Togo - Les propositions de la plateforme Imani Francophone L’élection présidentielle de 2015 au Togo cache un enjeu de taille : l’alternance au pouvoir. Faut-il le rappeler, c’est une seule famille qui régente le pays depuis bientôt un demi-siècle. Son évènement, c’est l’affaire de tous : politiques, société civile, citoyens. Sous d’autres cieux, la société civile a joué un rôle avant-gardiste dans la survenue de l’alternance au pouvoir. Quelle implication de la société civile togolaise dans la lutte pour l’avènement en 2015 de cet idéal tant désiré par les Togolais?
La belle leçon venue du Sénégal et du Burkina
La société civile ne s’immisce pas dans les débats politiques. Voilà l’argument massue qu’ont souvent à la bouche des acteurs de la société civile togolaise pour répondre à certaines critiques. Mais cette drôle de conception, en fait une fuite de responsabilité, a été battue en brèche par les sociétés civiles sénégalaise en 2011-2012 et burkinabé cette année 2014.
La société civile sénégalaise a en effet joué un rôle de premier plan dans l’envoi à la retraite de l’inénarrable Abdoulaye Wade qui voulait s’offrir un 3e mandat au pouvoir. La contestation politique a été incarnée par le mouvement « Y’en a marre » créé en janvier 2011 par un collectif d’artistes et de journalistes. A un moment donné, ce mouvement a fusionné avec l’opposition politique formelle afin de faire entendre raison à Wade. Manifestations de rue, déclarations, sit-in…toutes les actions avaient été entreprises. Et les résultats ont suivi en mars 2012, avec la défaite d’Abdoulaye Wade et la victoire de Macky Sall.
Second exemple, le Burkina-Faso. La société civile a été le fer de lance de la révolte populaire qui a emporté Blaise Compaoré le 31 octobre 2014. Avec à la pointe le mouvement « Balai citoyen » dont l’un des leaders est l’artiste de la chanson Smockey. Tout comme au Sénégal, ce mouvement a travaillé en étroite collaboration avec l’opposition politique régulière, et les résultats ont suivi.
Certains acteurs conscients de la situation
Si par essence la société civile et le politique ne font pas bon ménage ( ?), au Sénégal et au Burkina Faso, les acteurs de la société civile ont compris que lorsque l’intérêt du peuple est en jeu, il n’y a plus de démarcation à observer. Tout comme dans ces deux pays où les dirigeants en place voulaient entraver l’alternance, un principe sacro-saint de la démocratie, c’est la même équation qui se pose au Togo avec l’élection présidentielle de l’année prochaine.
Après Eyadéma qui a régné 38 ans durant sans partage, son fils Faure qui lui a succédé en 2005 dans une mare de sang, sera en 2015 au bout de ses deux mandats légitimes acceptés en démocratie, mais ne veut nullement vider le plancher. Il manœuvre pour s’offrir un 3e mandat, en refusant de mettre en œuvre les réformes constitutionnelles et institutionnelles recommandées par l’Accord politique global (Apg) signé le 20 août 2006 et réitérées par la Commission Vérité, Justice et Réconciliation dans son rapport remis à Faure Gnassingbé le 3 avril 2012. Il s’est même permis de fermer la porte de ces réformes depuis Accra le 25 novembre dernier. Ici, c’est l’intérêt du peuple qui est en jeu. Et devant une telle équation, le combat doit dépasser le simple cadre des politiques et intéresser la société civile.
Certaines de ses composantes ont compris l’urgence de la situation et pris leurs responsabilités. C’est le cas des Organisations de défense des droits de l’Homme qui ont organisé et participé à la marche populaire du vendredi 28 novembre dernier pour exiger la mise en œuvre des réformes de l’Apg réclamée par tout le monde : opposition, églises, diplomates, communauté internationale. C’est ici le lieu de tirer chapeau à ces organisations et à celles qui partagent cette cause, mais n’ont pas pu transcender la peur (sic) pour battre aussi le pavé ; et également à celles-là qui descendront encore dans la rue le 12 décembre prochain.
Hypocrisie, compromission…
A côté de ces associations responsables, se trouvent d’autres, les plus nombreuses d’ailleurs, qui militent contre l’alternance au pouvoir en 2015. Si elles se déclarent pour la mise en œuvre des réformes – encore faut-il savoir si elles sont vraiment sincères -, elles quémandent un 3e mandat à Faure Gnassingbé qui sera en 2015 au bout de son second et dernier mandat légitime. Sacrifiant ainsi l’alternance, un idéal derrière lequel court le peuple togolais depuis bientôt un demi-siècle et adoubant la pérennisation du clan Gnassingbé au pouvoir. Plus véhéments dans cette voie, sont les néo-responsables d’une de ces organisations réclamant le titre foncier de la lutte contre l’impunité au Togo et, qui plus est, a porté, au nom des victimes, de nombreuses plaintes à Lomé et à Atakpamé pour les violences de 2005 ayant coûté la vie à un demi-millier de compatriotes. Lesquelles plaintes la justice instrumentalisée sous les bottes du Prince refuse d’instruire depuis lors. Mais curieusement, c’est celui à qui ces crimes d’alors ont profité, et qui d’ailleurs n’a pas fait grand-chose afin que ces plaintes soient instruites – un euphémisme – que les responsables de cette association veulent voir briguer un 3e mandat en 2015. Un coup de poignard en quelque sorte dans le dos de ces victimes qui attendent que la justice se fasse. On a voulu être allusif pour l’instant ; mais le moment viendra où l’on citera des noms, afin que les Togolais identifient, à toutes fins utiles, les ennemis de l’alternance qu’il recherche depuis un demi-siècle. Et ils sont nombreux.
« Ce que les Togolais doivent comprendre, c’est qu’on n’a pas les mêmes préoccupations au Togo. Certains profitent bien du régime monarchique et n’ont pas intérêt à ce que le pouvoir change de main. Les périodes électorales sont généralement des occasions de grands marchandages et de vache grasse, et celle de 2015 n’échappe pas à la règle (…) Les gens se lient au pouvoir, même au sein de l’opposition, par des compromissions et leur simple mutisme ou jeu trouble sont rétribués », relève un concitoyen.
Les suggestions d’Imani Francophone
Imani Francophone est un projet du think tank Imani Center for Policy and Education visant à incorporer l’Afrique francophone dans le débat de la liberté, de la prospérité et de la paix du continent africain. Il s’est intéressé à la problématique de l’élection présidentielle de 2015 dans notre pays et surtout à la place de la société civile togolaise dans le débat et la lutte pour l’alternance. « La société civile togolaise s’est endormie ou est presqu’inexistante » dans le débat, déplore Imani Francophone dans une publication. Et de lancer un « appel crucial à cette fraction de la société civile togolaise encore dormante » à prendre conscience du « rôle extrêmement crucial » qui est le sien dans l’aboutissement heureux du processus.
Imani Francophone suggère même deux pistes de solutions à la société civile togolaise pour se rendre utile : « Établir une coalition des organisations de la société civile crédible qui servira d’intermédiaire entre le gouvernement et l’opposition. Cette coalition a l’obligation de : influencer le report du prochain scrutin présidentiel en vue de favoriser les reformes institutionnelles et constitutionnelles appropriées ; engager le chef de l’État actuel (Faure Gnassingbé), le chef de file de l’opposition togolaise et tous les partis prenants aux prochaines présidentielles dans des discussions de paix et de stabilité sociale en vue d’éviter une situation irréversible que le pourrait vivre » et « Organiser une série de débats d’idées et de politiques publiques entre les différents candidats aux élections, débats durant lesquels les participants étaleront leurs programmes, projets et plans pour la gouvernance effective du pays ». Car, y croit-on dur comme fer, « aucune réforme n’aura lieu si les principaux acteurs de la vie politique togolaise ne mettent en place des stratégies concrètes pour en faire de la question une réalité. Les conséquences, apparemment, seront très lourdes pour le Togo si le prochain scrutin présidentiel se déroule dans présentes circonstances ».