. Le dilatoire de Gilbert Bawara sur les élections locales
L’échéance de 2015 reste présente dans les esprits. A raison, car il s’agit d’un scrutin importantissime pour la survie de la démocratie et de l’alternance dans notre pays. Mais le processus n’est pas préparé au moins. Et, bien plus, n’annonce rien de bon sur le plan sécuritaire. D’où l’urgence de solutions alternatives, « afin d’éviter le pire » à notre pays. Et c’est ici que dans certains milieux, on suggère la suspension du processus électoral.
Le Togo tout droit dans le mur
Enclenché et préparé de façon unilatérale par le pouvoir Faure Gnassingbé, le processus électoral de 2015 semble avoir atteint un chemin de non retour. Il est entré dans sa phase décisive, avec l’installation des deux grandes institutions électorales que sont la Commission électorale nationale dite indépendante (Céni) et la Cour constitutionnelle caporalisée. La prochaine étape devra être l’annonce sous peu de la révision électorale. Mais la grande question est de savoir quelle sera l’issue de cette élection.
C’est un scrutin assez crucial pour la survie de la démocratie, disions-nous, car c’est l’alternance au pouvoir qui est en jeu. La mise en œuvre des réformes constitutionnelles et institutionnelles recommandées par l’Accord politique global (Apg), avec la limitation du mandat présidentiel et la concession de la transparence et de l’équité au scrutin auraient pu en assurer une certaine sérénité. Mais, c’est un secret de Polichinelle, le pouvoir n’a aucune volonté de s’y plier. Les appels tous azimuts n’ont aucun effet. Les derniers viennent des églises, des représentants diplomatiques occidentaux, de certaines organisations de la société civile. Mais le pouvoir est resté opaque jusqu’à présent. Un refus des réformes qui crée des frustrations au sein de l’opposition et du peuple assoiffé d’alternance. A côté du refus de mise en œuvre de ces réformes et du verrouillage du processus, le pouvoir est en train d’opter pour la force, avec le parachutage à la tête de la Gendarmerie souvent requise pour assurer la sécurité lors des périodes électorales, d’un tortionnaire assermenté en la personne de Yotroféi Massina. Il est clair qu’on va tout droit dans le mur si les choses devraient en rester là. Une suspension du processus s’impose alors pour donner place à des solutions alternatives.
Transition démocratique, élections locales…
Transition démocratique. C’est la première option proposée par certaines voies. On peut citer ici en premier lieu le Groupe de réflexion et d’action pour le dialogue, la démocratie et le développement (Grad) qui a fait part de cette suggestion depuis bien longtemps, puis le Front des patriotes pour la démocratie (Fpd) de Djimon Oré porté sur les fonts baptismaux en mai 2014 et qui suggérait une « transition politique consensuelle ».
Il s’agit d’un processus politique caractérisé par le passage progressif d’un régime de dictature à une démocratie. La transition peut avoir lieu dans des conditions très différentes. Ainsi, elle s’étale en général sur plusieurs années et dépend des contextes – le niveau de développement tout comme l’existence antérieure d’un système démocratique sont des facteurs favorisant le succès cette transition. Ainsi, lorsqu’il s’agit de juntes militaires, celles-ci négocient souvent leur immunité avant de quitter le pouvoir (cf. le Chili sous Pinochet ou la dictature argentine). Aussi, la transition en question peut-elle parfois prendre de nombreuses années. En Europe, outre la « Transition démocratique espagnole » (1975-82) ou la révolution des œillets au Portugal (1974), on peut citer la disparition des régimes socialistes du « bloc soviétique » à partir de l’année 1989. L’Allemagne qui a connu trois transitions démocratiques au XXe siècle (1918-1933, 1945-1949, 1989-1990) est un autre cas particulier.
Plus proche de nous en Afrique, c’est la Côte d’Ivoire qui s’y est essayée. Cela a vu Laurent Gbagbo passer un autre mandat entier à la tête du pays, à la suite de son premier quinquennat. Même si cela a pris du temps, aujourd’hui la Côte d’Ivoire amorce un retour progressif vers la normalisation (sic). Ce cas pourra donc nous servir de repère. Dans la pratique, cette transition consistera à concéder un extra-time de quelques mois ou années au locataire actuel de la Marina pour préparer en douce le scrutin, en toute sérénité. La proposition ne l’agréerait sans doute pas, décidé qu’il est à s’incruster au pouvoir, mais la transition démocratique aura le mérite d’éviter des coulées d’adrénaline, des violences en 2015 et d’épargner au pays un bis repetita des événements de 2005.
Les élections locales avant la présidentielle, voilà une autre option. Même si elle s’ébruitait depuis bien longtemps, c’est l’Alliance nationale pour le changement (Anc) qui lui a donné une dimension particulière à l’occasion du congrès organisé les 10 et 11 derniers ayant vu investir Jean-Pierre Fabre à la présidentielle de 2015. Dans une résolution prise, le parti a exigé que les élections locales soient organisées dans les plus brefs délais, quitte à repousser la présidentielle à une date ultérieure.
Les options alternatives, on peut les multiplier à foison.
Les manœuvres dilatoires de Bawara sur les locales
Alors que lui et le pouvoir démocraticide qu’il sert avec ses tripes étaient attendu sur les réformes constitutionnelles et institutionnelles devant impacter positivement le scrutin de 2015, le ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales a cru devoir briser le silence sur les élections locales, pour pas grand-chose. Après les partis politiques dans la matinée, il a rencontré la presse pour annoncer la mise sur pied d’un certain Comité technique devant plancher sur la décentralisation, élaborer une feuille de route et sur l’organisation des élections locales. Composé de huit (08) membres, le Comité technique a pour mission de réfléchir sur les trois (3) niveaux de collectivités définies par la Constitution togolaise en son article 141, définir les blocs de compétences et comment se fera ce transfert, dégager une stratégie partagée par tous les acteurs, revoir le cadre juridique, définir les modalités de financement des collectivités locales et aussi leur mode de fonctionnement. Il dispose de six (6) mois pour finaliser les travaux et rendre ses conclusions au gouvernement.
On devrait a priori se réjouir d’une telle initiative, car il s’agit là d’un pas posé sur le chemin de la décentralisation. Mais ce qui est à regretter, c’est que les élections locales tant attendues n’auront pas lieu de si tôt, en tout cas pas avant la présidentielle de 2015 si l’on en croit Gilbert Bawara et considère le délai fixé au fameux comité pour rendre ses conclusions. Le pouvoir a toujours argué que le pays n’est pas prêt, et c’est la même chanson qui a été fredonnée. « Cette sortie est un simple dilatoire du pouvoir pour amadouer l’opposition et les partenaires du Togo, et surtout détourner leur attention au moment où tout le monde réclame les réformes (…) », relève un concitoyen.
Avancer l’indisponibilité de textes de décentralisation pour justifier le report aux calendes grecques des locales ne relève en effet que du dilatoire. Car c’est depuis dix (10) ans que le pouvoir se débine. L’organisation des élections locales a été recommandée par les 22 engagements signés à Bruxelles le 14 avril 2004. C’est un engagement que le Togo avait pris devant les décideurs européens d’organiser ces élections qui sont mieux expressives de la démocratie (engagement N° 1.6 : Engagement d’organiser des élections locales, dans un délai de 12 mois, dans des conditions transparentes et en acceptant des observateurs à tous les stades du processus). Mais depuis, non seulement ledit scrutin n’est pas organisé, mais en plus pas grand-chose n’est fait sur le terrain de la décentralisation. Une loi avait été votée en 2007 (Loi n° 2007-011 du 13 mars 2007 portant décentralisation et liberté locale) ; et depuis lors, c’est le silence total de la part du pouvoir. Tout est simplement question de manque de volonté du pouvoir, et le reste n’est que faux-fuyant.