Ça saigne de partout au sein de l’Alliance nationale pour le changement (ANC) de Jean Pierre Fabre à quelques mois de la présidentielle très attendue de 2015. Le parti fait en effet face à des critiques des plus acerbes de ses propres membres, équivalant quasiment à des démissions, dont les plus récentes sont celles de Kodjo Epou, le célèbre analyste de la diaspora togolaise, connu pour ses frondes contre le gouvernement togolais et de bien d’autres réagissant sur les réseaux sociaux.
Le Parti qui se targue de revendiquer la palme du meilleur parti d’opposition au Togo va mal et va très mal, et c’est le moins qu’on puisse dire. En quelques jours, ce qui aurait dû passer sous silence finit par défrayer la chronique dans la presse et réussit à démentir ceux qui affirmaient il y a encore quelques semaines -lorsque l’on assistait aux défections tous azimuts au sein du CAP 2015- que la maison ANC ne prend pas feu et ne risque aucune implosion avant la présidentielle à venir.
Epou et consorts n’ont pas seulement creusé la tombe de l’ANC, ils ont aussi préparé les funérailles de la dictature d’un parti qui prétend donner des leçons de démocratie.
Les propos de Kodjo Epou témoignent de l’attitude incernable et politiquement maladroite de Jean-Pierre Fabre et son parti sur l’épineuse question des Réformes qui divise toute la classe politique aujourd’hui. En préambule, Kodjo Epou note que : « L’attitude des principaux responsables de l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC) sur la question des réformes constitutionnelles et institutionnelles, de plus en plus, suscite de la curiosité et demande qu’on cherche à y voir plus clair. Certains, comme l’a fait de façon tendancieuse et brouillonne Jean Kissi, ont déjà franchi le pas pour imputer le blocage aux responsables de l’ANC, les accusant tacitement de haute trahison. La situation mérite plutôt des démarches plus structurées sur lesquelles Fabre et les siens devront se prononcer. On se rappelle que le pouvoir RPT/UNIR a refusé de faire ces réformes qui se trouvent dans l’Accord Politique Global (APG) qu’ils ont signé avec l’opposition et la société civile sous l’égide de la communauté internationale, laquelle, il faut l’avouer, est fatiguée des problèmes togolais et les violences à répétition qui font jour à chaque période électorale ».
Par ailleurs, l’analyste conteste des choix et positions de l’ANC surtout le parcours ayant abouti à la présente situation avec le blocage du processus : « La première action a été un document que l’ANC a fait signer aux autres partis de l’opposition pour que ceux-ci ne proposent et/ou ne s’associent à aucun amendement de la loi. Pour l’ANC la proposition de loi telle que envoyée est à prendre ou à laisser. Elle ne doit subir aucun amendement. Cette position est bizarre puisque même dans les démocraties les plus dures, une loi qui arrive à l’assemblée est discutée et amendée, ne serait-ce que sur la forme avant d’être adoptée ».
Dire donc que la proposition est « à prendre ou à laisser » cache mal une anguille sous roche ou du moins suscite la question de savoir de quel plan B dispose ce parti pour faire passer son document annexe. Plusieurs sources rapportent qu’après, l’ANC a mis en branle une campagne qui suggère que rien n’est à discuter ou à négocier. Pour elle, l’APG a déjà prévu les réformes et il suffit donc de les respecter en les appliquant. Le très flottant leader du NET, l’apprenti politicien Gerry Taama, encore récemment allié de Fabre, saisira l’occasion pour railler : « le temps n’est plus aux incantations inutiles ». Et en conclusion, il martèle : « En clair, l’ANC et le pouvoir Faure Gnassingbé travaillent dans une synergie qui ressemble à un concert arrangé puisque Faure Gnassingbé qui est mis sous pression par la France cherche exactement ces genres d’opportunités pour ne pas faire les réformes avant les élections présidentielles et dire que c’est l’opposition qui a tout bloqué. Pour ce faire, le président et les caciques de son parti affirment que si l’ensemble de l’opposition ne fait pas de concessions, même si la majorité qualifiée est obtenue pour faire passer les réformes ils mettront le veto. Autrement dit, ils veulent une unanimité qui n’existera jamais. Donc faisabilité nulle », selon ce Togolais de la diaspora, connaisseur fin de l’opposition jusqu’à la moelle épinière.
C’est dire que le conservatisme politique a atteint le fond de l’insignifiance à l’ANC. Le parti UFC, duquel est sorti l’ANC, l’a incarné deux décennies durant et s’est nourri de la morale consensuelle et s’est montré finalement abruti d’épuisement ou occupé à s’entre-déchirer. Résultat ? Aujourd’hui, purement et simplement disparu, il ne reste plus que ses cendres que Gilchrist et les quelques lieutenants qui lui restent fidèles encore, brandissent. On ne peut espérer leur résurrection.
La furie de l’autodestruction a bel et bien gagné l’ANC aussi et c’est désormais indéniable. Et la leçon qu’il faut tirer des échecs aussi bien de l’UFC comme de l’ANC est que les politiciens togolais, surtout ceux qui se proclament de l’opposition, n’ont pas d’idéal. Ils nous ont habitués à des comportements ambigus depuis un quart de siècle. Nous serions tentés de dire qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, ou dans les mêmes conditions, les mêmes causes produisent les mêmes effets, face à ce que l’on vit en ce moment au sein du parti de Fabre.
L’ANC va donc aller aux élections avec des éminences grises en moins. Mais il faut bien que le parti, s’il veut se donner des chances de survie, laisse la place à la libre expression, à la pluralité des points de vue, au dialogue… en son propre sein et en faisant preuve de tolérance vis-à-vis de ceux qui critiquent les méthodes dictatoriales de son président national, quitte à ce que certains hiérarques fassent dans la « fidélité alimentaire », Fabre leur donnant énormément.
Il faudra mûrement réfléchir pour stopper « l’hémorragie », un phénomène qui commence à donner raison à ceux qui ont quitté le CAP 2015 et à ceux qui comme Jean Kissi et autres soutenaient tout dernièrement que « c’est Fabre qui a bloqué le processus ».