Par Pascal Kossivi Adjamagbo
Professeur à l’Université Paris 6
Etat de la question
Dans un premier « mémorandum sur la légalité et l’illégitimité de la constitution en vigueur au Togo », en réponse à la déclaration du Chef de l’Etat depuis Accra le 25 novembre dernier assurant que « la Constitution en vigueur sera rigoureusement respectée », nous avons tenu à projeter la lumière de la raison, de la rigueur mathématique, de l’honnêteté intellectuelle et de l’honnêteté tout court sur l’illégitimité de « la constitution en vigueur » au Togo. Cette démonstration invalide sans appel sa respectabilité, et donc son respect, aux yeux peuple souverain togolais, source des pouvoirs de la constitution et de toutes les institutions de la République togolaise, en particulier des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires actuels de la République Togolaise.
Dans notre second « mémorandum sur la confusion entre effet immédiat et rétroactivité dans le débat sur les réformes constitutionnelles au Togo », nous avons tenu à clarifier pourquoi le problème de la « rétroactivité de la loi » soulevé par « les griots et les partisans du Chef de l’Etat togolais » est un « faux problème » dénoncé avec la même vigueur par la raison, de la rigueur mathématique, de l’honnêteté intellectuelle et de l’honnêteté tout court.
Depuis cette « contribution citoyenne et universitaire à cette question de fond posée par le Chef de l’Etat togolais » lui-même, comme nous l’avons écrit dans notre premier mémorandum, plusieurs leaders togolais de parti ou d’opinion, en particulier ceux cités dans le titre de cet article, sont intervenus dans le débat public sur les réformes constitutionnelles au Togo en faisant fi des conclusions de cette contribution et surtout des exigence de la raison, de l’honnêteté intellectuelle et de l’honnêteté tout court, pour prétendre résoudre ce « faux problème » en proposant une « disposition transitoire à l’article 59 de la constitution de 1992 » qui pose beaucoup plus de problème qu’il ne prétend résoudre.
Conformément au principe fondamental de la pédagogie que je nous ne cessons de répéter à nos étudiants, et selon lequel « la répétition est la règle d’or de la pédagogie », qu’il nous soit permis de reprendre notre plume pour mieux expliquer aux leaders de parti et d’opinion cités dans le titre et à l’opinion publique togolaise pourquoi le problème de la prétendue « rétroactivité de la loi » est un « faux problème » et pourquoi le « vrai problème » dont aucun citoyen togolais n’a le droit de fuir et encore moins d’empêcher la résolution, est « l’alternance politique pacifique dès 2015 ». Nous terminerons par rappeler les moyens à la disposition des leaders togolais politiques et d’opinion et surtout du peuple souverain togolais pour résoudre « d’une manière ou d’une autre » ce « vrai problème », conformément aux aspirations inextinguibles et à la souveraineté inaliénable du peuple togolais.
Le faux problème de la rétroactivité de la loi
Les griots et les zélateurs de la « non rétroactivité de la loi », autorisant selon eux un troisième mandat au président sortant togolais et balisant ainsi la voie à sa « présidence à vie » conformément à l’adage latin « talis pater, talis filii », « tel père, tel fils », se contentent dans leurs « arguties de droit qui ne sont pas le droit », comme le dit un autre adage latin, « apices juris non sunt jura », de citer de manière abstraite et prétendument universelle le principe de « non rétroactivité de la loi », sans tenir compte de la formulation précise de l’article 59 de la constitution de 1992 à laquelle ils prétendent l’appliquer. Or ce article affirme, rappelons le : « Article 59 - Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats. » Dans cette formulation, l’expression « dans aucun cas » implique indiscutablement entre autres sous-entendus « quelque soit le début du premier mandat ».
Quelque soit la date du rétablissement de cet article de la constitution de 1992, à partir de cette date, il n’est donc nullement besoin d’une « rétroactivité de la loi » pour que cet article interdise sans ambiguïté à tout citoyen togolais ayant déjà effectué deux mandats présidentiels de briguer un troisième mandat ou pour que cet article invalide sans appel et interrompe immédiatement le nouveau mandat en cours d’un tel citoyen togolais. « L’effet immédiat de la loi », que nul ne peut contester, suffit pour cela, démontrant ainsi que le prétendu problème de « la rétroactivité de la loi », agité dans le débat politique togolais et dans la vie politique togolais à travers les « marches de soutien » remettant au goût du jour les « marches de soutien au guide de la nation togolaise » d’un temps révolu n’est qu’un « faux problème », une « fuite en avant » dans la diversion, la mauvaise foi, l’ignorance juridique ou la malhonnêteté intellectuelle, une « fuite » devant « le vrai problème » dont le peuple souverain togolais attend impatiemment la résolution depuis bientôt un demi siècle.
Le vrai problème de l’alternance politique en 2015
Il est évident tous les citoyens togolais et pour tous les observateurs de la vie politique togolaise, même pour les plus hypocrites et les plus imbus de mauvaise foi, que ce « vrai problème » est celui de « l’alternance politique en 2015 » après la confiscation du pouvoir par « le régime héréditaire cinquantenaire togolais » pendant plus longtemps que la tutelle coloniale française de 41 ans de 1919 à 1960.
Le Chef de l’Etat togolais ayant créé dans le gouvernement actuel du Togo datant du 17 septembre 2013 le ministère « des Droits de l'Homme, de la Consolidation de la Démocratie chargé de la mise en œuvre des Recommandations de la CVJR », et l’hymne national togolais invitant tous les citoyens togolais à « aimer servir, se dépasser,
faire encore de toi sans nous lasser, Togo chéri, l’or de l’humanité », le premier des citoyens togolais devrait être le premier à mettre en application cette invitation au « dépassement de soi » et surtout la recommandation suivante de la CVJR au sujet de « l’alternance politique » : « Il est extrêmement important que les Togolais dans leur ensemble s’accordent sur une vision commune de leur avenir en tant que nation. De ce point de vue, la CVJR estime nécessaire que le concept d’alternance politique fasse l’objet d’un consensus entre les acteurs politiques, qu’il soit compris non comme l’occasion d’une revanche ou d’une chasse aux sorcières, mais comme le fonctionnement normal d’un système démocratique. Puisque les conflits se cristallisent autour du changement de régime et que les luttes fratricides s’exacerbent lors des élections, il est urgent de purger les esprits de toute agressivité basée sur la facture politique héritée du temps de la lutte pour les indépendances. La CVJR réaffirme que l’alternance politique est une aspiration légitime du peuple qui a le droit de confier les rênes du pouvoir au parti dont le programme politique semble prendre en compte ses attentes. Mais en même temps, la CVJR soutient que l’alternance politique ne doit pas être comprise comme une occasion de vengeance ou d’exclusion des autres. Cette nouvelle vision de société repose sur l’apaisement social, le rétablissement de la confiance entre citoyens, leur acceptation mutuelle, la cohésion nationale et le respect par tous des valeurs civiques »(p. 248 du rapport final de la CVJR).
Compte tenu du « savoir faire électoral » imbattable du « régime héréditaire togolais », notamment du verrouillage à double tour de toutes les étapes du processus électoral, depuis le fichier électoral informatique jusqu’à la proclamation des « résultats officiels » par la CENI et la Cour Constitutionnelle, en passant par toutes sortes d’achat de conscience, seules voies restent à la disposition du peuple souverain togolais pour obtenir cette alternance politique.
La première est la négociation de l’opposition et de la société civile togolaise avec le régime en question au sujet sa fin, à l’exemple de la négociation en l’ANC et le régime de l’Apartheid qui a abouti à sa fin après 43 ans de ravage. Une telle négociation suppose à la fois des concessions et des garanties de part et d’autre, comme le conseiller juridique du Chef de l’Etat a eu la lucidité et l’honnêteté intellectuelles de le souligner dans une récente tribune intitulée « le débat constitutionnel en Afrique », sur laquelle nous avons attiré l’attention de la classe politique et de la société civile togolaise dans notre « mémorandum sur la confusion entre effet immédiat et rétroactivité dans le débat sur les réformes constitutionnelles au Togo ». Malheureusement, la classe politique et la société civile togolaise n’ont pris jusqu’à ce jour aucune initiative sérieuse pour proposer les concessions et garanties mutuelles convenables. En effet la proposition d’une « disposition transitoire à l’article 59 de la constitution de 1992 », tout en trahissant l’aspiration ardente du peuple martyr togolais à l’alternance politique après près d’un demi-siècle du « régime héréditaire togolais », n’offre aucune garantie mutuelle ni au peuple martyr togolais pour faciliter l’acceptation sacrifice supplémentaire et unilatérale qui lui est encore demandé, ni à ce régime pour faciliter sa fin de vie. Il existe d’autres pistes de propositions plus convaincantes avec des concessions et des garanties de part et d’autre à explorer par « les vrais négociateurs », les « vrais artisans de paix », pour une « alternance politique pacifique en 2015 ». Nous souhaitons de tout notre cœur que les initiatives de ces « vrais artisans de paix » puissent être couronnées de succès et de récompenses, de la récompense de la « béatitude » promise les évangiles (Matthieu 5,9) et de celle de « Prix Nobel de la Paix 2015 »
La seconde voie, en cas d’absence ou d’échec de ces « vrais artisans de paix », est celle du « soulèvement populaire » au Togo comme au Burkina, par laquelle il ne restera plus au peuple martyr togolais que d’exercer sa souveraineté inaliénable, source des pouvoirs de la constitution et de toutes les institutions de la République togolaise, en particulier des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires actuels de la République Togolaise, comme nous l’avions souligné plus haut dans « l’état de la question ».