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Togo : Fabre/Faure, deux radicaux qui s’affrontent en terrain miné/Portraits croisés de deux faux-jumeaux qui se haïssent
Publié le jeudi 23 octobre 2014  |  afrika express


© Autre presse
Rencontre Faure Gnassingbé - Jean-Pierre Fabre


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Jean-Pierre Fabre et Faure Gnassingbé. Le premier est un franc-maçon invétéré et hermétique, chrétien à ses heures de loisirs. Le second, un catholique apparent qui clame sa foi à la limite de l’exhibitionnisme mais qui ne déteste pas quelques jonglages avec les forces et mystères africains. L’un mène en gourou égo-centré une opposition hétérogène et éparpillée, l’autre dirige en despote introverti une majorité inconséquente qui couve mal ses frustrations. Chacun est le contraire de l’autre et tous veulent paraître le candidat idéal. Portraits croisés de deux hommes qui n’ont en commun qu’une même obsession : gouverner un pays sans cesse éprouvé par leurs errances et sadismes respectifs.

Chacun d’entre eux porte en lui quelques penchants tribalisant. Le président en fait un instrument de manœuvre lui permettant d’opposer ses proches et de monter certains Togolais contre d’autres. Quant à l’opposant, il l’applique en filtre pour sélectionner ses principaux lieutenants.


A croire que ces deux politiques portent dans leur ADN les vestiges d’un passé pas si lointain où l’affrontement entre les peuples sur de vils bases ethniques couraient les pensées. Célibataire et père d’une famille nombreuse et éclectique, Faure Gnassingbé est chiche et calculateur. Marié et père de quatre enfants, Jean-Pierre Fabre est un malicieux qui joue l’indigent. Le président est un passionné de jeux d’échecs et avance constamment ses pions selon les théories politiques du penseur italien de la Renaissance, Nicolas Machiavel. Le chef de l’Alliance nationale pour le changement (Anc), l’opposant aime les documentaires animaliers et les portraits des grands hommes. Les deux ont fait l’économie et la gestion et sont animés de haine réciproque dont ils jouent le ping-pong à travers des militants obsédés et déchainés.



M. Gnassingbé est un admirateur de son géniteur (son prédécesseur et ex-dictateur Eyadéma), même s’il cherche souvent par tous les moyens à tuer le père en lui. C’est le faux parricide. M. Fabre est dévot de sa mère (récemment décédée) jusqu’à la vénération. La presse proche de l’opposant accuse le chef de l’Etat de mener le pays au naufrage, les médias mordus du jeune président dénoncent le manque de « programme de société » et surtout d’expériences du bouillant Jean-Pierre Fabre.


Dans la réalité, l’opposant promet, loin de l’épreuve du pouvoir de faire mieux. Le président, malgré ses rares aires de bonne volonté, a des capacités politiques et managériales fort limitées, entretenant autour de ses utopies, quelques mystères. Dans six mois, le premier sera peut-être réélu, ou le second peut-être réalisera son rêve d’accéder à la magistrature suprême. En effet, malgré les manœuvres politiciennes, il faut reconnaître que la présidentielle de mars 2015 se jouera inévitablement entre ces deux personnalités atypiques de la scène politique de ce petit pays de l’Afrique de l’ouest. L’un d’entre eux sera à la tête du Togo.


«Je n’ai pas d’adversaires mais des plaisantins », se moque le président devant un visiteur du soir. «Il ne peut gagner que par les fraudes massives dont son système est champion, sinon je suis le prochain président », laisse récemment entendre M. Fabre à un diplomate occidental. Dans la vie du duo qui se discute dispute le Togo.



Embarrassant, face à face !


Cet après-midi de début mars 2014, Faure Gnassingbé jubile ou presque. Il ne sait plus ce qu’il a et comme il le fait à chaque fois qu’il est d’humeur, du champagne coule à flot avec du saumon fumé pour tous les visiteurs et autres employés du Palais de la Marina. L’un de ses ex-conseillers aujourd’hui en disgrâce, sort d’une audience prévue de longue date avec une grosse enveloppe remplie de liasses de billets. Le chanceux sait que son maître à l’avarice intrépide n’est pas capable, en temps normal, de lui donner autant d’argent.



Malgré une tendance propension à minimiser son principal opposant, le président est très heureux quelques jours plus tôt, à l’idée de pouvoir enfin rencontrer Jean Pierre Fabre. L’initiative de ce tête à tête a été prise par M. Fabre, motivée par plusieurs raisons. Il venait, avec l’alliance le Collectif sauvons le Togo (Cst), de gagner une vingtaine de sièges au parlement, quelques mois plus tôt, faisant de lui le chef de l’opposition. Une position à lui contestée par d’autres leaders dont notamment Agboyibo Yaovi, ancien Premier ministre et opposant tantôt modéré, tantôt radical, selon ses intérêts. L’idée a été soufflée par un diplomate français avec qui M. Fabre s’entretient souvent.



Il lui a proposé l’idée que Fabre Il l’a trouvé « excellente« . L’état-major de son parti n’y a trouvé aucun inconvénient. Une demande explicite a été introduite. Tombé des nu, Faure Gnassingbé a pris du temps pour donner une suite. Les choses se sont ensuite accélérées Tout est allé rapidement après afin de permettre pour la première fois de leur histoire, à ces deux hommes de se retrouver en face à face, sans témoins. Cette rencontre permettait est aussi à l’opposant, non seulement de rassurer sur ses capacités d’hommes d’Etat mais aussi et surtout, de couper les herbes sous les pieds de ses détracteurs qui ne le voulaient pas comme chef de file d’une opposition dont il est pourtant devenu le leader incontestable.


Alors que le rendez-vous est fixé, Jean-Pierre Fabre commence par hésiter. Il craint les interprétations et l’évoque, à plusieurs reprises, avec ses proches. Il veut que tous les aspects de cette rencontre soient minutieusement préparés mais le protocole de la présidence insiste de son côté sur une rencontre normale, « entre un opposant et un chef de l’Etat », un peu comme pour récupérer en sa faveur l’évènement. Au départ, un sentiment imprécis de trouille et d’impatience animait le jeune président, lui aussi très perturbé par la rencontre. Mais à la fin, il s’est fait une autre idée de son principal opposant. Du moins pour quelques jours.


"J’ai rencontré quelqu’un qui est moins mauvais que ce que j’en pensais", confiera-t-il. Une rencontre directe entre les deux hommes, cela n’a jamais eu lieu. Plus encore, il est flatté que ce soit à l’initiative de l’opposant. « Après ça, il ne pourra plus dire qu’il ne reconnaît pas le Président de la République que je suis« , s’en est amusé Faure Ganssingbé, la veille de cette rencontre. Mais le sentiment le plus confus réside dans l’incertitude du lendemain. Tous ceux qui ont vu le chef de l’Etat dans la foulée l’ont dit de très bonne humeur. « On ne l’avait pas vu dans cet état depuis de nombreuses années« , témoigne l’un de ses ministres.
Pourtant, cette brève rencontre a réuni, pour quelques minutes, deux hommes qui se vouent une haine sans limites depuis de nombreuses années et qui, en privé, médisent l’un de l’autre comme si leur engagement politique respectif se réduisait à leurs personnes.


Jean-Pierre Fabre, lui, en bon stratège, minimise l’évènement aussitôt la rencontre finie et évoque « quelque chose de normal » dans une démocratie. Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’à partir de cette rencontre, il a pris de l’estime aux yeux du jeune président Faure, récemment encore, il confiait: « si l’opposition a un candidat unique, on est cuit ». Il rappellera avoir vu en M. Fabre, un homme moins incompétent que « ce qu’on a toujours fait croire ». Les diverses impressions n’ont rien changé aux haines réciproques, si fortes !

Leurs hommes de confiance…


Chacun des deux a du mal à faire confiance à un collaborateur. Jean-Pierre Fabre parce que les piliers de son parti lui apparaissent de moins en moins fiables, eu égard à leurs combinaisons politiciennes et autres dessous de table. Faure Gnassingbé parce que sa duplicité permanente et sa profonde mesquinerie ne lui permettent pas de disposer d’hommes qui lui soient fidèles, d’autant plus que ceux qui, dans l’opinion semblaient lui vouer « totale dévotion » se sont retrouvés sinon en disgrâce, au pire en prison. Alors, ils jonglent sur des fidélités consécutives souvent passagères.

Dans son camp, le fils du feu dictateur Gnassingbé Eyadéma dispose de deux hommes qui, pour lui, sont incontestablement dignes de confiance.

D’abord, Félix Katanga. Officier déterminé et radical, qui n’a de mérite que du zèle et qui, après avoir orchestré l’incendie de l’institut Goethe, Centre Culturel allemand de Lomé dans la foulée des massacres post électoraux de 2005, s’est retrouvé sous la protection directe du président de la République. Malgré l’intervention claire de la chancelière allemande, Angela Merckel et les insistances de diplomates allemands, il reste sous les ailes du chef de l’Etat qui n’a, autant qu’à lui, jamais fait confiance à personne. Méfiant et prudent, Faure Gnassingbé aime tout de même que son entourage prenne des risques pour lui. Même si le retour est souvent payé en monnaie de singe.


Aujourd’hui chef d’Etat-major général, ce proche de Ingrid Awadé, influente concubine du président connaît la stratégie pour durer dans l’estime de l’homme fort du Togo. « Fragiliser son entourage et renforcer le mythe autour de lui » et, il le fait si habilement que sa fin n’est pas pour demain. Conjoint d’une sœur consanguine de Faure Gnassingbé, il est considéré par son mentor comme « un membre de la famille« . Pour lui garantir une certaine stabilité financière, non seulement le chef de l’Etat ferme les yeux sur certaines « entrées louches qui lui profitent« , mais il lui verse, selon plusieurs témoignages d’officiers recueillis par Afrika Express « des rentes régulières » au point de provoquer la jalousie au sein du club huppé des officiers supérieurs de l’armée togolaise.


Ensuite, Massina Yotroféï, ancien chef des renseignements et actuel directeur général de la gendarmerie. Tout comme le général Katanga, il est de l’ethnie du chef de l’Etat, Kabyè et très proche de la présidence. Il a été accusé (à raison), preuves à l’appui, de tortures régulières dans les cages de détention de l’ANR, Agence nationale des renseignements, sans que cela n’empêche le président de le promouvoir à la tête de la gendarmerie dont dépend techniquement l’ANR.

En effet, c’est la gendarmerie nationale qui fournit à l’ANR ses «professionnels » et toute la stratégie d’action et en cela, le Lieutenant-colonel Massina est à la bonne place. Quand la contestation a pris la tournure internationale inattendue à l’occasion de l’Examen périodique universel (Epu) de Genève, en 2013, le chef de l’Etat lui a proposé une formation à l’école de guerre et l’intéressé a préféré le Maroc à la France dont une bourse était tout de même disponible. Raison : il craint d’être interpellé dans l’espace Schengen pour des faits de torture. Dans la réalité, il était peu probable qu’il soit arrêté mais un « bon officier est celui qui sait être prudent », comme le chantait Gnassingbé Eyadema.


Aussi bien Massina Yotrofei que Félix Katanga sont accusés d’avoir joué un rôle important dans les massacres de 2005 qui, selon l’Onu, a fait entre 400 et 2.000 morts. Chacun d’eux ne semble devoir leur survie et leur non extradition à une justice internationale qu’à leur « docilité dogmatique » et sans faille à Faure Gnassingbé. Et, puisque le président sait qu’ils ont intérêt qu’il s’éternise au pouvoir, il ne peut que leur faire confiance. Que deviendront-ils, aux mains de la justice internationale et/ou des réseaux nationaux qui pullulent autour du président si ce dernier n’est plus là ? Drôle de question non ?


Enfin, Faure Gnassingbé dispose aussi de quelques très proches civils. Ingrid Awadé qui, malgré son limogeage « diplomatique » de la Direction générale des impôts reste très influente dans son entourage. Gilbert Bawara dont il aime le calme apparent depuis son retour au gouvernement et l’indéboulonnable Charles Debbasch, conseiller français qui, du professeur de droit qu’il fut, n’en retient que les travers. » 40 ans de droit, tout le reste de travers » s’en amusait Vincent Hugeux, journaliste et spécialiste de l’Afrique. Mais pour le président togolais, ses meilleurs amis sont ceux en uniforme, "quand ils disent oui, vous pouvez être à peu près certain d’eux", confie-t-il.

Du côté de l’Anc, deux poids lourds ont soutenu sans réserve pendant toutes ces années Jean Pierre Fabre, même quand il est dans les excès. Il s’agit notamment de Patrick Lawson, numéro 2 de son parti et Isabelle Ameganvi, la femme la plus influente de ce parti d’opposition. Cette dernière est aussi sa sœur de loge, ils sont tous deux maçons. Mais, le premier est incontrôlable d’autant plus qu’un verre de bière de trop peut le mettre dans un état bien exceptionnel et de fiabilité aléatoire.


Il est arrivé souvent qu’il soit retrouvé dans un état peu catholique, à proximité d’un débit de boissons dans une encoignure mal éclairée de Lomé, la capitale du Togo. Plusieurs sources dignes de foi l’accusent de fréquentations suspectes du côté du pouvoir, notamment avec Gilbert Bawara, ministre de l’administration et l’un de ses potes de soir. La seconde est proche de Kpatcha Gnassingbé, frère cadet du président togolais aujourd’hui en prison, puis d’une proximité à la limite de la promiscuité avec Pascal Bodjona, longtemps numéro 2 du régime et maître d’orchestre des coups bas en faveur du président Gnassingbé. Comment peut-on être à la fois une coadjutrice de première classe dans l’opposition la plus radicale et une acolyte de classe exceptionnelle auprès du plus grand baron d’un régime qu’on combat ?

Il n’y a que dans l’Anc que ces contradictions sont explicables. Les hommes les plus sûrs, pour Jean-Pierre Fabre, ceux dont il ne se sépare jamais, c’est Jean Eklu et Eric Dupuy. Le premier est responsable de la jeunesse et bouillant fabriste jusqu’à la vessie, le second est un fin communicateur qui tient la machine de com’ et de marketing du parti. Les deux n’ont aucun passé avec le régime et semblent tous déterminés à en finir avec Faure Gnassingbé. Les autres membres du bureau les taguent d’être les bras durs du parti et minimisent leur efficacité. Pour M. Fabre, « c’est la perle jumelle sur laquelle repose son combat » et il le leur rend souvent, avec des réunions en petit cercle, chez lui, les soirs.



Leurs réseaux et confréries


Aucun des deux n’échappe aux confréries. D’un côté, Jean-Pierre Fabre, discret mais puissant franc-maçon, de l’autre, Faure Gnassingbé qui, à cause de ses intérêts au Vatican évite une adhésion à la loge mais soutien par tous les moyens les »filles et fils de la Veuve » qui l’ont pris en otage. Sur le plan aussi bien économique que politique, il fait leur promotion à tous les égards et quand il tente, influencé par un réseau parallèle de leur tenir tête, un coup de fil lui vient de Brazzaville. Denis Sassou Nguesso, Grand Maître, demande le plus souvent à son ministre d’Etat chargé des affaires présidentielles de dicter discrètement au président togolais la conduite à tenir.


Et M. Gnassingbé se calme aussitôt. On ne refuse rien à celui dont l’intervention a permis au jeune président de franchir les portes de l’Elysée, en novembre 2013 et de serrer les paluches de François Hollande, président de l’ancienne puissance coloniale, la France. Un rêve que Faure Gnassingbé a nourri pendant de nombreuses années et dont il tient, jalousement, les quelques photos, comme un trophée diplomatique tant attendu.


De l’autre côté, Jean-Pierre Fabre a la pression des maçons qui, certains des privilèges que leur accorde le régime, encouragent l’opposant à aller aux élections. Ils savent que face à une telle machine de fraudes qui a tout leur soutien, l’opposant perdra. Lamentablement. Mais ce qui permet à chacun d’eux de tenir le coup, ce sont les réseaux. Contrairement à ce dont il donne l’impression, Faure Gnassingbé a peu d’amis parmi les chefs d’Etat africains. Il peut, sans aucun doute compter sur Paul Kagamé, dont le soutien est d’autant plus suspect qu’il serait téléguidé par les Américains. Et Dieu sait que rien de ce qui vient de Kigali n’est innocent.


En effet, à la fin des années 1990, avec l’aide notamment du chétif président rwandais et d’autres, des Banyamulenge ont indirectement aidé Kabila père à renverser Mobutu Sese Seko et à prendre Kinshasa. Mais, Washington découvrant les farouches relents anti-américains du nouveau président « zaïrois« , il n’a suffi qu’un signe à la branche Kagamé pour qu’il soit liquidé.


Comme récompense pour non seulement la mort de Laurent Désiré Kabila mais aussi le fait de l’avoir remplacé par son faux-fils, Joseph comme le souhaitait Washington, Paul Kagamé demande aux Américains ce qu’ils donneront en retour. Un émissaire lui a fait savoir qu’il aura tout ce qu’il demandera. Alors, en complicité avec Luanda, il réclame la tête de Savimbi Jonas. Juste une missile téléguidée et le tour est joué. Dans la foulée, les Américains livrent celui qui ne jurait jusque-là que par eux et Savimbi reçoit un explosif magnétique avec l’accord de la CIA. Cette histoire a de quoi provoquer des interrogations par rapport à l’amitié « forte » entre Kigali et Lomé. Espérant qu’elle ne conduise pas au drame d’autant que plusieurs Rwandais et assimilés ont pris d’assaut l’entourage présidentiel et téléguident à volonté la gestion de la chose publique. Domaine économique notamment.



En matière de réseau sur le continent africain, Faure Gnassingbé est dans une situation délicate. Yayi Boni, président du Bénin le considère comme « mesquin« , Alasane Ouattara (Côte d’Ivoire) et Goodluck Jonathan (Nigeria) n’ont jamais digéré qu’il ait utilisé leurs crédits pour amener l’opposition aux élections législatives de 2013 sans pouvoir honorer ses promesses d’accélérer les réformes. John Dramani Mahama (Ghana) joue le chaud et le froid avec lui. Le gouvernement ghanéen s’est d’ailleurs, récemment, opposé à l’extradition de Agba Bertin, escroc présumé et recherché par Lomé qui a été protégé et défendu par Accra malgré les insistances du président togolais.


Dans la sous-région, il n’est plus perçu que comme l’ombre de son père, une ombre à laquelle personne ne se confondre ouvertement.


Jean-Pierre Fabre n’est tout de même pas mieux loti. La plupart des chefs d’Etat le trouve «extrémiste et arrogant« . Mais, il peut compter sur deux soutiens de taille. Celui de Blaise Compaoré qui le rencontre de temps en temps et qui l’a souvent soutenu financièrement, et l’admiration que lui voue Goodluck Jonathan, président du Nigeria, qui trouve en lui "un homme persévérant et sincère avec lui-même".



A l’international, le parti socialiste est presque acquis à Jean Pierre Fabre. Jean-Christophe Cambadélis, actuel patron français de la majorité avait été acteur, en février 2013, d’un communiqué qui provoqua la colère de Lomé. Au titre évocateur de « Démocratie bafouée » publié par le Ps sur le régime togolais, ce document si proche de la réalité a suscité tellement de panique que François Hollande a dû personnellement demandé à son parti de « ne pas enflammer le délicat terrain de la diplomatie en Afrique« . Conséquence: le PS s’est rétracté et François Hollande a totalement échoué sur l’Afrique. Aujourd’hui, le 1er Secrétaire ne cache pas « son soutien de principe » à l’opposition togolaise et à son chef, Jean Pierre Fabre, également membre aussi de l’International socialiste dans lequel il compte quelques soutiens notamment en Allemagne et en Belgique.



Malgré les quelques sorties conventionnelles (Sommet de l’Elysée, sommet Afrique/Usa, etc…), Faure Gnassingbé reste, au plan international, un président fragile qui a du mal à prouver sa personnalité et dont la diplomatie vacille entre impuissance et introversion. Pire, le Vatican qui fut jusque-là d’un grand soutien change de stratégie depuis l’arrivée du pape François. Ce dernier qui veut « une Eglise pour les pauvres » et qui n’a jamais été dans la Curie romaine avant d’être élu, abandonne progressivement le terrain politique.


En chassant le Cardinal Bertone, sulfureux prélat très proche des dictatures africaines, le Pape fait perdre lentement au président togolais un soutien de taille, celle de l’Eglise. Cette perte se voit d’autant plus que même la conférence épiscopale togolaise prend des positions de plus en plus dures à l’égard du régime. Et rien ne semble inverser la tendance, pas même les 26 milliards de FCFA que le jeune président togolais détiendrait à la Banque du Vatican.


En attendant, Faure Gnassingbé tente de se tourner vers l’Asie, notamment la Chine à laquelle il concède des marchés dans des conditions les plus opaques. Sur plusieurs contrats de marché dont nous avons copie, les Chinois sont traités exceptionnellement. Sous consigne du président. « Ils ont tous les droits et l’Etat n’a aucun contrôle sur ce qu’ils font », s’est récemment plaint un proche du dossier à Afrikaexpress. Le président togolais veut aussi compter avec Dubaï et le Qatar mais ces deux pays ne trouvent aucun intérêt particulier au Togo. En attendant, Robert Dussey, ministre des affaires étrangères multiplie des sorties en grande partie infructueuses.


JP Fabre et Faure Gnassingbé: forces et faiblesses


Jean Pierre Fabre a une qualité incontestable qui circule dans les chancelleries comme gage de son « sérieux« : le courage. Au moment les plus pénibles de la lutte, ce métis qui a ses racines familiales à Marseille (France) n’a jamais quitté le Togo. Il y est né depuis 1952, il y a fait ses études, même celles universitaires et une partie de sa carrière (notamment comme journaliste puis enseignant). Aucune menace et Dieu sait qu’elles ne manquent pas, ne l’a à aucun moment obligé à quitter le pays.


Entre 2012 et 2013, alors que la dictature d’en face a pris des muscles et que l’opposition, dans une lugubre affaire d’incendies de marchés, a été secouée, bien que mis en examen, il est resté aux côtés de la troupe. Au lendemain de chaque élection, la tension monte mais il reste, comme pour donner l’exemple du combat, alors qu’il peut facilement se retrouver à Paris ou ailleurs en Europe, ne serait-ce que pour sa sécurité. «Un combat se mène sur le terrain », dit-il, comme pour répondre à son mentor d’hier, Gilchrist Olympio, qui luttait depuis Londres et/ou Accra et dont il fut, pendant deux décennies, l’ambassadeur sur place. Un ambassadeur qui a toujours pris tous les risques. Quoiqu’on reproche à l’homme, cette qualité mérite d’être soulignée.

Au-delà, c’est l’unique opposant qui n’a jamais eu aucune relation incestueuse (financièrement parlant) avec le régime de Faure Gnassingbé. Il est resté presqu’immaculé après plusieurs décennies de lutte et peut défendre cette image d’opposant transparent. Sa constance est étonnante. Il est resté dans sa ligne depuis le début, avec la même détermination, la même fougue. Sa bonne foi est intacte.


Mais, l’opposant est très souvent doigté pour son inexpérience dans la gestion des affaires publiques, son manque d’analyse sur certains dossiers sensibles et surtout son discours acerbe contre certains officiers des Forces armées togolaises (Fat). « M. Fabre doit obligatoirement se réconcilier avec la Grande muette s’il veut un jour diriger le Togo », analyse un politologue « car, cette institution regroupe en son sein, les solutions à la majorité des problèmes togolais ».


En effet, beaucoup estiment que la réticence de l’armée à l’avènement de l’alternance dans ce pays vient du manque de garanties sérieuses de la part de l’opposition. Plusieurs officiers togolais se savent trempés dans des affaires peu catholiques. Pis encore, nombre d’entre eux sont des présumés criminels. Crimes économiques et surtout crimes de sang. « Je suis la voile qui cache une horde d’hommes et de femmes nus », plaisantait feu Gnassingbé Eyadéma qui n’a jamais cessé de le marteler à son entourage, de son vivant.


Et, la stratégie semble marcher même après sa mort. Hormis la tragi-comédie de février 2005 qui a vu la montée rocambolesque et sanglante de Faure Gnassingbé au pouvoir, l’armée a eu, à plusieurs moments clé de la vie socio-politique du Togo, la chance de renverser le régime vacillant du jeune président. Mais, elle ne l’a pas saisi. Son désir avoué de changement se heurte souvent à ce fameux proverbe: « Mieux vaut un démon qu’on connaît qu’un bel ange qu’on ne connaît pas ».

A Jean-Pierre Fabre de résoudre cette délicate équation.
En outre, malgré sa popularité, l’opposant est considéré comme »l’homme du sud ». Un qualificatif qui donne une connotation ethnique à l’engagement politique de M. Fabre. Il a d’ailleurs, depuis essayé de corriger cette image, à travers des tournées de sensibilisation dans la partie septentrionale du Togo. Mais, certains Togolais restent toujours sceptiques. « Il ne suffit pas de passer en caravane dans nos villages pour espérer notre soutien. Les opposants, dans leur grande majorité, oublient que les populations du nord ont souffert et continuent de souffrir du régime Gnassingbé père et fils », s’emporte un jeune de Tchamdè (Kara) 450 km de Lomé et base politique du régime. Une autre équation à résoudre pour Jean-Pierre Fabre.


Enfin, malgré l’assurance qu’il dégage, M. Fabre est effrayé par l’idée de devenir président. Mieux encore, il a la trouille de faire pire que son prédécesseur. Il faut reconnaître que l’Afrique grouille de ces opposants virulents qui, une fois au pouvoir se sont transformés en véritables fossoyeurs de la démocratie et de la bonne gouvernance. Abdoulaye Wade du Sénégal, Mamadou Tandja du Niger, Alpha Condé de la Guinée Conakry…


Faure Gnassingbé est quant à lui, quelqu’un de cohérent qui dispose d’une mémoire d’éléphant. Qualité importante pour gérer le panier à crabes et serpents qu’est devenu son entourage. Il n’oublie jamais rien ou presque. Combien de fois n’a-t-il pas rappelé à un collaborateur, « tu m’avais pourtant dit ceci, il y a quelques mois… » avec l’ironie qui lui va bien. Il sait manager son armée et a réussi à isoler tous les officiers suspects. Il a compris, en stratège militaire, qu’une armée ne vaut rien sans les armes et a confié les dépôts de munitions à des hommes très proches, le plus souvent originaires de son village. Il dispose aussi d’une variété importante d’informations et a multiplié des réseaux de renseignement, ce qui lui permet d’être informé de tout.


Mais, le chef de l’Etat togolais donne une impression d’ « insouciant » face aux problèmes primordiaux de ses compatriotes. Très introverti et timide, Faure Gnassingbé ne sait pas aller au contact de la foule et semble vivre à des années lumières des préoccupations de la population. « Comment expliquer que le président n’ait pas réagi à l’assassinat du jeune élève Anselme Douti lors de la répression d’une marche à Dapaong, 700km de Lomé, par la police, aux cris des femmes commerçantes des grands marchés de Lomé et de Kara ruinées après les incendies criminels de leurs commerces…? », s’interroge un jeune Zémidjan de Lomé.
Par ailleurs, la stratégie machiavélique consistant à maintenir sous sa coupe des présumés criminels afin de mieux les contrôler peut se retourner contre l’homme fort du Togo. Cette option donne une mauvaise image du pays tout entier alors que Faure Gnassingbé clame à qui veut l’entendre que "le Togo a changé".



Avec ce portrait croisé du président Faure Gnassingbé et de son principal opposant, Jean-Pierre Fabre, les paris sont ouverts pour la présidentielle de mars 2015. Bien malin qui saura prédire le nom du prochain gagnant de cette joute électorale à l’issue très incertaine. Car, malgré la maîtrise des systèmes de fraudes du régime, les jeux semblent ouverts entre ces deux faux-jumeaux politiques.

MAX-SAVI Carmel, Paris, France
Edem K. ASSIGNON, Paris, France




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