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Liberté N° 1854 du 5/1/2015

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TOGO: Mme Awa Nana, une nomination qui pose un problème moral et fait désordre
Publié le jeudi 8 janvier 2015  |  Liberté


© Autre presse par DR
Awa Nana, la Présidente de la Cour de Justice de la CEDEAO


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La nouvelle est passée presqu’inaperçue, car intervenue au moment où toutes les attentions étaient requises par les préparatifs des fêtes de fin d’année. Mme Awa Nana a été nommée Médiateur de la République et présidente du Haut-commissariat à la réconciliation et au renforcement de l’unité nationale (Hcrrun). Une décision de Faure Gnassingbé qui pose un véritable problème moral et mérite qu’on y revienne, au regard de l’activisme juridique de la dame au service du pouvoir et de la triste image laissée au sein de l’opinion.



Awa Nana, médiateur de la République et présidente du Hcrrun

C’est l’autre grande décision issue du Conseil des ministres du 24 décembre 2014, à part l’annonce de la scission de la Faculté des lettres et sciences humaines (Flesh) en deux entités distinctes et l’ébauche d’un projet de statut de la Police. Par décret présidentiel pris en marge de cette rencontre gouvernementale souvent organisée au gré des humeurs de Faure Gnassingbé, Mme Amadou Abdou-Nana Awa-Daboya, plus connue sous le nom Awa Nana, magistrate de formation et tout récemment admise à la retraite après plusieurs années passées à la tête de la Cour de justice de la Cédéao, a été nommée Médiateur de la République.

Elle assumera par ailleurs les responsabilités de présidente du Haut-commissariat à la réconciliation et au renforcement de l’unité nationale (Hcrrun), une structure créée dans le cadre de l’hypothétique mise en œuvre des recommandations de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (Cvjr). Elle sera assistée dans sa tâche de Wiyao Evalo et de Mme Akakpo-Ahianyon Kpondzo Christine comme premier et deuxième rapporteurs.

En tant que tel, Mme Awa Nana sera chargée de « contribuer à l’instauration d’un climat social et politique apaisé nécessaire à la réconciliation et de lancer le dispositif d’indemnisation ».

Une nomination qui pourfend la morale

Mme Awa Nana est magistrate de formation. Elle a donc le profil idéal pour occuper ce poste, et sur le plan strict de compétences, aucun débat n’est possible. Mais voilà, la seule évocation de son nom fait remonter à la mémoire bien de souvenirs pas forcément mélioratifs. Elle n’a pas laissé une bonne empreinte dans l’opinion de toute sa carrière. Pour faire court, Mme Awa Nana est un élément de la crise politique qui dure depuis une bonne vingtaine d’années et un pion du braconnage judiciaire qui a étalé son lit au Togo sous Faure Gnassingbé.

L’alternance politique au pouvoir, voilà un idéal derrière lequel court le peuple togolais depuis un quart de siècle et qui est encore au centre de la coulée d’adrénaline dans le cadre de la présidentielle de 2015 et du blocage autour des réformes constitutionnelles et institutionnelles de l’Accord politique global (Apg). Mais elle aurait été une réalité depuis 1998 si une certaine Awa Nana ne l’avait pas marchandée. C’est sans doute son tout premier fait d’arme qui remonte à la mémoire l’évocation de son nom. A l’époque présidente de la Commission électorale nationale indépendante (Céni), elle prétexta des menaces sur sa vie pour refuser de proclamer les résultats de l’élection présidentielle sortis des urnes qui donnaient bien Gilchrist Olympio vainqueur aux dépens de Gnassingbé Eyadéma, et s’éclipser. L’opinion saura plus tard qu’il s’agissait d’une stratégie bien ficelée pour créer les conditions de détournement des suffrages. Après sa démission et sa fuite (sic), Séyi Mémène, à l’époque ministre de l’Intérieur monta en scène, renversa les résultats en faveur d’Eyadéma qu’il proclama ensuite vainqueur. Cette docilité de Mme Awa Nana lui a valu le soutien du pouvoir de l’époque pour être nommée au sein de la Cour de justice de la Cédéao.

A la tête de cette cour communautaire, Mme Awa Nana a activement participé à la violation des droits de l’Homme et cautionné le règne de l’arbitraire sous Faure Gnassingbé. Les arrêts dans tous les dossiers venant de justiciables togolais dont la Cour a été saisie ont souffert de clarté, à cause de ses influences. D’abord l’affaire des neuf députés apparentés à l’Alliance nationale pour le changement (Anc) exclus en novembre 2010 de l’Assemblée nationale. L’instruction de la plainte a souffert de lenteur. En fin 2011, la Cour est parvenue, au cours d’une audience foraine tenue à Cotonou, à relever la violation manifeste des droits des députés et a condamné l’Etat togolais à la réparer. Alors que le bon sens s’attendait à la voir prononcer ouvertement la réintégration des députés arbitrairement exclus, elle a fait dans la langue de bois. Ce qui avait laissé libre court à l’interprétation gauche de l’arrêt par le pouvoir de Lomé et justifié son refus de réintégration des élus. Les avocats des neuf députés ont dû réintroduire une autre requête auprès de la Cour pour attirer son attention sur l’hostilité de l’Etat togolais à exécuter l’arrêt et requérir clarification de sa part. Mais le dossier a été sciemment trainé jusqu’à ce que la mandature de ces élus n’arrive à échéance. Et le verdict rendu au forceps a aussi souffert d’exécution. Tout cela à cause des influences sur les juges en charge du dossier, de la présidente de la Cour, Mme Awa Nana dont la mission était de les empêcher de désavouer le pouvoir de Lomé, ou à défaut, entraver la clarté de l’arrêt.

Même partition dans l’affaire Kpatcha Gnassingbé. Ici aussi, l’instruction du dossier a été retardée au maximum, et l’argent a beaucoup circulé afin de mouiller les juges. Bien de médias avaient révélé à l’époque que la présidente n’était pas étrangère à cette manœuvre. Des sources la disaient descendre régulièrement à Lomé et se ravitailler (sic) pour les besoins de la cause. Comme dans le dossier des députés Anc, le verdict rendu a été mi figue, mi raisin. Bien que la Cour ait relevé la violation du droit des personnes impliquées à un procès équitable, elle s’est curieusement retenue d’ordonner ouvertement la conséquence immédiate qui devrait être leur libération. Ce qui a à nouveau laissé une bonne marge de manœuvres au régime de Lomé qui a encore versé dans les interprétations pas possibles. Ici aussi, il a fallu la perspicacité des avocats de la défense pour que certains de ces détenus soient indemnisés. Mais Kpatcha Gnassingbé et bien d’autres coaccusés sont toujours en détention.

Bien d’autres dossiers du Togo, dont celui d’Agba Bertin ont souffert de l’omniprésence de Mme Awa Nana qui a activement participé à empêcher la Cour de dire le droit dans son entièreté. Tout son mandat à la tête de cette Cour a été destiné à sauver le pouvoir de Faure Gnassingbé, pérenniser le règne de l’arbitraire et de l’injustice et entraver l’avènement de l’Etat de droit, base de la démocratie. Et c’est un tel personnage qu’on nomme Médiateur de la République, et qui plus est, chargé de la mise en œuvre des recommandations de la Cvjr !

Mérite ou récompense d’une activiste du pouvoir ?

On ne saurait s’empêcher de se poser une telle question, au regard du background de Mme Awa Nana. Et pour bien d’observateurs, cette nomination n’est rien d’autre qu’une rétribution pour services rendus, la récompense de l’activisme de cette dame qui a passé ses derniers moments à la tête de la Cour de la Cédéao à sauver le régime du Fils. D’ailleurs, ce n’est qu’un poste de substitution, car elle était au départ pressentie pour être parachutée à la présidence de la Cour constitutionnelle, en remplacement d’Aboudou Assouma.

Le Médiateur de la République est une autorité administrative indépendante chargée d’améliorer, par son action, les relations des citoyens avec l’administration et intervient dans les litiges qui les opposent en tentant de proposer des solutions de règlement amiable. Inspiré de l’Ombudsman suédois et du Commissaire parlementaire anglais, son rôle est de dénoncer les travers de l’administration. Au regard de ce rôle ô combien important, l’intégrité morale et le sens de la justice devraient être les qualités premières du médiateur de la République. Mais Mme Awa Nana est à des années-lumière de ces vertus. Et c’est un euphémisme de le dire ainsi. Le bon sens voudrait que la personne chargée de parrainer la mise en œuvre des recommandations de la Cvjr (contraignantes pour le pouvoir) en soit une de consensus, la moins reprochable possible, à l’instar de Mgr Nicodème Barrigah qui a conduit les travaux de cette commission. Mais voilà, Faure Gnassingbé n’a trouvé mieux que d’y parachuter une activiste de son pouvoir, une braconnière des droits de l’Homme, une ennemie de la justice. Au-delà d’être amorale, cette nomination fait désordre.

Tino Kossi
Liberte Togo

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