« On me transfère sur 100 km, menotté dans le dos avec des petits bambins de gendarmes qui vous donnent des coups de pieds, des gifles… ça m’a plutôt requinqué, on va mener le combat jusqu’à notre dernier souffle »
Dans une interview exclusive accordée hier à L’Alternative, le président du Mouvement des Républicains Centristes (MRC) revient sur les conditions de sa détention, de l’affaire d’incendie des marchés, des dernières législatives et des rivalités au sein du Collectif « Sauvons le Togo ». Lecture !
Bonjour Monsieur Abass Kaboua, depuis hier vous avez recouvré votre liberté. Votre réaction ?
C’est pénible d’être en prison. Ma première réaction, c’est celle de rendre grâce à Dieu, à ma compagne, à mes enfants, à toute ma famille, surtout à ma famille politique, au groupe auquel j’ai appartenu et auquel j’appartiens jusqu’à présent, n’en déplaise à ceux qui écrivent ce qu’ils veulent. Je veux parler du Collectif « Sauvons le Togo » et à tout le peuple togolais de quelque bord que ce soit. Nous sommes après tout des humains. On ne peut que compatir. Il y a des gens du pouvoir, quand ils sont dans le malheur ou en détresse, nous compatissons avec eux. Je suis sûr qu’il y a des gens aussi dans leur camp qui ont compati à ma douleur. Je remercie tous ces gens également. Je voudrais également dire mes félicitations au collège des médecins commis par le gouvernement pour faire l’expertise médicale sur ma personne. Je n’ai pas caché que je suis malade contrairement à d’autres. Je vous jure que parmi six médecins militaires, je précise parce qu’ils sont des militaires, il n’y avait aucun civile. Au départ, même tout le monde avait peur qu’ils disent des contre-vérités, mais je vous assure qu’ils ont vraiment travaillé avec professionnalisme. Ce que certains voulaient, ils ne l’ont pas eu. Je rends un grand hommage à ces braves médecins. Comme je l’ai toujours dit, l’armée togolaise n’a pas que des brebis galeuses. Il y a du bon et du mauvais comme dans toute société. Même en notre propre sein au CST, il y a du bon et il y a aussi du mauvais. C’est comme ça, c’est la vie. C’est Dieu qui a créé cela. Et on va faire comme cela jusqu’à la fin de nos vies sur la terre. Ceux qui nous remplaceront continueront à vivre comme cela.
Le rapport d’expertise médicale a conclu que vous êtes malade. Décrivez-nous de quoi vous souffrez, depuis quand et surtout les conditions de votre détention ?
Vous savez, j’ai des problèmes neurologiques, cardiaques et également un polype sur ma corde vocale. Donc vous comprendrez que je suis un sujet à haut risque. Je suis souffrant depuis 2008-2009. Et je gère. Malheureusement, le Togo n’est pas équipé pour que je me soigne ici. J’ai toujours dénoncé cela en tant que politicien responsable. Je dis bien responsable. Je ne suis pas venu en politique par accident comme certains. Si en cinquante ans de règne, les gens sont incapables de nous doter d’un bon instrument pour notre santé et que nous sommes obligés d’aller à l’extérieur pour nous soigner à chaque fois, je ne crois pas que c’est une bonne chose.
Le Collège des médecins a donné son avis concernant ma santé. Ils ont vu juste. Maintenant, on m’a dit que je ne peux pas quitter le territoire, mon passeport a été confisqué. Pour moi, nous sommes dans une logique et je prie Dieu que le gouvernement aille jusqu’au bout de cette logique, celle du procès sur les incendies des marchés. Mais à ma sortie, j’ai vu que le corps du délit même est en train d’être détruit allègrement. Je ne sais pas si c’est la mairie de la ville, contrairement à toute logique juridique qui a pris sur elle de faire détruire le marché. A Kara c’est pareil, alors que ça devrait être plutôt un acte juridique. Nous sommes très surpris puisque c’est sur la base de ce corps de délit que notre procès va avoir lieu. Je dis bien notre procès. Il faut faire vite parce que nous sommes fatigués par ce dossier.
On sait que vous ressentez des malaises depuis plusieurs mois. Et plusieurs fois, les demandes de votre liberté provisoire ont été rejetées. Racontez-nous un peu les dernières heures qui ont précédé votre libération et ce qui a pu finalement déterminer cela.
Mon mal même s’est accentué avec mon incarcération, parce que je vis en milieu sédentarisé. Vous comprenez que je me lève, je ne bouge pas, je ne fais aucun mouvement, je suis avec des gens qui ont commis des délits d’homicide. Je ne dors pas du tout, parce que, à tout moment tout peut m’arriver. Je connais bien ceux qui m’ont mis là-bas, je sais de quoi ils sont capables. Tout cela est stressant. Nous avons engagé plusieurs fois des demandes de libération provisoire. Nous avons d’abord dénoncé mon transfèrement. Je suis inculpé le 11 mars 2013. Deux mois après, le juge prend sur lui de me déposer à la prison civile de Lomé, comme quoi j’ai parlé du fond du dossier. Je le répète toujours, je ne connais ni la forme ni le fond, la moitié du fond ou de la totalité du fonds, je ne sais rien. Je préfère ne plus en parler puisque ce sont eux qui maîtrisent le fond et la forme. Je préfère ne plus en parler pour que cette fois-ci ils ne m’emmènent dans un goulag. Donc nous avons attaqué cette ordonnance de dépôt. La Cour d’Appel, plus précisément la Chambre d’Accusation, l’a rejetée. Nous avons ensuite attaqué mon transfèrement de Lomé vers Notsè, je n’ai personne à Notsè. Les gens nous parlent de modernisation, on nous parle de respect des droits de l’Homme ; c’est un prisonnier qui demande son transfèrement. Ce ne sont pas vos adversaires politiques qui vous ont arrêté, parce qu’ils sont au pouvoir, qui demandent votre transfèrement. Ça c’est triste. On me transfère sur 100 km, menotté dans le dos avec des petits bambins de gendarmes de l’Usig et de Sri qui vous donnent des coups de pieds, des gifles. C’est Faure Gnassingbé qui a ordonné qu’on me touche, pourquoi ? Personne ne leur fera ça. Je prie Dieu pour que personne ne leur fasse ça un jour dans ce pays.
Oui, les humiliations, on les a subies. Loin de me faire du mal, ça m’a plutôt requinqué et ragaillardi. Nous n’avons pas compris cette décision de transfèrement d’autant plus que c’est le même juge qui m’a interdit de quitter la Commune de Lomé, et il me transfère sur 100 km de Lomé. J’ai fait quatre mois là-bas inutilement avec comme conséquence mon parti qui n’a pas pu prendre part aux dernières législatives. Ça c’est une autre paire de manche. Le moment viendra où on va en parler. Mais moi je rends grâce à Dieu, car je suis vivant, parce que je sais que c’est ma mort que certains voulaient. Mais Dieu n’a pas accepté cela. Aujourd’hui, cela n’enlève en rien ma conviction politique, je dis bien absolument rien à ma détermination pour que ce pays puisse changer et aller de l’avant
Dites-nous, à ce jour, où en-est concrètement la procédure contre vous et les autres co-accusés dans cette affaire d’incendie de marché ?
Le juge d’instructions avait pratiquement clôturé le dossier. Il l’a ré-ouvert avec l’arrestation du député Manti de l’ANC. Je crois que dans les prochains jours, ça va être clôturé. Il faut qu’on aille avec sérénité au procès. On ne doit pas tomber en 2014 avec cette affaire. Il faut qu’on aille devant les juges pour que chacun puisse avoir la possibilité de se défendre. Le jour-là je parlerai du fonds et de la forme, de ce que je sais et de ce que je ne sais pas. J’attends avec sérénité ce procès. C’est tout ce qui me préoccupe maintenant. Et puis ma santé.
Depuis la prison vous avez suivi l’actualité politique dans le pays avec les dernières élections et surtout les rivalités au sein du CST. Quels commentaires en faites-vous ?
Je veux commencer par le deuxième point. Au sein du CST, il n’ya pas de problème. Quand on a été aussi haut dans les responsabilités de l’Etat, il y a des choses qu’on ne fait pas. On ne se comporte pas en petit gamin. Nous sommes des responsables politiques. Quand quelqu’un parle de première ou de deuxième position, c’est par rapport à qui ? Par rapport à moi Abass Kaboua ? Il faut que des gens fassent extrêmement attention. Je ne veux pas dire que des gens sont des traîtres, mais je ne suis pas loin de le dire. Ceux qui sont en mission commandée pour casser la dynamique du CST se trompent. Le CST a l’adhésion populaire. Le CST a le soutien de tout ce pays. Pourquoi c’est la presse de tendance présidentielle que ce sujet intéresse le plus et on en parle avec dérision ? Il y a des gens qui ont même titré que ma famille politique m’a abandonné. De quelle famille politique parle-t-on ? Heureusement que je ne suis pas UNIR. Au moins cela, tout le monde le sait.
Au sujet des élections, je dirai que tout ça n’est que tristesse. Mathématiquement et arithmétiquement, quand on dit qu’on a eu 62 députés avec moins de 900.000 mille voix sur près de 3000.000 d’électeurs, vous n’avez pas fait un exploit. Si c’était dans une élection présidentielle, Faure Gnassingbé n’est plus Président. Moi je suis un homme politique et je ne suis pas venue en politique par accident. C’est une victoire amère. Comment on nous parle de tendances qui deviennent deux heures des résultats alors que personne n’a encore vu les procès verbaux. Et vous dites que vous faites des progrès ? Et on trouve des complices qui viennent raconter des histoires à la télévision. J’ai suivi avec dégoût et dédain un certain Fredy Burundais ou Rwandais qui vient nous donner des leçons. Moi Kaboua je pourrai aller parler comme ça dans son pays en toute quiétude comme cela? Mais c’est grave. Ce monsieur, personne ne connaît qui il est. Il faut qu’on sache qui il est et celui qui lui donne ce droit de nous donner des leçons. Il est trop petit pour nous donner des leçons. S’il ne fait pas attention, on va l’assigner en Justice. Il s’immisce dans les affaires intérieures d’un pays.
On connaît votre engagement aux côtés des forces d’opposition dans le pays. Votre séjour en prison a-t-il émoussé cet engagement ou vous ressortez plus déterminé qu’avant?
Plus galvanisé même ! Plus déterminé ! Et j’appelle tout le peuple togolais à se lever parce que ce pays doit connaître la quiétude sur tous les plans. Il n’y aura pas de violence. On fera tout dans la légalité. Même après les élections, le problème est là ; il est entier.
Les 62 députés ne vont pas résoudre les problèmes des Togolais. C’est faux. Il ne faut pas qu’on trompe le peuple togolais. Le problème des enseignants, des médecins, des fonctionnaires, des retraités, tout ça là, on va faire comment ? Comme disent les Ivoiriens, ce qui est dit est dit. Le problème est là. Il est là en entier. Je sors plus galvanisé, plus déterminé même. On va mener le combat jusqu’à notre dernier souffle. Ce pays doit connaître la paix et la quiétude. Une famille ne peut pas s’en accaparer comme ça pendant 50 ans des biens de ce pays et on prend des armes pour terroriser tout le monde.
Un message pour le peuple togolais ?
Je renouvelle mes remerciements à tout le peuple togolais, à tous nos militants, à tous ceux qui sont épris de paix pour ce pays, ceux qui ont le souci du devenir de ce pays, ceux qui veulent voir le Togo renaître sur de bonnes bases, pas ceux qui font de l’à peu près, qui vont flouer des enfants qu’on fait PROVONAT. Quand vous avez un DEA, on vous paie 47 000 fcfa par mois, non. Quand vous avez un DEA, soit vous continuer pour avoir votre doctorat ou on vous trouve un travail et vous êtes cadre A1. C’est comme ça. Vous n’allez pas gagner 50 000 FCFA qu’on donne en réalité à un breveté. Soyons sérieux, il faut repenser toute cette politique.
Je remercie tout le monde, surtout vous les journalistes, bon courage à vous. Depuis mon trou, j’avais des échos. Vous savez, les prisonniers sont les mieux renseignés, parce que tout le monde va courir vers vous pour vous dire ce qui se passe dehors. On a fermé Légende, mais on ne peut pas fermer ma bouche, on ne peut pas fermer la bouche des 7 millions de Togolais. Ce sont eux qui sont une extrême minorité, je dis bien extrême. Merci beaucoup.