Le 15 avril prochain verra Kpatcha Gnassingbé, le demi-frère de l’actuel locataire du palais de la Marina boucler sa 6ème année de détention.
Il en restera encore 5 pour certains de ses compagnons, et 14 pour lui à passer dans les geôles togolaises. A moins que les conclusions du Groupe de travail sur la détention arbitraire du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies ne soient entendues et prises effectivement en compte par le régime de Faure Gnassingbé, ou que des mesures coercitives soient exercées sur le gouvernement togolais pour leur mise en application. Car tout concourt à confirmer que les impliqués dans le « Kpatchagate » devraient recouvrer leur liberté depuis des lustres et que c’est en toute illégalité qu’ils sont toujours maintenus en détention.
« Le mensonge a beau se lever tôt, la vérité finit toujours par le dépasser », se plaisait à répéter feu Gnassingbé Eyadema. Malgré tout ce qui a été dit dans la nébuleuse affaire de tentative d’atteinte à la sûreté de l’Etat, le droit a fait du chemin pour aboutir à la vérité. La Cour de Justice de la Cédéao a déjà dit le droit et la libération des détenus s’imposait. Mais l’Etat togolais a jugé de lire les arrêts rendus sous un autre prisme. Le dernier avis du Groupe de travail contre la détention arbitraire, une émanation du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies, adopté le 19 novembre dernier constitue le dernier camouflet asséné au régime en place.
Pour rappel, le Groupe de travail avait adressé une communication au gouvernement le 4 août 2014 concernant M. Kpatcha Gnassingbé et autres. Il lui était demandé des informations détaillées sur la situation actuelle de MM. Kpatcha Gnassingbé, Ougbakiti Séidou, Esso Gnassingbé, Abi Atti, Soudou Tchinguilou, Kokou Tchaa Dontema, Efoé Sassouvi Sassou. Les autorités ont mis plus de deux mois avant de donner suite à cette communication le 8 octobre 2014. Dans sa réponse, le gouvernement du Togo soutient : « quant à la libération des détenus, le gouvernement confirme que la Cour de la Cédéao dit n’avoir pas lieu à l’ordonner, car leur détention est fondée sur une base légale et n’est pas arbitraire. Il clarifie que la base juridique justifiant la mise en détention de ces personnes est le code pénal togolais en ses articles 229, 230, et 232 ainsi que l’arrêt N°59/11 du 15 septembre 2011 de la chambre judiciaire de la Cour suprême ». Le « droit togolais » aurait-il la primauté sur le droit international auquel le Togo est partie ?
Pendant que les autorités togolaises s’échinent à brandir le « droit togolais », le Groupe de travail contre la détention arbitraire se réfère au Comité contre la torture, une instance internationale qui « a précisé que c’est pendant les périodes au cours desquelles ils [les prévenus] ne peuvent pas communiquer avec leur famille et leurs avocats que les suspects sont le plus susceptibles d’être torturés (art 2 et11). Les violations invoquées sont celles sanctionnées par le Groupe dans sa jurisprudence constante, résumée dans les termes précités d’autant plus par ailleurs qu’elles violent aussi les droits de la défense et ne garantissent pas un procès équitable. Le Groupe de travail estime que sur la base de ces observations, la détention et la condamnation fondées sur des aveux qui seraient obtenus par torture, en l’absence d’éléments matériels ou autres, sans que des investigations soient menées en vue de s’assurer de la sincérité des aveux, sont contraires aux dispositions des articles 9, 10 et 11 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et 9 et 14 du Pacte International sur les Droits Civiques et Politiques et contrevient à la catégorie III de la définition de détention arbitraire dans les méthodes de travail du Groupe ». Et pourtant le Togo est partie prenante de ces deux instances supranationales qui relèvent les incongruités dans les procédures. Tout semble indiquer dans la démarche des autorités togolaises que la présence de la représentante du HCDH au Togo n’engagerait que ceux qui l’ont missionnée, et qu’à l’aune de la surdité-mutité dont elles font preuve dans ce dossier qui n’a que trop terni l’image déjà écornée du Togo à l’extérieur, il existerait désormais « le droit international et le droit togolais ».
En guise de recommandations, entre autres, « le Groupe de travail rappelle que le Conseil des droits de l’Homme a demandé à tous les Etats de coopérer avec le Groupe de travail, de tenir compte de ses avis et de prendre les mesures appropriées pour remédier à la situation des personnes privées de leur liberté, ainsi que d’informer le Groupe de travail des mesures qu’ils auront prises. En conséquence, le Groupe de travail requiert la coopération pleine et entière de la République du Togo dans la mise en œuvre de cet avis pour effectivement remédier à une violation du droit international ». Pas du droit togolais !
Aujourd’hui, ce sont sept citoyens togolais dont les droits sont brimés, après avoir subi des tortures et autres traitements inhumains et dégradants reconnus par la Commission nationale des droits de l’Homme. Malgré l’arrêt de la Cour de justice de la Cédéao, ils boucleront chacun six ans de détention, dans une indifférence collective. Même la représentante du HCDH, Mme Olatokunbo Ige semble avoir abandonné la lutte, malgré ses professions de foi lors des rencontres.
Les parlementaires de l’opposition œuvrent pour conduire les affaires du pays dans un proche avenir. Et pour aspirer assumer de grandes fonctions, on doit apprendre à s’acquitter avec rigueur des petites. La démocratie, mieux, la justice voudrait que même en faveur de son adversaire politique, on reconnaisse que le droit n’a pas été dit, surtout à l’aune du rapport du Groupe de travail contre la détention arbitraire, un rapport produit sans parti pris. De plus, les organisations de défense des droits de l’Homme doivent se mobiliser pour que cet avis venant des structures onusiennes soit respecté et que Kpatcha Gnassingbé et codétenus soient libérés. Affaire à suivre.