Togo - L’épidémie issue du virus Ebola est, selon Dr Didier Adjogblé, Togolais vivant en Allemagne depuis 1993 où il est un biologiste médical incontournable, la 15ème épidémie qui sévit en Afrique. Elle est selon lui d’ailleurs la plus meurtrière des quatorze premières.
Dans une interview accordée à l’Agence de presse Afreepress, le spécialiste propose la mise en place d’une bonne structure de gestion de la crise.
« Cette structure devrait être déjà longtemps en place, puisque nous sommes á la quinzième épidémie. En Afrique Centrale, nous devrions forcément avoir des experts en matière d’Ebola. Je suis sérieusement inquiet, car je vois ou entends trop peu venant de l’Afrique Centrale », a-t-il indiqué.
Pour contrer cette épidémie, l’Union Africaine (UA) en général et la Communauté des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) en particulier devraient chercher à travailler avec les experts des régions de l’Afrique où le virus avait déjà fait de victimes, surtout en Afrique Centrale, par exemple en RDC, a-t-il soutenu.
« Les regards sont probablement plus tournés vers les pays de l’occident espérant le sauveur venant de là. L’occident a ses propres difficultés actuellement », a-t-il regretté.
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Afreepress.info : La fièvre hémorragique Ebola fait des émules depuis quelques mois en Afrique et partout ailleurs. Qu’est-ce que c’est ce virus, d’où vient-il et comment le contamine-t-on ?
Dr Didier Adjogblé : Je voudrais tout d’abord vous remercier pour votre démarche et pour les efforts que vous déployez pour sensibiliser nos compatriotes sur cette épidémie. Je ne saurai vous donner une réponse pouvant satisfaire tous les aspects de votre question.
Le virus Ebola, aussi bien que le virus Marburg, appartient á la famille des filovirus. Il est du genre Ebolavirus. A ce jour, cinq virus du genre sont connus. Je tiens á préciser qu’il s’agit d’une taxonomie jeune qui est en pleine évolution. La nomenclature n’est pas encore définitive, donc ne vous étonnez pas de découvrir bientôt une autre appellation du virus dans un futur proche. Pour le moment, les cinq virus connus sont rattachés chacun á l’une des espèces du genre Ebolavirus á savoir, le type EBOV, identifié pour la première fois en République démocratique du Congo (autrefois Zaïre), c’est le plus virulent des cinq avec une mortalité atteignant 60 à 90 % des cas et est á l’origine de l’épidémie de 2014 de l’Afrique de l’Ouest. Le type SUDV du Soudan a été endémique au Soudan et en Ouganda. Le type RESTV de la région de Reston aux Etats-Unis, le type TAFV de la forêt de Taï en Côte d'Ivoire et le type BDBV de la région de Bundibugyo en Ouganda.
Étant donné que les connaissances sont encore assez limitées par rapport au cycle du virus dans la nature, nous retenons pour le moment que les chauves-souris en sont porteuses saines. L’homme qui mange la viande non bien cuite d’une chauve-souris porteuse, se contamine et développe la maladie. Aucun humain ne possède de manière naturelle une immunité contre ce virus. Cela veut dire que tout contact avec le virus conduira dans la plupart des cas á la mort de la personne infectée, puisque nous avons ici á avoir avec un virus entrainant une mortalité atteignant 60 á 90% des cas.
Afreepress.info : Quelques sont les signes cliniques qui montent qu’un individu est porteur ?
Dr Didier Adjogblé : Avant de vous donner quelques signes cliniques retenus comme typiques pour la maladie á virus Ebola, je voudrais attirer votre attention sur le fait que les symptômes peuvent être non spectaculaires ou atypiques selon le Professeur Ortwin Adams, virologiste de l’institut médical de Microbiologie et de Virologie de l’Université de Düsseldorf en Allemagne. J’ai eu le privilège d’avoir pu m’entretenir avec lui au sujet d’Ebola dans son laboratoire d’analyses médicales á Düsseldorf le 5 Décembre 2014.
Sans tenir compte d’une certaine chronologie, les symptômes suivants sont souvent retenus pour la maladie à virus Ebola: soudaine montée de fièvre avec fatigue physique, céphalées, douleurs musculaires, maux de gorge, une diarrhée souvent sanglante, vomissements, l’insuffisance rénale et hépatique, les éruptions cutanées, hémorragies internes et externes pour ne citer que ceux-là. La durée d’incubation, c’est-á-dire le temps écoulé entre l’infection et l’apparition des signes peut être de 2 à 21 jours dans certains cas mais dans d’autres et plus fréquemment de 4 à 9 jours.
Afreepress.info : L’OMS annonce déjà environ 7 000 morts de la fièvre Ebola. Quelle lecture faites-vous de ce chiffre effrayant de victimes ?
Dr Didier Adjogblé : Nous sommes á la quinzième épidémie cette année et justement cette année le virus a fait plus de victimes. Je vais vous donner á titre informatif quelques chiffres par rapport aux épidémies passées. La toute première épidémie, celle de 1976 avait fait 431 victimes en République Démocratique du Congo (RDC). Nous pouvons dire aujourd’hui que l’on n’était pas préparé. La onzième épidémie, celle de 2007 avait fait 224 victimes en Ouganda. La douzième et la treizième avaient fait chacune nettement moins de victimes qu’en Ouganda en 2007. Nous pourrons faire beaucoup de lectures au travers de ces faits. Bien que les structures sanitaires en Afrique sont encore très loin de ce qui devrait être réalisé pour garantir le minimum dans le secteur de la santé, nous voyons par la diminution du nombre de décès jusqu’á la dernière épidémie que les systèmes de surveillance et de maîtrise ont plus ou moins fonctionné dans les pays concernés. Malheureusement l’épidémie de cette année semblerait avoir son origine á Guéckédou en Guinée (Conakry) près de la frontière sud avec le Libéria où les structures sanitaires n’existent pratiquement plus á cause de la longue période de conflit dans ce pays. Nous voyons clairement ici que même avec peu de structures mais avec moins de conflits l’Afrique pourrait mieux faire face á certaines situations du genre.
Afreepress.info : Tous les pays à l’instar du Togo, prennent des mesures pour faire face à la riposte. Comment jugez-vous toutes ces dispositions ?
Dr Didier Adjogblé : Nous nous retrouvons dans une situation d’envergure globale, le Togo ne peut donc pas s’en passer. Je n’ai pas été au Togo ces derniers mois, conséquemment, cela m’est difficile de juger les dispositions prises.
Afreepress.info : Au Togo, un centre d’isolement est mis sur pied, une ligne verte 111 est opérationnelle pour signaler tout cas suspect, une cellule anti-riposte à pied d’œuvre, les pays comme la Chine a offert au gouvernement d’importants équipements de protection, trouvez-vous tout ça satisfaisant ?
Dr Didier Adjogblé : Je pense que le Togo est déjà sur la bonne voie, il reste cependant á vérifier l’effectivité et l’efficacité de ces éléments que vous venez de citer. Je souhaiterais aussi savoir le budget que le gouvernement du Togo de manière autonome a voté pour le financement de la campagne de sensibilisation et pour les équipements permettant de circonscrire le plus rapidement possible un cas confirmé et pour apporter des soins, déjà assez limités, pouvant éviter le décès du patient. Il n’y a pas pour le moment un traitement approprié au virus, par contre le bon traitement des symptômes a permis dans certains cas d’éviter la mort du patient.
Afreepress.info : Très souvent, les populations signalent des cas suspects, à savoir des individus qui vomissent du sang et en meurent après. Mais, le gouvernement a toujours démenti qu’il ne s’agit nullement pas d’Ebola. Pensez-vous que cette attitude des autorités togolaises cacherait quelque chose ?
Dr Didier Adjogblé : Nous sommes dans une situation globalement assez alarmante et encore confuse due aux connaissances encore limitées par rapport au cycle de vie du virus et au manque de traitements appropriés pour l’instant. La psychose est partout, même dans les pays nantis d’équipements sanitaires solides. Je vous disais tantôt que les symptômes peuvent être atypiques, en plus un vomissement de sang suivi de la mort pouvait être attribué á d’autres types de maladies. En Europe ou ailleurs dans le monde, par plusieurs fois déjà nous avons eu de fausses alarmes. Des cas de paludisme ou d’autres maladies ont été pris au départ pour cas Ebola. A en croire les médias, un cas a été suspecté au Togo jusqu’ici. C’est assez difficile de cacher une pareille épidémie quelque part dans un pays.
La publication sur les média des résultats d’analyses médicales de cas suspectés permettrait de rassurer la population et d’éviter une quelconque panique au sein de la population.
Afreepress.info : L’Ebola impacte nos économies et comme preuve, l’annulation au Togo, de la Foire Internationale de Lomé, le Maroc qui a refusé d’abriter la CAN sur son sol, la compagnie aérienne Asky qui a suspendu ses vols à destination de certains pays dont la Guinée, comment analysez-vous cela, surtout que nos économies sont déjà très fragiles ?
Dr Didier Adjogblé : Il n’y a pas de place pour des calculs politiciens ou économiques devant ce virus. C’est la responsabilité des institutions et des gouvernements á veiller á la protection et au bien-être de nos populations. Si le Togo ou le Maroc juge qu’il n’est pas en mesure de garantir la protection de sa population, eh ben, je ne peux que saluer cette prise de position. Une population malade ne peut non plus aider l’économie. La santé est la clé, donc il nous faut lui garantir la première place dans nos projets et décisions. Le secteur de la santé a pour focus l’humain, mais la santé commence par l’environnement. Un individu vivant dans un environnent sain a beaucoup moins de problèmes de santé. Le but ultime est d’éviter que nous tombions malade, c’est-á-dire que l’hôpital doit être l’endroit que nous devrions fréquenter le moins possible dans la vie. Ces mesures prises ne visent qu’á éviter l’exposition de nos populations au danger.
Afreepress.info : Les chefs d’Etat de la CEDEAO ont désigné le président Faure Gnassingbé du Togo pour coordonner la lutte contre la maladie dans la sous-région. Votre réaction ? Et que pensez-vous qu’il pourra mener comme action réelle ?
Dr Didier Adjogblé : A mon humble avis, peu importe qui a été désigné par la CEDEAO pour la gestion de cette crise. Je ne pense pas non plus qu’il s’agit d’une question de chef d’État. Ce qu’il faut ici est la mise en place d’une bonne structure de gestion de la crise. Cette structure devrait être déjà longtemps en place, puisque nous sommes á la quinzième épidémie. En Afrique Centrale, nous devrions forcément avoir des experts en matière d’Ebola. Je suis sérieusement inquiet, car je vois ou entends trop peu venant de l’Afrique Centrale. L’Union Africaine (UA) en général et la CEDEAO en particulier devraient chercher à travailler avec les experts des régions de l’Afrique où le virus avait déjà fait de victimes, surtout en Afrique Centrale, par exemple en RDC. Les regards sont probablement plus tournés vers les pays de l’occident espérant le sauveur venant de là. L’occident a ses propres difficultés actuellement.
Afreepress.info : Que conseilleriez-vous aussi bien aux gouvernements ainsi qu’aux populations afin que la panique née de la fièvre Ebola puisse s’apaiser ?
Dr Didier Adjogblé : Nous sommes devant une épidémie qui oblige l'OMS à accepter le 12 août dernier l'utilisation sous condition de traitements expérimentaux pour traiter les patients atteints de maladie à virus Ebola. Je voudrais dire par là que cela doit être clair aussi bien aux gouvernements qu’aux populations que nous sommes dans une situation extrêmement alarmante et très explosive. Nous sommes dans une situation explosive, car ce virus peut décimer toute population en peu de temps. Nous ne faisons pas face á une épidémie de grippe où le sommet de la courbe de Gauss est atteint á un moment donné, car la grippe rencontrerait des personnes qui ont une immunité par exemple par le biais de vaccin ou ayant un système immunitaire solide.
Les gouvernements doivent voter en conséquence des lois pour éviter des cas comme par exemple celui rapporté au Nigéria où à croire á une rumeur la consommation massive de curcuma, de sel et de saumure constituerait un moyen de se protéger de la maladie à virus Ebola. Selon une autre rumeur au Togo se laver avec du citron dans de l'eau salée protégerait du virus. Il y en a encore tant d’autres que je ne peux que taxer d’ignorance absolue. C’est assez dangereux de permettre la circulation de fausses informations de la sorte.
Il revient donc aux gouvernements de tout faire pour qu’un climat de confiance règne dans nos pays, du moins dans la gestion de cette épidémie. Il serait judicieux á nos populations d’aller vers les sources officielles d’informations pour se renseigner et d’éviter de pendre tout ceci á la légère.
Afreepress.info : Comment faire aujourd’hui pour éviter cette maladie surtout que certaines langues en Afrique évoqueraient une nouvelle invention des Blancs pour décimer le continent ? Son remède est-il déjà disponible et que doit faire les pays pour en avoir accès ?
Dr Didier Adjogblé : Invention des Blancs pour décimer l’Afrique ? C’est facile de porter le doigt sur autrui comme étant source de nos problèmes. Je ne dis pas qu’il n’y a pas dans l’histoire de l’humanité des comportements qui porteraient á croire á ces types de spéculation, mais je recommande la prudence á nous tous dans nos positions.
Nous avons beaucoup encore á faire et à mettre en place pour la prévention de la maladie causée par le virus Ebola.
Il nous faut, surtout en Afrique un changement radical de mentalité par rapport á la consommation de la viande sauvage et par rapport aux rituels autour d’une dépouille mortelle.
L’hypothèse situe le patient zéro, un enfant de 2 ans, pour cette épidémie á Guéckédou en Guinée (Conakry). La propagation a été plus due au contact humain à humain et à la non disponibilité de structures pouvant permettre un dépistage rapide dans les pays concernés. Bien que nous savons que la chauve-souris est la source naturelle, le contact entre humains devrait retenir plus notre attention, car le trajet de l’infirmière infectée qui était au chevet du patient zéro et qui avait parcouru les agglomérations allant de Nzérékoré á Conakry en passant par Macenta, Kissidougou, Faranah, Mamou et Kindia. Toutes ces agglomérations sont presque frontalières á la Sierra Leone et au Libéria. Le nombre de copies du virus est au maximum au décès des patients. Cela veut dire que le risque de contamination est á son summum dans une dépouille mortelle.
Au travers de cette triste nouvelle, nos gouvernements devraient en conséquence sensibiliser nos populations et faire en sorte que des services funèbres aient des niveaux de formation leur permettant de prendre de manière professionnelle en charge la dépouille mortelle. Les personnes mortes de cette infection doivent être enterrées rapidement et sans prendre de risque. Il faut donc une règlementation rigoureuse de ce secteur. Il en ressort aussi de la responsabilité des gouvernements á allouer des fonds pour procéder aux échantillonnages afin de pouvoir localiser géographiquement les foyers ou réservoirs.
Au cas de localisation de foyer, l’abattage des animaux infectés doit se faire en utilisant des gants et un masque, avec une surveillance rigoureuse de l’enterrement ou de l’incinération des cadavres.
Je vais citer maintenant de manière rapide quelques précautions additives pour limiter l’infection ou la propagation. L’interdiction de transhumance des élevages infectés vers d’autres endroits peut réduire la propagation de la maladie. La viande doit être bien cuite avant toute consommation.
Les analyses médicales doivent être menées au sein d'installations adaptées.
Pour terminer avec la dernière partie de votre question concernant un certain remède, je vous dirai que nous sommes encore très loin de la potion magique contre le virus, même si quelques résultats avec un vaccin atténué expérimental semblent être encourageants chez le singe. Mise á part les étapes encore á franchir avant d’avoir l’assurance de l’effectivité du vaccin, je voudrais vous signaler que le vaccin serait a priori pour le personnel soignant et cela prendrait encore des années avant d’être á la portée et á la disposition de tout le monde. Il y a encore d’autres remèdes potentiels comme une protéine inhibitrice d’un facteur de coagulation ou encore lamuvidine, un anti-HIV, qui sont en cours de test pour soigner la maladie du virus Ebola.
Ce qu’il nous faut, c’est un bon vaccin. Le cas des patients infectés qui ont été guéris et qui portent contre le virus des anticorps les protégeant contre une réinfection témoigne d’un bon espoir pour le développement d’un vaccin contre ce virus.