leurs dernières illusions devant le très improbable changement de politique française. Une partie de la Françafrique a été ‘relancée’ en 2013.
En France, l’exécutif et beaucoup de parlementaires réfléchissent sous l’influence d’un Etat-major de l’armée globalement figé dans une idéologie conservatrice. Les quelques idées de réformes des relations avec les présidents-dictateurs africains ont été abandonnées. Par défaut de vision à long terme, les dirigeants français s’appliquent à maintenir, malgré son obsolescence, le système néocolonial déclinant. La diplomatie française se déplace, elle, vers le commerce.
Les guerres au Mali, en Centrafrique, et en Libye ont ralenti la démocratisation de l’Afrique. Dans ce contexte favorable aux dictatures durables, au deuxième semestre 2014, la réalité vient cependant replacer le débat sur le rythme de la démocratisation. Certains dictateurs sont en place depuis si longtemps ! Le temps qui passe accentue le scandale.
La réalité du système néocolonial français réapparaît au travers de la durée de pouvoir des chefs d’Etat depuis trop longtemps soutenus et protégés. Le maintien de spécificités historiques des ex-colonies françaises freinant la démocratisation est visible à l’échelle du continent, alors qu’aucun soutien du gouvernement français à la démocratie n’est affiché. Les démocrates et les populations n’attendent que contraint-e-s et forcé-e-s, et, la série d’élections majeures en 2015 et 2016 devrait alimenter une contestation grandissante. Ainsi, la situation dans chaque pays sera observée, et, les rapports de forces, les issues des conflits électoraux, les progrès ou régressions devraient s’influencer les uns les autres, d’un pays à l’autre.
Le temps où les constitutions pouvaient être modifiées selon la simple volonté d’un chef d’Etat est révolu. Derrière les dictateurs, les institutions sont fragiles, les clans sont divisés. Les dictateurs craignent la justice. Ils se sentent obligés de passer en force, mais les oppositions et les populations pourraient ne plus vouloir se laisser faire, la peur continuant à changer de camp. Les tensions vont grandir. La limitation du nombre de mandats des présidents africains deviendra-t-elle un levier pour accélérer la démocratisation à l’échelle du continent ?
Historique et bilan depuis la fin de la guerre froide
Le rapport de force actuel global continental entre démocraties et régimes dictatoriaux se comprend en partie grâce à l’historique depuis le dégel de la fin de la guerre froide. Le discours de François Mitterrand à la Baule le 20 juin 1990[1] a été présenté comme un déclencheur d’un démarrage de la démocratie. S’il y a eu exagération sur l’effet de ce discours, associé à la fin de la guerre froide, il permet cependant aujourd’hui de distinguer le début d’une période et d’un processus à l’échelle des 20 ex-colonies.
Un des acquis a été le principe d’une aide publique française reliée à l’abandon du parti unique et à l’organisation des élections. Cette logique s’est ensuite mise en place à Bruxelles, avec les accords de Cotonou signés le 23 juin 2000.
Entre 1990 et 1994, seuls 4 pays, parmi les ex-colonies françaises, ont réussi à progresser vers une démocratie fragile: le Bénin, le Mali, le Niger et le Congo-Brazzaville qui retournera ensuite au joug de Sassou Nguesso.
La plupart des dictateurs ont résisté à la vague des conférences nationales souveraines. Passées les toutes premières années de réformes et de compromis, les dirigeants français et africains, complices en Françafrique sont retournés à leurs habitudes de collaboration sans Etat de droit. Le président François Mitterrand, n’était pas convaincu de la nécessité de laisser se démocratiser les anciennes colonies. Entre 1995 et 2002, l’hypocrisie, le manque de préparation, la multiplication des guerres au Moyen orient et en Afrique, l’implication française dans le génocide des Tutsi du Rwanda, l’emprise de la Françafrique surtout pendant la présidence de Chirac, la prédation des richesses pétrolières, ont ralenti puis progressivement paralysé le processus global.
Les années 2000 ont été marquées par la poursuite des effets de la mondialisation et par l’autonomie grandissante des présidents africains face à l’Etat français. Les dictateurs se sont organisés pour neutraliser le multipartisme, tenir par la répression et les élections fraudées. Les oppositions se sont durcies, au début parfois dans des confrontations plus ou moins violentes, et petit à petit de plus en plus uniquement politiquement. Le processus de démocratisation non soutenu internationalement a continué à se faire plus par le passage de pays dans des régimes instables, entre démocratie et dictature, que par l’instauration rapide d’une démocratie. Face aux fraudes, sont apparues les missions d’observations, souvent manipulées, les coupures de l’aide européennes peu efficaces. A Paris, poussé par l’influence militaire, la théorie de la stabilité des dictateurs contre les peuples a pris le dessus sur la volonté de démocratisation.
Puis, pour rétablir l’équilibre, la conception sous forme de processus de ‘transition démocratique’ plus lent s’est imposée. Le concept datant des années 70 avait été utilisé pour l’Europe de l’Est dans les années 90. Il s’est transformé et adapté aux réalités africaines, par exemple concernant les coups d’Etat. L’algérien Saïd Djinnit parle lui de ‘continent en transition’[2] : « Le modèle aujourd’hui, au sein de l’UA, c’est le pays qui réussit sa transition démocratique. De façon générale, je considère que l’Afrique est un continent en transition.
C’est une transition longue qui prendra des décennies parce qu’il s’agit de faire une transition politique, économique et démographique. Elle sera caractérisée par une instabilité relative qu’il va falloir accompagner et maîtriser pour éviter des débordements. » Il s’agit là de la conception la plus lente, diplomatiquement compatible avec un dialogue avec les dictateurs, sans idée de justice.
Etat des lieux fin 2014 et classement des régimes des ex-colonies françaises
Depuis 1990, dans l’ensemble des 20 ex-colonies, la démocratie a globalement progressé mais très lentement et aux prix de luttes difficiles. Le nombre de pays débarrassés des présidents inamovibles mis en place par le pouvoir français a fini par augmenter.
En 2014, dans 5 pays sur 20, les présidents sont correctement élus : Mali, Bénin, Comores, Sénégal et Niger[3]. Au moins 8 dictateurs solides refusent de laisser la place. Si la monarchie marocaine et l’Algérie du FLN sont en dehors d’un schéma classique d’influence française, dans les 5 autres pays, Côte-d’Ivoire, Centrafrique, Guinée Conakry, Tunisie, et Madagascar, la situation est plus complexe, instable en raison d’une guerre, d’une crise ou d’une transition démocratique non achevée[4].
Actuellement, le noyau dur des dictatures stables très influencée par Paris est composé de 8 pays : en ordre décroissant du niveau de dictature[5], Tchad, Congo-Brazzaville, Cameroun, Djibouti, Togo, Mauritanie, Gabon et Burkina Faso. Après les 41 ans de règne de son père, Ali Bongo, 55 ans, depuis 5 ans aux commandes, a imposé au Gabon une succession quasi-monarchique au travers d’un coup d’état électoral en 2009. Mohamed Ould Abdel Aziz, 58 ans, n’a que 6 ans de pouvoir depuis 2008, mais il a très rapidement rejoint le schéma classique des dictatures protégées par Paris par son arrivée dans un coup d’état suivi de 3 mascarades électorales.
Faure Gnassingbé, 48 ans, n’a que 9 ans de règne, mais il a acquis le pouvoir par un coup d’état sanglant, lui permettant de succéder à son père, 38 ans en place, et, il possède lui aussi à son palmarès déjà 3 mascarades électorales significatives. Ismaïl Omar Guelleh, 67 ans, arrivé en 1999, est là depuis 15 ans. Idriss Déby, 62 ans, est en place depuis 1990, depuis 24 ans. Le tombeur de Thomas Sankara en 1987, Blaise Compaoré, 63 ans, atteint les 27 ans de pouvoir. Sassou Nguesso, 71 ans, a accumulé en deux périodes 30 ans de présidence. Le doyen, Paul Biya, 81 ans, règne depuis 1982, soit depuis 32 ans.
Si la gravité de l’oppression est variable, ces 8 dictateurs s’entendent sur le refus d’un départ au travers d’une élection réellement démocratique et sur la simulation de la démocratisation. Une fois passé l’étape de l’instauration du multipartisme dans les années 90, ils ont acquis les techniques de fraudes pour rester en place contre l’avis des populations. Ils empêchent aussi une culture démocratique de s’installer. Selon le juriste Alioune Badara Fall[6], « la démocratisation de la vie politique n’a rien changé aux politiques de prédation, de clientélisme et de corruption qui avaient cours avant les années 1990. Au contraire, elles touchent aujourd’hui l’ensemble de la vie sociale et politique …
Dans ces conditions, cela ne m’étonne guère que nos chefs d’Etat veuillent rester au pouvoir de peur d’avoir de maille à partir avec la justice, tant au niveau interne des Etats que sur le plan international… ».