Ce 31 Octobre 2014 au Burkina Faso, une insurrection populaire démocratique d’une ampleur exceptionnelle en Afrique subsaharienne, a balayé le président Blaise Compaoré, au pouvoir depuis vingt-sept (27) ans et qui voulait changer la Constitution afin de s’y maintenir indéfiniment. Ces événements doivent faire réfléchir les chefs d'Etat africains tentés de manipuler à leur guise les textes de loi ainsi que les scrutins électoraux et d'une manière générale d’outrepasser la volonté du peuple, comme c’est le cas au Togo.
Pour comprendre la situation qui prévaut aujourd’hui au Togo, il faut se rappeler les circonstances de l’avènement de Faure Gnassingbé au pouvoir en 2005 après le décès de son père Gnassingbé Eyadéma, à la faveur d'un coup de force militaire, d'un tripatouillage de la Constitution et d'un processus électoral frauduleux et sanglant, aux termes desquels un rapport d'établissement des faits de l’ONU a dénombré environ 500 morts. Pour sortir de la grave crise politique due aux conditions d'arrivée au pouvoir de Faure Gnassingbé et à la suite d'un double dialogue tenu sous la facilitation du Président Blaise Compaoré d'une part et de la communauté de San Egidio d'autre part, l'opposition et le parti au pouvoir ont signé en 2006 l’Accord Politique Global (APG 2006). Les réformes constitutionnelles et institutionnelles, ainsi que les conditions de transparence des élections constituaient l’enjeu primordial de cet accord. Seules deux des clauses de l’accord ont connu un début de mise en œuvre, avec la duplicité et les reculs systématiques qui caractérisent les pratiques du régime en place au Togo depuis plus de 50 ans.
Ainsi, si des élections législatives se sont tenues en 2007 dans des conditions non-violentes et acceptables (pour la communauté internationale), les élections locales qui devaient suivre ont sans cesse été renvoyées à une date ultérieure, alors qu'elles devraient favoriser l'enracinement de la démocratie, la décentralisation et le développement inclusif.
Quant à la Commission Vérité Justice et Réconciliation (CVJR) mise en place avec l'aide de financements internationaux dont ceux de l'Union Européenne, aucune de ses recommandations n'a à ce jour vu un début de concrétisation. La CVJR a elle aussi, parmi ses recommandations, réitéré l’urgence des réformes politiques présentées comme un gage de paix.
En dépit des engagements pris et parce qu'il compte sur la fraude électorale pour se maintenir indéfiniment au pouvoir, Faure Gnassingbé refuse de mettre en œuvre les réformes institutionnelles et constitutionnelles qui garantiraient des élections démocratiques et transparentes ainsi que l'évolution vers une réelle indépendance des institutions, qui, au Togo, ne sont républicaines que de nom. La volonté du régime en place de conserver le pouvoir dans le giron familial se traduit par la répression systématique et violente de toute contestation émanant de la société civile ou de l'opposition politique, avec l’usage de la torture comme moyen habituel d'interrogatoire et l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques.
Synergie-Togo lance un appel aux partenaires du Togo afin de :
• mettre fin à la politique qui soutient dictature et concentration du pouvoir entre les mains d'un autocrate au motif qu'il garantit la stabilité ;
• mettre au cœur des préoccupations le « déficit démocratique » et ses conséquences néfastes sur l'efficacité et la rentabilité des aides et investissements consentis ;
• mettre suffisamment de pression sur le régime togolais pour qu’il tienne ses engagements concernant les réformes constitutionnelles et institutionnelles prévues par les 22 engagements de 2004 et l’APG de 2006, et qu’il accepte un cadre électoral consensuel mettant en œuvre notamment les recommandations des missions d'observation électorale de l'Union Européenne.
Synergie-Togo invite le gouvernement togolais, les acteurs des partis politiques et de la société civile à prendre la mesure de la situation sociopolitique et de la volonté affirmée des peuples Africains de barrer la route aux présidences à vie, et de promouvoir ainsi l’émergence d’une véritable trajectoire démocratique, seul gage du développement économique et social durable, ainsi que de la stabilité politique et de la paix.
Elle exhorte toute la classe politique et la société civile togolaise à engager avec courage un agenda politique destiné à finaliser les réformes constitutionnelles et institutionnelles permettant la tenue des élections locales d’abord et les élections présidentielles ensuite.
Synergie-Togo rappelle que selon les dispositions de l'article 59 de la Constitution de la République togolaise «Le Président de la République reste en fonction jusqu'à la prise de fonction effective de son successeur élu.»
1. Sous le voile feutré tissé par "les mercenaires en col blanc", la dictature perdure au Togo :
Malgré tous les dialogues sous la médiation des partenaires internationaux et les engagements pris pour permettre de régler durablement la crise sociopolitique togolaise, le régime RPT-UNIR contourne systématiquement le consensus politique, privilégiant le passage en force. Soucieux de conserver à tout prix le pouvoir aux mains d’une minorité, les tenants du régime n’hésitent pas à recourir aux pratiques d'un autre âge parmi lesquelles la poursuite voire le renforcement de la dictature, à travers :
• L’institutionnalisation de la torture caractérisée par (Cf. Rapport de l'association ASVITTO ) :
- la garantie d'’impunité accordée aux auteurs et commanditaires des traitements inhumains et dégradants infligés aux détenus de l’Agence Nationale de Renseignements (ANR) ;
- la falsification du rapport élaboré sur ces faits par la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) dont le président a dû s’exiler ;
- les crimes économiques et les violences faites aux femmes des marchés de Lomé et Kara, accusées d’être les soutiens de l’opposition et dont l'outil de travail a été détruit par des incendies criminels ;
- la nomination à la tête de la gendarmerie nationale qui fait office de police judiciaire au Togo, de l'ancien directeur de l’Agence Nationale de Renseignements (ANR), impliqué dans des actes de torture. Cette nomination risque d'aboutir à la banalisation de la torture comme moyen d'interrogation et au recours systématique de cette pratique pour arracher des aveux mettant en cause les adversaires politiques que l'on veut abattre.
• L'instrumentalisation de l'institution judiciaire et de l'assemblée nationale pour éliminer des adversaires politiques gênants, notamment par :
- la levée arbitraire de l’immunité parlementaire ou révocation illégale de députés de l’opposition de leur mandat, et entraves diverses aux activités des partis politiques de l’opposition et des organisations de la société civile ;
- les poursuites judiciaires sans fondement à l’encontre de leaders politiques ayant contraint l’ex-commandant Olivier Poko Amah à l'exil ou conduit l’ex-ministre Pascal Bodjona en prison ;
- l'inculpation et mise sous contrôle judiciaire sans preuve de plusieurs leaders de partis d'opposition ou de dirigeants d'organisations de la société civile dans l'affaire des incendies de marchés ;
- le maintien en détention de nombreux militants et sympathisants de l’opposition à la suite de l’affaire des incendies des marchés.
• Les violences policières répétées :
- contre les manifestations de l’opposition ;
- en violation de la franchise universitaire, tabassage et embastillement d’étudiants des universités de Lomé et de Kara qui réclamaient simplement des conditions d’études décentes ;
• Les entraves à la liberté de la presse :
- fermetures de stations radio ;
- poursuites judiciaires contre des responsables des médias ;
- harcèlement et agressions contre des journalistes.
A la veille des prochaines échéances électorales et dans un contexte économique désastreux, cette dérive totalitaire du régime de Faure Gnassingbé rend la tension sensible à un tel point que le refus de réformes avant l'organisation des prochaines élections peut « embraser tout un pays et le faire basculer dans l’horreur » .
2. En route vers des élections frauduleuses avec un processus électoral verrouillé et un quadrillage sécuritaire
Lundi 30 juin 2014, quelques semaines après un nouveau dialogue entre le gouvernement et le parti UNIR au pouvoir d'un côté et les partis de l’opposition parlementaire de l'autre, les députés du parti UNIR rejettent en bloc un projet de loi de révision constitutionnelle soumis par le gouvernement à l’Assemblée Nationale. Ce projet de loi réintroduisait dans la Constitution adoptée à 97% par le peuple togolais en 1992 mais unilatéralement modifiée en 2002, le principe de la limitation du mandat présidentiel (un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois) et le scrutin majoritaire à deux tours pour le scrutin présidentiel. Le projet portait également sur les conditions d’éligibilité du Président de la République, la composition et la durée des fonctions des membres de la Cour Constitutionnelle, et les modalités de désignation des membres du Sénat…
Il s'agit là d'un jeu de dupes à l'attention de la communauté internationale, pour faire croire que le gouvernement a répondu à toutes les revendications de l'opposition politique et de la société civile et que c'est « le peuple », représenté pas ses élus qui n' a pas voulu de la révision des textes.
A la veille d’échéances électorales majeures, en l’occurrence les élections locales toujours renvoyées sine die, et l’élection présidentielle prévue pour la fin du premier trimestre 2015, malgré les appels insistants des églises togolaises et des partenaires du Togo (l’Union Européenne et le groupe des cinq ambassadeurs occidentaux au Togo), le régime togolais ne semble pas prêt à honorer ses engagements. En témoigne, la récente déclaration du président de la Cour Constitutionnelle, Aboudou Assouma, estimant dans un entretien publié par le site Republicoftogo.com le 5 octobre 2014, que « la page des réformes est définitivement tournée depuis le vote des députés le 30 juin 2014 ». Cette prise de position, venant du Président d’une institution censée être l’arbitre des élections et le garant de l’application des textes fondamentaux de la République, est à la fois un signal clair de l’intransigeance du régime togolais et une preuve du manque d'indépendance des institutions de la République.
Le Togo va-t-il encore et inexorablement vers une nouvelle mascarade électorale avec son corollaire de contestations et de violences ? Quelques signes avant-coureurs le font craindre, en l’occurrence :
- le retour à la présidence de la Commission électorale Nationale Indépendante (CENI) de Taffa Issifou Tabiou qui avait déjà officié en cette qualité en 2010 ;
- la nomination à la tête de la gendarmerie nationale du Colonel Yotrofeï Massina accusé d’actes de torture à l’Agence nationale de Renseignement (ANR) ;
- et la décision du gouvernement de placer la Force de sécurité des élections (FOSEP) de 2015 sous la tutelle du ministère de la défense c'est-à-dire du chef de l’Etat.
Ainsi, tout en refusant de faire les réformes nécessaires à la transparence des élections, le régime lance sa machine à fraude et met en place un quadrillage sécuritaire pour étouffer toute contestation.
3. Synergie-Togo n’a pas ménagé ses efforts
Depuis sa création en 2008, Synergie‐Togo a focalisé ses actions sur la sensibilisation de la diaspora togolaise et des partenaires internationaux sur la situation réelle qui prévaut au Togo.
A travers ses cycles de conférences « Togo Objectif 2010, Mieux voter, Bien compter, Vrai restituer » en 2009 et « Mascarades électorales en Afrique : Cas du Togo » en 2013, c’est un véritable cahier des charges pour des élections justes, transparentes et acceptées par tous que Synergie-Togo a élaboré en collaboration avec des organisations de la société civile, de la diaspora togolaise, ainsi qu’avec les partis politiques représentés à l’assemblée nationale togolaise, y compris le parti au pouvoir. Mais au regard de l’évolution politique actuelle, force est de constater que les engagements et promesses n’ont pas été honorés par le régime.
En outre, par son travail de monitoring de l’action publique et des différentes élections successives caractérisées par la fourberie et la fraude institutionnalisées, Synergie-Togo est arrivée à la conclusion que le régime RPT-UNIR n’a aucune volonté d’opérer des réformes visant à la transparence des urnes et ne peut en conséquence organiser des élections transparentes.
4. Les citoyens togolais n’ont pas relâché la pression
Aux lendemains de l’élection présidentielle de 2010, grâce à la retenue et la modération des acteurs politiques, la contestation des résultats n’a heureusement pas dégénéré en violence extrême. Toutefois, la mobilisation du peuple est restée soutenue. La pression exercée par les membres du Front Républicain pour l’Alternance (FRAC) a abouti à la création en 2011 d’un large mouvement citoyen, le Collectif « Sauvons le Togo » autour d’une plateforme pour les réformes. La plateforme citoyenne du Collectif « Sauvons le Togo » propose « la mise en place d’une feuille de route consensuelle destinée à opérer les réformes et à organiser des élections transparentes, équitables, en vue de l’ancrage de l’État de droit ».
Face à la mobilisation populaire autour du Collectif « Sauvons le Togo », le pouvoir UNIR n’a eu que le langage de la répression, refusant le dialogue au profit des violences policières ou de la chasse aux opposants embastillés sur la base de montages judiciaires rocambolesques. Il est resté sourd aux différents appels au dialogue et s’est lancé dans une course solitaire de préparation et d’organisation des élections législatives de juillet 2013.
Les partis politiques membres du CST, dont certains candidats ont été libérés pour la circonstance, n’ont finalement participé à ces élections qu’en croyant aux promesses faites par le gouvernement togolais aux partenaires internationaux d'effectuer les réformes après ces élections. Un an après, la même situation se présente de nouveau, à la veille des élections présidentielles de 2015, une preuve de plus de la duplicité et de la mauvaise foi du régime togolais. Et cette fois encore, rien ni personne ne pourra empêcher le pouvoir en place de ressortir les mêmes inculpations latentes pour disqualifier certains candidats gênants.
Quant aux élections locales, au cours d'une conférence de presse qui s'est tenue à Lomé fin octobre 2014, le Ministre de l'administration territoriale a annoncé la mise en place d’un comité technique chargé d’élaborer, dans un délai de six (6) mois une feuille de route sur les questions de la décentralisation et de l’organisation des élections locales. Le régime en place renvoie donc encore une fois les élections locales à une date ultérieure, après les présidentielles prévues au premier trimestre 2015, si les résultats du comité technique sont validés par les acteurs politiques.
5. Le système RPT/UNIR n'a tenu aucun de ses engagements pour de réelles avancées démocratiques
Après l’accord politique de 2006, la communauté internationale a respecté ses engagements en mettant fin aux sanctions qui pesaient sur le Togo depuis 1993 pour déficit démocratique marqué notamment par des élections frauduleuses, des arrestations arbitraires et des assassinats politiques. En reprenant la coopération et en annulant partiellement la dette du Togo, la communauté internationale a malheureusement revu ses exigences à la baisse en donnant des satisfécits précipités sur les petits pas du régime et en manifestant un certain laxisme sur l’évaluation des réelles avancées et du respect des engagements pris par le régime togolais.
Un bilan objectif des 22 engagements pris le 14 avril 2004 à Bruxelles lors des consultations avec l’Union Européenne (UE) sur les conditions de la reprise de la coopération, révèle que plusieurs de ces engagements sont restés lettre morte, en particulier ceux visant au renforcement du climat démocratique et de l’État de droit dans le pays.
Le renvoi des élections locales sine die et la mascarade du rejet du projet de loi de réformes par les députés UNIR ont fini par convaincre tous les observateurs que le régime togolais n’a pas la volonté de respecter ses engagements.
Conclusions
Les critères pour des élections transparentes et démocratiques tels que listés par Synergie-Togo dans ses travaux réalisés depuis 2009 au cours et après les cycles de conférences « Mieux Voter, Bien Compter, Vrai restituer » et « Mascarades électorales en Afrique : Cas du Togo » sont toujours d’actualité. S’y ajoutent les questions cruciales des réformes institutionnelles et constitutionnelles définies par l’Accord Politique Global mais qui ont sans cesse été reportées d’une élection à la suivante, depuis 2006.
Afin d'éviter au Togo un drame déjà vu, Synergie-Togo recommande aux partenaires du Togo d'exiger la tenue des réformes institutionnelles et constitutionnelles de manière consensuelle comme préalable à toute élection, sous peine de non reconnaissance des résultats qui découleront de ces élections ; de souligner la nécessité d'une élection présidentielle à deux tours, et de suggérer le regroupement des élections présidentielles et locales pour des raisons budgétaires.
Face à un pouvoir togolais qui ignore les accords qu'il signe (APG 2006), qui reste sourd aux recommandations de l' Union Européenne et du G5, qui ne tient pas compte des propositions de la Commission Vérité Justice Réconciliation (CVJR) et de l’appel des églises, pour Synergie-Togo, à l'heure où souffle un vent nouveau de démocratie sur l'Afrique, l'exigence doit remplacer les recommandations qui n'émeuvent guère les dirigeants togolais, pour permettre au Togo de prendre le chemin d'une démocratie réelle et apaisée.
Fait à Paris le 31 octobre 2014
Pour Synergie-Togo,
La Présidente
Brigitte Améganvi
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Synergie-Togo est une organisation de la société civile créée par des membres de la diaspora togolaise dans le but de contribuer au développement économique du Togo en mobilisant les compétences des Togolais, en sensibilisant la diaspora togolaise au devoir de solidarité qui s’impose à elle, en servant de cadre de réflexion pour l’élaboration de travaux relatifs à la valorisation de la démocratie et à la promotion des droits humains. Face à la misère grandissante de la majorité des togolais du fait de la corruption, et face au refus du pouvoir en place d’accepter des élections transparentes et la vérité des urnes, Synergie Togo a participé, en mai 2012 à la création du Collectif « Sauvons le Togo » (CST), un mouvement citoyen regroupant de nombreuses organisations de la société civile, des Droits de l’Homme, ainsi que des partis politiques.