L’ONU lui attribue un massacre « orchestré et soigneusement mis en pratique ». La CVJR le présume en icône de la vertigineuse parenthèse mortifère qui éprouva tout le Togo en 2005. Mais à la veille de la présidentielle de 2015, ses sorties calculées troublent. Attention, Kouloun ne dort pas, il somnole. Alertes sur un félin qui a un œil ouvert !
L’auteur de ces lignes est l’un des rares journalistes qu’il a reçus. Pour la presse, il voue une haine dont il ne se cache pas. C’était dans son domicile de Cacaveli (Nord de Lomé). « Attention, on ne fait pas de photo ici ! » fit-il avec un sourire froid, dans un noir aveuglant. Le décor est planté. Pas de lumières dans le salon.
Il ne voudra pas allumer. Insistant sur son image selon lui-même, « je suis un homme prudent, qui aura du mal à tuer une mouche, je ne suis pas un Saint, mais j’essaie en catholique, de faire la volonté de Dieu », il esquive l’essentiel des questions. Propos qui, rapportés même à ses proches-amis, font sourire, non rire aux éclats. » Il ne tue pas de mouches, il tue des hommes » s’en amusera l’une de ses victime, qui s’en est sortie de peu, avec un boulet de munition dans le crâne.
Octobre 2009. Atakpamé. Les souvenirs sont encore frais. Un strident bruit d’hélicoptère profane les mémoires troublées comme dans cette vague de poussière ocre que tant de sang versé a rendu foncée. Faure Gnassingbé rend à la capitale de la région des Plateaux (150 km au Nord de Lomé) une visite historique. Dans l’esplanade du stade délabré de la ville, une présence suscite, tout autant que le soleil au zénith, étouffement. Celle du Major Koulon, triste officier que les populations et le rapport de l’ONU accusent de s’être baigné dans le sang d’innocents et qui se défend sans états d’âme, évoquant dans ses inepties de chef milice, une « radio brûlée » ou un hôtel « saccagé » et qui a su, en maréchal de logis inéloquent, se livrer à une défense qui, bien qu’écrite par l’éminence grise du système (Charles Debbash), perd cohérence et volupté dans la bouche d’un être que peu de victimes souhaitaient revoir.
Aux côtés de Faure, il apparaît comme l’agneau au sang de lion, lavé de ses péchés par la pénitence symboliquement accordée par l’Emir à qui profitèrent les crimes. Cette image inoubliable sera couronnée par une autre, non moins impressionnante. Celle de Ingrid Awadé, influente «maman » du régime qui, smatchant le préfet des Plateaux lors de sa protocolaire visite de récente patronne de la Direction d’organisation du Secteur Informel (DOSI), offre avec le charme d’une diablesse calculatrice, une chaude poignée de main à celui qui, des massacres de 2005, ne veut retenir que son innocence proclamée lors des auditions de la CVJR, Commission Vérité Justice Réconciliation. Il se dira victime d’un montage d’autochtones qui ne veulent pas de la colonie allogène kabyè (ethnie du chef de l’Etat) dont il est devenu, « de force » selon lui, le Sultan.
A la veille de 2015, ses sorties calculées ne sont pas des coups de grâce pour une paix fragile que le président togolais essaie de vivifier. Mais un coup d’épée!
Major, tête de peloton…
Major. Ce titre honorifique au détour d’un épuisement de grades de sous-officier est devenu le label de promotion et d’influence pour cet ex chef de Brigade de la région des Plateaux dont la triste histoire du Togo aura du mal à oublier les escapades meurtrières. Dans les collines désacralisées par le sang excessivement versé à Atakpamé et environs, on appellerait bien cela, « la koulinade« . L’Onu, Organisation des Nations Unies, dans un rapport publié en novembre 2005 et dirigé par Doudou Diène l’a appelé « massacres ».
La CVJR aura constaté dans son rapport, « un ensemble de témoignages insistants et concordants » qui l’accusent de divers crimes en 2005. Si le maintien d’une paix minimale est la marque de fabrique du régime, l’émergence et l’activisme de cet homme ne renvoient pas seulement à l’histoire ensanglantée mais aussi et surtout, à la peur d’une reproduction. Les conseils insistant des proches de Faure Gnassingbé pour qu’il s’éclipse n’auraient pas convaincu le vieux lion de créer le GRAP, nébuleux Groupe de Réflexions et d’Actions du Parti ou de piloter en Gouverneur local toutes les actions du nouveau parti, Unir, née des vestiges accablant du Rpt, système-mère. Alors que sa simple présence suffit pour provoquer la peur et susciter des doutes, il n’entend pas se cacher. Prenant ainsi l’antipode d’une régence d’autochtones que mènerait selon lui, Georges Aidam, vice-président (provisoire) de Unir. Car pour ce Major, surfer sur le tribalisme reste son dernier recours et son seul argument de survie.
Et il sait en fait usage, imposant, souvent de force (c’est ce qui lui manque le moins) ses « frères » à la tête de toute initiative locale et brouillant les pistes dans une localité où, à la surprise de tous, le parti a raflé la quasi-totalité des députés malgré la responsabilité que porte le système au pouvoir dans les massacres de 2005. Cette popularité impromptue que l’opposition attribue à la fraude et qui a déplacé le fief du régime de la Kozah vers les Plateaux ne peut pas, en 2015, résister aux injonctions maladroites du Major.
Pourtant, ce dernier peut compter sur une autre main puissante du régime. Ingrid Awadé qui ne fait pas confiance à la bande Aïdam qui, pour elle, « jouit de trop d’autonomie » et d’un soutien tacite du chef de l’Etat. Pertinente remarque pour une femme qui veut tenir par les couilles tout ce lui, a sein du système, et « gagnant« . Qu’elle veuille placer dans les coulisses du parti ses hommes, qu’elle tienne à en avoir le contrôle, au détriment du président, qu’elle en fasse un instrument de combat personnel et de son ivresse de puissance est pleinement sa nature. Elle sait pour cela, manipuler et soutenir le Major-sultan, pourvu que ses objectifs soient atteints.
Attention, les muscles se bandent à Atakpamé
Sanda. Près de Kabou. C’est le paradis raté de la dynastie Koulon. Paradis isolé où, régulièrement, le Major se retire au milieu des siens. Ici, il est en terre conquise. Au lendemain des massacres de 2005, c’est ici qu’il reprendra ses forces, dans le secret familial. Ici tout le monde le connaît, le chef canton, c’est Philippe, son frère aîné.
Le Curé de la Paroisse est toujours l’un de ses protégés. L’église, c’est lui qui l’a construite, non pas pour l’expiation de ses péchés, il y pense peu, mais pour faire plaisir à une religieuse qui abandonnera vite la robe pour lui faire deux enfants. C’est grâce à son réseau local à Sanda qu’il recrutera, selon moult témoignages, « ses » miliciens venus des préfectures de Sotouboua et de Blita majoritairement pour semer désolation et abomination, dans une région qui n’a de tort que de l’avoir accueilli.
Témoignages crédibles et rapports fiables font de lui l’instigateur local des massacres que Faure Gnassingbé qualifiera « d’épouvantables » dans une interview en 2005. Plusieurs diplomates notamment ont recommandé sa mise en quarantaine mais depuis quelques mois, il prend le devant de tout, dans ce qui est devenu son royaume. L’administratif, le parti, la colonie, c’est lui. Patriarche local auquel, révérence kabyè oblige, Faure a du mal à résister.
Et qui, si rien n’est fait, occasionnerait peut être sa perte. Obsédé par son envie d’être utile par le zèle, il finit par ressortir des tréfonds de l’obscurité les vieux démons. Autour de lui, une caste locale de jeunes, hors de tout contrôle s’organise. Il a décliné la proposition d’un Fan Club Major Kouloun pour, dit-il, « se consacrer à servir le président de la République« . Comment peut-il en être ainsi quand, réflexes de brimades militaires obligent, il veut prendre la place de tous ?
A la veille de la présidentielle, organisations de droits de l’homme, communauté internationale et bien encore plus, la présidence de la République, doit tenir à l’œil, celui par qui, il y a dix ans, le malheur arriva. Attention, Kouloun ne dort pas, il somnole juste, éloignez couteaux et machettes, svp!