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Liberté N° 1860 du 13/1/2015

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La vérité toujours occultée, les pyromanes et leurs commanditaires protégés, les victimes abandonnées, le dossier passé par pertes et profits…
Publié le jeudi 15 janvier 2015  |  Liberté


© Autre presse
Incendies des marchés de Kara et de Lomé


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12 janvier 2013-12 janvier 2015. Aujourd’hui, cela fait deux ans pour jour que le grand-marché de Lomé était victime d’un incendie criminel ; et ce, après celui de Kara parti en fumée dans la nuit du 10 au 11 janvier 2013. Mais après autant de temps, la lumière ne s’est toujours pas faite dans ce dossier, et les auteurs pourtant bien connus, ne sont nullement inquiétés. Quant aux bonnes femmes victimes de cette méchanceté humaine, elles sont livrées à elles-mêmes.

Rappel sommaire des faits




Dans la nuit du 10 au 11 janvier 2013, le grand-marché de Kara partit en fumée. Alors que l’opinion ne s’est pas encore remise de cette terrible nouvelle et que les premiers responsables de l’Etablissement public autonome des marchés (Epam) ont promis la veille avoir pris toutes les dispositions pour éviter la récidive, le bâtiment central du grand-marché d’Adawlato fut aussi victime d’un incendie dans la nuit du 11 au 12 janvier. Marchandises diverses, argent et autres biens étaient consumés, au grand dam des commerçantes.

A peine les dernières braises s’étaient-elles éteintes que le pouvoir enclencha une véritable chasse à l’homme dans les rangs de l’opposition, notamment du Collectif « Sauvons le Togo ». Gérard Adja, le 1er Vice-président de l’Organisation pour bâtir dans l’union un Togo solidaire (Obuts) fut le premier à passer à la trappe le dimanche 13 janvier. Un jeune militant de l’Alliance nationale pour le changement (Anc), Toussaint Tomety alias Mohamed Loum sera appréhendé, à travers un guet-apens à lui tendu le 14 janvier vers Bè-Château à Lomé. Lui et d’autres jeunes furent présentés publiquement comme les pyromanes et instrumentalisés afin d’impliquer les premiers responsables du Cst qui organisait en ce temps la manifestation dénommée « Les derniers tours de Jéricho ».

Le 24 janvier, le ministre de la Sécurité et de la Protection civile, le Col Yark Damehame improvisa une conférence de presse au cours de laquelle il révéla (sic) ce qu’il avait appelé le corps du délit découvert au siège de l’Anc : des cocktails Molotov, des bidons d’essence, des boites d’allumettes. Des allégations que battra en brèche le rapport des recherches des deux experts français dépêchés au Togo qui parlèrent plutôt de kérosène. Sa sortie eut un écho favorable auprès du Procureur de la République, Essolissam Poyodi qui mit le curseur sur les responsables du Cst. Malgré les zones d’ombre, la légèreté manifeste de l’accusation, les pistes qui sautaient aux yeux, l’instruction fut orientée vers le Cst et il fut procédé à une bonne trentaine d’arrestations tous azimuts dans les rangs des responsables et militants dont Alphonse Kpogo, à l’époque Secrétaire général de l’Alliance des démocrates pour le développement intégral (Addi), Tchagnaou Ouro-Akpo, député de l’Anc, Tchakoura Bode, membre du bureau exécutif du Pacte socialiste pour le renouveau (Psr) et trésorier du Cst, Jean Eklou, Président de la Jeunesse nationale pour le changement (Jnc), Apollinaire Athiley, président de la sous-section Anc de Kodjoviakopé et chauffeur de Jean-Pierre Fabre. Etienne Yakanou, lui, succombera en prison le 16 mai après quatre mois de détention. D’autres leaders dont Fabre, le Coordonnateur du Cst Zeus Ajavon, le Président de la Ligue togolaise des droits de l’Homme (Ltdh) Me Raphaël Kpandé-Adzaré, Me Jil-Benoit Afangbedji d’Ensemble pour les droits de l’Homme (Edh), le Directeur de Publication du journal Liberté Zeus Aziadouvo, entre autres, furent inculpés mais non déposés.

Les auteurs toujours non identifiés, le dossier enterré

Sur la base des aveux arrachés à Mohamed Loum sous le coup de l’instrumentalisation et de la torture et des enquêtes à la Yark Damehame, il a été procédé à des arrestations à la pelle dans les rangs des responsables et militants du Cst, rappelions-nous. Mais il est apparu évident aux yeux de tous que c’était juste un acharnement et que les vrais pyromanes étaient ailleurs. Les victimes elles-mêmes (plus de 3000 commerçantes et commerçants) n’ont jamais accordé du crédit à cette vérité servie par le régime. Le pouvoir lui-même s’est quelque peu trahi dans l’instruction du dossier, en se refusant d’orienter les enquêtes vers d’autres pistes malgré les indices palpables : apathie des forces de secours, empêchement volontaire fait aux sapeurs-pompiers ghanéens d’entrer au Togo sous le prétexte des formalités administratives, présence suspecte sur les lieux des incendies de certains éléments de la grande muette avant les faits, évacuation prémonitoire de leur magasin par certaines responsables des commerçantes…

C’est dans ce déni manifeste de vérité que les responsables du Cst ont mené des investigations propres et rendu public le 10 novembre 2013 un rapport sur ces incendies criminels. Dans ce rapport qui a fait l’effet d’une bombe, ses signataires ont parlé d’une machination orchestrée dans les hautes sphères de l’Etat et surtout révélé des noms. Et parmi eux, Ingrid Awade, alors Directrice générale des impôts (Dgi) et présentée comme la principale instigatrice de cette machination ; le Colonel Félix Kadanga, à l’époque Chef corps de la Force d’intervention rapide (Fir), unité d’élite des Forces armées togolaises (Fat), peint comme l’exécutant en chef de la machination ; le Lieutenant-Colonel Yotroféi Massina, alors Directeur de l’Agence nationale de renseignement (Anr) ; Raoul Kpatcha Bassayi, Directeur général de l’entreprise de bâtiments et travaux publics Centro ; le Général Mohamed Atcha Titikpina, alors Chef d’Etat major général des FAT; le Colonel Didier Bakali, Préfet de la Préfecture de la Kozah ; Kogoé Sylvère Akrima, DG de la Société aéroportuaire de Lomé Tokoin (Salt), présenté comme le fournisseur du kérosène qui a servi aux incendies et qui a été prélevé sur le stock de la base chasse de l’Aéroport international de Niamtougou ; l’officier de police chargé des audiences de Faure Essozimna Gnassingbé à Kara, cité comme le principal exécutant de l’incendie du marché de Kara. Le rapport a par ailleurs fait part du mode opératoire, du combustible utilisé, bref de bien d’éléments assez convaincants. Et pour la manifestation de la vérité, les signataires avaient demandé à la Justice togolaise « qu’une information judiciaire soit ouverte à l’encontre de toutes les autorités et personnes que l’instruction révélera afin qu’ils répondent de leurs actes devant la Justice ».

Une justice normale ne devrait pas attendre d’être interpellée avant de se saisir de ces nouveaux éléments et orienter les enquêtes vers ces hommes et femmes cités. Mais le Procureur de la République, celui-là même qui devrait explorer toutes les pistes, a aussitôt balayé du revers de la main les révélations de ce rapport, incitant même les personnes citées à porter plainte contre les signataires. Et effectivement, elles se sont agitées à l’époque – la dame de fer s’était même permis d’insulter Zeus Ajavon et les siens – et l’une d’entre elle, Bassayi Kpatcha les a assignés en justice. Mais on est resté à la première audience reportée. Depuis plus d’un an, les plaintes annoncées ne sont pas citées en audience, et les plaignants sont même devenus aphones. Tout porte à croire que le bruit fait au lendemain de ce rapport n’était qu’une simple agitation. La Justice n’a jamais rebondi sur ce rapport et ouvert une information judiciaire, comme demandé par les signataires du rapport du Cst, pour mener des investigations. Elle n’a pas non plus cru devoir faire son travail, lorsque le jeune Mohamed Loum est revenu sur ses propos ayant été pris pour parole d’évangile et servi de prétexte aux implications et arrestations, a dit avoir été instrumentalisé pour impliquer des leaders du Cst et cité des noms, dans une lettre écrite à Jean-Pierre Fabre. Mais rien n’y fit. Bien plus, certains de ces commanditaires présumés ont été promus par Faure Gnassingbé. A contrario, des militants de l’opposition présentés comme les pyromanes continuent de croupir en prison – ils sont encore une bonne dizaine dans le cas. Alors que leur libération était attendue au sein de leurs familles génétique et politique, et Faure Gnassingbé lui-même l’a promise au chef de file de l’opposition lors de leur entretien du 22 novembre dernier, ces innocents ont plutôt été transférés vers des prisons de l’intérieur. Même libérés, certains de ces militants de l’opposition innocemment impliqués et détenus continuent de souffrir le martyre, à l’instar de Naboudja arrêté dans le cadre de l’incendie du grand-marché de Kara. L’homme a repris son poste d’enseignant, mais on refuse de lui payer son salaire depuis dix-huit (18) mois. La recherche de la vérité ne préoccupe visiblement plus le pouvoir en place. Le dossier est simplement passé aux oubliettes, tout comme le contenu du rapport des deux experts français.

Les victimes livrées à elles-mêmes

A la survenue des incendies à l’époque, les officiels avaient simulé une certaine compassion et les victimes étaient l’objet de toutes les sollicitudes. On se rappelle, au lendemain de l’incendie du grand-marché de Kara, Faure Gnassingbé qui était dans la ville quelques heures plus tôt, s’est donné la peine d’y retourner pour constater de visu l’étendue des dégâts et consoler les victimes. On avait tendu le micro à certaines qui s’étaient dites comblées par cette visite. Pour le cas de Lomé, à défaut d’une descente sur le terrain, il s’est contenté de recevoir au Palais de la présidence le 13 janvier 2013 une délégation composée de la Directrice de l’Epam, Mme Seshie Ayélégan, de la Présidente des Nana Benz, Dame Creppy, entre autres. Il avait feint le plus affligé et promis un tas de dispositions. Ici aussi, au sortir de l’audience, on avait entendu des femmes toutes optimistes quant à la suite.

Pagne, bijoux, marchandises diverses, argent, ce sont là les choses qui sont parties en fumée dans ces incendies. Les dégâts étaient estimés à environ 6 milliards pour les deux marchés. Bien de promesses furent faites à ces bonnes femmes afin de leur permettre de se relever : indemnisation du gouvernement, offres spéciales des institutions bancaires et autres facilités…Une somme de 2 milliards fut décaissée en fin février 2013 par le gouvernement pour leur venir en aide. Alors que ce montant représentait le tiers des dégâts estimés et chacune des victimes pouvait espérer être indemnisée dans les mêmes proportions, les sommes encaissées faisaient à peine le 10e des pertes déclarées. Au grand désarroi de certains commerçants qui sont même tombés en syncope au cours de l’opération, par dépit. Depuis février 2013 où cette pseudo indemnisation a eu lieu, plus rien n’a été remis aux victimes comme sou, malgré leurs cris. Elles n’ont non plus vu la couleur de l’argent récolté (53 millions de FCFA) lors du téléthon organisé par la fameuse association dénommée Acte (Action citoyenne pour un Togo émergent). Il a été entre-temps dit que ce sont les auteurs des incendies qui devront les payer. Mais depuis deux ans, les enquêtes promptement ouvertes par Yark Damehame et la Justice togolaise n’ont pas encore abouti et présenté à l’opinion ces pyromanes et leurs commanditaires. Les promesses de prêts et autres facilités annoncées par les institutions financières, c’était du pipeau.

Après une relocalisation des commerçantes sur un site, un marché a été construit à Kara. Quant à Lomé, un site a été aménagé à Agbandahonou depuis août 2013 pour abriter provisoirement les activités des commerçantes. Tout porte à croire à un largage et à un débarras, car depuis leur relogement sur ce site à Lomé, elles portent seules leur croix. Places et kiosques étroits, taxes exorbitantes, absence de clients, mévente…tels sont les problèmes rencontrés. Et elles ne trouvent même plus d’interlocuteurs crédibles, leurs doléances n’étant jamais satisfaites. Soucis et maladies constituent leur lot quotidien. On signale une bonne dizaine de décès et des cas de paralysie dans les rangs des victimes. Depuis deux ans, elles sont abandonnées et livrées à elles-mêmes. Et elles n’ont recours qu’à Dieu pour se consoler et espérer. Selon les informations, elles prévoient des offices religieux pour marquer ce second anniversaire et des manifestations pour se faire entendre.

Tino Kossi

Liberte Togo

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