Football/Elimination du Togo pour la CAN 2015 : Serge Akakpo : «J’ai du mal à pardonner aux dirigeants, car ils ne nous ont pas donné de réelles chances de réussir»
Publié le mercredi 7 janvier 2015 | vilakazisport.com
Togo - Né à Lomé, Serge Akakpo est arrivé en France à l’âge de six ans. La trajectoire de ce défenseur de 27 ans est singulière. Retour sur le parcours chaotique de celui qui est aujourd’hui le capitaine du Togo.
Vous avez été formé à Auxerre avec des joueurs comme Abou Diaby ou Younes Kaboul. Quels souvenirs gardez-vous de votre formation et de cette génération ?
Que de bons souvenirs ! On était un peu comme une famille, réunissant plusieurs bons jeunes joueurs. C’est surtout le personnage Guy Roux qui m’a marqué. Il était comme notre deuxième père. Il venait voir chacun d’entre nous lorsque nous étions au centre de formation. Sa présence faisait la différence, on était vraiment encadré. Ce genre d’homme manque aujourd’hui dans le football moderne…
En 2004, vous remportez l’Euro avec l’équipe de France. Qu’avez-vous ressenti à cette époque ?
Je me sentais sur le toit du monde. Je faisais partie de cette fameuse génération de 1987, à laquelle on avait donné un plan de carrière. On a passé deux ans à préparer cette compétition. L’objectif, c’était de le gagner. Si on se loupait, on savait que c’était la fin de l’aventure. C’est le premier trophée international que j’ai remporté. Il s’agit d’un souvenir dont je me souviendrai toute ma vie.
Pourquoi avoir finalement opté pour la sélection togolaise ?
Le Togo s’était qualifié pour la Coupe du monde 2006. J’ai été approché pour la première fois par la fédération togolaise à cette période, alors que j’étais encore très jeune. A l’époque, j’étais encore dans le circuit de l’équipe de France. Avec mon entourage, on ne comprenait pas trop l’intérêt d’aller jouer pour le Togo. Mais pouvoir disputer un Mondial, ça fait réfléchir. A Auxerre, certains joueurs m’ont encouragé à choisir cette sélection. Quant à mes parents, ils n’étaient guère favorables à cette idée. Jouer pour les Bleus était un rêve. Tous les joueurs qui passent par les centres de formation français veulent porter le maillot frappé du coq. Surtout pour ceux, comme moi, qui ont connu l’épopée des Bleus en 1998. En 2008, le Togo est revenu à la charge, en me proposant un projet dans lequel étaient concernés d’autres binationaux. Ils sont venus nous rencontrer à Paris. Afin de pouvoir passer un cap dans ma carrière, j’ai fini par me laisser convaincre.
Vous évoluez au poste de défenseur central. Quels sont vos modèles dans ce secteur de jeu ?
Quand j’étais tout jeune, des joueurs comme Nesta et Maldini m’ont marqué. Ensuite, Puyol m’a impressionné par sa régularité. C’est sûrement le défenseur qui m’a le plus marqué. Il a toujours été exemplaire. Il donnait même envie d’être défenseur. Parmi les joueurs qui sont encore en activité, je citerai Kompany et Thiago Silva. Ce dernier, je le suivais déjà quand il évoluait à l’AC milan, club dont je suis fan. Il y a également Mexès, que j’ai côtoyé à Auxerre. Il symbolise le défenseur moderne, qui sait relancer et jouer vers l’avant, tout en ayant un bon placement. C’était une sorte de modèle quand j’étais chez les jeunes de l’AJA. J’ai été très attentif à l’évolution de sa carrière.
Quelles sont vos principales qualités sur un terrain ?
Dans la surface de réparation, j’estime être « bon sur l’homme ». En un contre un, je suis performant. Je possède également un bon sens du placement. Mon intelligence de jeu me permet d’occuper une grande couverture. Avec mon sens de l’anticipation, je vois souvent les actions arriver de loin. Ma relance est efficace, tout comme mon jeu de tête. Je pense que je pourrais assurer dans une défense d’un club de Ligue 1, même si je n’ai pas eu de sollicitations de la sorte récemment.
En 2010, pendant la Coupe d’Afrique des Nations, dans l’enclave de Cabinda, à la frontière entre le Congo-Brazzaville et l’Angola, vous avez frôlé la mort lors de l’attaque du bus de la délégation togolaise. Vous aviez pris deux balles dans le dos. Comment fait-on pour continuer à vivre après un tel drame ?
Aujourd’hui encore, je ne sais pas comment j’ai fait. Une colère sommeille toujours en moi. Cet épisode m’a littéralement coupé les ailes. Lorsque c’est arrivé, je venais de lancer ma carrière professionnelle. Je jouais en Roumanie à l’époque (au FC Vaslui, Ndlr). J’étais bien mentalement, je disposais de plusieurs sollicitations. J’allais disputer ma première compétition internationale avec une sélection A. Après ce tragique événement, c’est comme si j’étais revenu à zéro. Mon club a recruté deux nouveaux défenseurs. Il pensait que j’allais être blessé pendant une éternité. Ils n’ont même pas attendu que je rentre. Ça m’a brisé moralement. Mentalement, je n’étais pas prêt. Sur les conseils de ma famille, je suis retourné dans mon club. Mais j’ai été mis à l’écart. Je ne souhaite à personne de vivre une telle histoire. J’ai pensé à arrêter carrière. Je me demandais : « Comment puis-je me faire tirer dessus en allant jouer au foot ? ». Mais je n’avais pas envie de faire autre chose. La colère m’a permis de continuer. J’ai eu plusieurs retards de paiements de la part de mon club. Je suis allé à la FIFA pour casser mon contrat. Je renonçais aux deux années de contrat qu’il me restait, sachant que je n’étais pas assuré de retrouver quelque chose par la suite. Peu de clubs ont cru en moi à cette période. Je me suis vraiment retrouvé seul…
Vous n’avez pas du tout été soutenu par les gens de la profession ?
Pas du tout ! Mes parents n’ont jamais reçu le moindre appel ou la moindre lettre de la part de la CAF ou de la fédération togolaise. Je n’ai pas été assez soutenu, personne ne m’a tendu la main. Ça m’a fait réfléchir sur beaucoup de choses. Je suis entré dans une sorte de dépression. Mais j’avais un rêve à réaliser… Je ne pouvais pas arrêter sur un tel point noir.
Désormais, vous êtes capitaine de la sélection togolaise. Pensez-vous avoir obtenu ce statut uniquement grâce à vos prestations sportives ou au drame que vous avez vécu ?
Certainement un peu des deux. Quand je suis arrivé en sélection, j’ai été titulaire d’entrée. Même en équipe de France, j’étais capitaine, comme à Auxerre. Quelque part, je suis un meneur. Je peux me prendre la tête avec mes coéquipiers sur le terrain, car je suis très mauvais perdant. Je prends souvent la parole, j’assume le fait d’être un leader. Mes différents sélectionneurs l’ont d’ailleurs bien perçu.
Quelles sont vos relations avec Emmanuel Adebayor ?
Même si on ne s’appelle pas tous les jours, elles sont très bonnes. C’est quelqu’un de très ouvert, qui ne reste pas dans son coin. Il ne joue pas la star, se mélange à tout le monde, ne fait pas de « chichis ». Adebayor met une bonne ambiance, il nous a aussi servi de modèle. On voulait suivre son exemple. Il lui est parfois arrivé de hausser le ton, mais c’était pour le bien de l’équipe.
En plus d’Adebayor, la sélection togolaise compte des joueurs de grand talent, comme Ayité, Romao ou encore Agassa. Pensez-vous pouvoir marquer l’histoire d’un point de vue sportif ?
C’était mon objectif en choisissant de jouer avec les Éperviers. Nous avons récupérer plusieurs bons joueurs. En 2010, l’histoire du bus nous a brisés, le groupe a éclaté. Certains ne voulaient plus venir jouer. D’autres choisissaient leurs matchs. Ce fût un traumatisme pour toute l’équipe. Logiquement, on a raté la CAN 2012. On devait reconstruire une équipe. Entre septembre 2013 et septembre 2014, nous n’avons joué aucun match. Et nous nous sommes retrouvés seulement quatre jours avant la première rencontre des éliminatoires pour la CAN 2015. Forcément, le groupe n’avait plus aucune cohésion. A l’arrivée, nous avons perdu quatre matches éliminatoires sur six. Ça aurait été un miracle de se qualifier pour la phase finale. Depuis que nous avons battu l’Algérie (2-0) en 2013, nous avons été un peu abandonnés par nos dirigeants. J’ai du mal à leur pardonner, car ils ne nous ont pas donné de réelles chances de réussir.
Quel est votre meilleur souvenir avec la sélection togolaise ?
Notre match nul contre la Tunisie (1-1), qui nous a permis de nous qualifier pour les quarts de finale de la CAN 2013. Lors de ce dernier match des phases de poule, on avait tout contre nous. L’arbitre avait sifflé deux penaltys en faveur des Tunisiens. Malgré tout, nous sommes passés !
Depuis le mois de janvier 2014, vous jouez au FC Hoverla, en Ukraine. Comment ça se passe lorsqu’on joue dans un pays en guerre ?
Lorsque j’ai signé dans ce club, je ne savais pas comment ça allait se passer. La guerre a éclaté juste après ma signature. J’avais peur. Mes parents voulaient que je rentre. On ne savait pas si le conflit allait durer longtemps. C’était vraiment difficile à vivre, surtout que je ne voulais pas revivre une scène de guerre. La guerre s’est déroulée seulement dans l’Est du pays, ça m’a rassuré un peu. Le président de mon club est un député. Donc le conflit s’est répercuté sur le foot. Il ne pouvait plus vraiment s’occuper du club. Aujourd’hui, je me sens plus serein, les choses se sont tassées. Mais si une nouvelle opportunité intéressante se présente à moi, je la saisirais.
Où vous voyez-vous dans dix ans ? Plutôt à Paris ou à Lomé ?
Je ne sais pas. Ce qui est certain, c’est que je serai entre les deux villes. Dans ces deux endroits, je me sens comme chez moi. J’ai toujours eu le cul entre deux chaises et ce n’est pas prêt de s’arrêter !