Togo - La mise en œuvre des réformes constitutionnelles et institutionnelles de l’Accord politique global (Apg) continue de rythmer le processus électoral. Hier encore, les militants et sympathisants du Combat pour l’alternance pacifique en 2015 (Cap 2015), de la synergie des Organisations de défense des droits de l’Homme (Oddh) et alliés étaient encore dans les rues pour les réclamer ; et devraient s’y retrouver jusqu’à leur mise en œuvre. Sur cette problématique, la classe politique fait face à un chantage de Faure Gnassingbé et à un véritable dilemme.
Le pouvoir toujours insensible
Quand le pouvoir va-t-il se décider à mettre en œuvre les réformes ? Cette question mérite d’être posée, d’autant plus qu’il reste inflexible à toutes pressions. La marche d’hier était la nième sur Faure Gnassingbé, pour l’exécution des réformes constitutionnelles et institutionnelles de l’Accord politique global (Apg) indispensables à la bonne tenue de l’élection présidentielle prochaine. On en était à la 5e manifestation organisée en l’espace de deux mois pour les réclamer. 21 novembre avec le Cap 2015, 28 novembre avec la synergie des Oddh, le 12 décembre ensemble à Lomé et dans certaines villes de l’intérieur, le 20 à Sokodé. Le 5 janvier dernier devrait encore voir les partisans de l’alternance battre le pavé. Mais la manifestation a été suspendue, pour donner chance aux discussions au sein de la Commission des lois de l’Assemblée nationale convoquée ce jour. Malheureusement elles n’ont rien donné, d’où la reprise des manifestations hier. Et, selon les organisateurs, la rue va gronder chaque jour jusqu’à ce que les réformes soient mises en œuvre, avec des sit-in de 18 heures à 22 heures.
Au cours de ces manifestations, les participants n’ont cessé de crier dans les oreilles de Faure Gnassingbé. Et à part ces marches, les pressions continuent de pleuvoir sur le pouvoir de la part des représentants du monde « civilisé », loin des yeux et des oreilles indiscrets. Mais il reste inflexible jusqu’à présent. Et Dieu seul sait jusqu’à quand on devra attendre ces réformes.
Deux mandats de plus pour Faure Gnassingbé
Le commun des Togolais s’attendait à voir les choses s’accélérer à la Commission des lois convoquée le 5 janvier dernier pour entamer les discussions sur la proposition de loi de l’opposition. Mais elle a juste servi à connaitre les desseins « démocraticides » de Faure Gnassingbé. Pour ses émissaires, la réforme constitutionnelle à faire ne devrait pas prendre en compte ses mandats 2005-2010 et 2010-2015. Ils ont ainsi requis de l’opposition parlementaire des dispositions transitoires consacrant une remise des compteurs à zéro, et donc deux mandats supplémentaires pour lui. C’est donc à cette seule condition que le parti au pouvoir accepterait voter la proposition de loi introduite depuis le 19 novembre 2014 par l’opposition parlementaire.
Au cours de la conférence de presse improvisée mercredi dernier par la majorité parlementaire, Christophe Tchao a mis ses dix doigts au feu et nié que le groupe parlementaire Rpt/Unir ait fait cette requête. Et pourtant c’est bien la réalité. Cela a été confirmé par les députés du groupe parlementaire Anc lors de leur sortie publique ; mais aussi sous cape par l’autre parti qui a fait séparation de corps, puis divorce, mais est en train de revenir à la maison – suivez les regards.
Application immédiate, dit l’Anc
La requête du pouvoir a semblé avoir écho favorable auprès du duo conjoncturel Car-Addi. Nous l’avons déjà rapporté, ce couple s’est dit prêt à accorder un mandat supplémentaire à Faure Gnassingbé ; et ici, on voit cette concession comme une façon de couper la poire en deux. Une option qui reprend curieusement l’avis du juriste (sic) Yawovi Agboyibo, mais aussi la proposition du fameux Groupe de médiation formé des « 3e mandateurs ».
Mais au sein du groupe Anc, on a réservé une fin de non recevoir à cette requête somme toute « démocraticide ». Et c’est légitime. Au sein du serails, on sait bien que cette réforme devrait être d’application immédiate, comme cela a été le cas en 2002 lorsque la Constitution fut tripatouillée et Eyadéma s’en était prévalu pour candidater au scrutin de 2003 sans que personne n’ait levé le petit doigt pour créer cette petite polémique – pour flouer les naïfs, on raconte que l’opposition exige la rétroactivité de la loi -, raison pour laquelle on quémande coûte que coûte la caution de l’opposition pour permettre à Faure Gnassingbé de briguer la magistrature suprême en 2015. « Pourquoi Faure ne se contente-t-il pas de la Cour constitutionnelle acquise à sa cause qui n’hésiterait pas à valider sa candidature et se voit-il obligé de quémander le quitus de l’opposition pour le faire ? S’il veut forcer les choses et briguer un 3e mandat, qu’il le fasse et assume les conséquences. Seuls les ignorants tomberaient dans ce piège », râle un militant du Cap 2015.
Le chantage qui ne dit pas son nom
Le pouvoir sait que les réformes sont désirées par bien de Togolais, et d’elles dépend l’avènement de l’alternance au pouvoir tant espérée. Faut-il le rappeler, selon un sondage de l’Institut Afrobaromètre, ils sont 87 % à les vouloir, y compris les partisans du pouvoir, et le régime Rpt/Unir surfe là-dessus et fait chanter l’opposition par sa requête.
Plus qu’une simple requête, c’est une condition tacitement posée pour la mise en œuvre des réformes. « Vous acceptez remettre les compteurs à zéro pour notre patron, et nous votons votre proposition de loi. Si vous refusez, alors dites adieu aux réformes et il s’éternise au pouvoir », c’est ainsi qu’il faut résumer la proposition des députés de la majorité. Cette exigence a été maintenue et les trois jours de discussions à la Commission des lois n’ont servi à rien. Elles sont mêmes suspendues et on se retrouve devant une impasse. Un chantage en règle de la part du pouvoir. Et aujourd’hui, la chanson fredonnée aussi bien par les griots du pouvoir que certains opposants est que c’est l’Anc qui bloque les réformes.
Et pourtant, les réformes constitutionnelles et institutionnelles ne sont pas une faveur de Faure Gnassingbé ! C’est un engagement solennel que son pouvoir a pris dans l’Accord politique global (Apg) signé le 20 août 2006 devant les représentants de la communauté internationale. C’est d’ailleurs la contrepartie de la légitimité à lui accordée par l’opposition, une parole donnée devant Dieu et devant les hommes qu’il se devrait simplement d’honorer.
Le dilemme de l’opposition
La proposition de loi de l’opposition parlementaire était l’ultime occasion concrète de mise en œuvre des réformes. Mais manifestement, on est en face d’un blocage dans le processus d’exécution de ces réformes avant le scrutin présidentiel prochain. Les observateurs avisés n’attendaient d’ailleurs pas une issue heureuse à la proposition de loi des députés de l’opposition, au regard du manque de volonté manifeste du pouvoir. La dernière trouvaille de création d’une certaine Commission de réflexion sur la question annoncée par Faure Gnassingbé et finalement confiée à Mme Awa Nana – elle encore ! – a vite fait de détruire les derniers espoirs. Et aujourd’hui l’opposition est confrontée à un dilemme créé par le pouvoir : concéder un 3e mandat à Faure et l’Unir vote la proposition de loi, ou refuser et il s’éternise au pouvoir.
A quoi serviraient les réformes si l’on devra autoriser Faure Gnassingbé qui aura passé deux mandats légitimes acceptés en démocratie, à briguer un 3e mandat au pouvoir, dans un pays qui dit avoir opté pour la démocratie qui a pour principe sacro-saint l’alternance ? D’ailleurs au niveau de l’Unir, on veut deux nouveaux quinquennats à Faure Gnassingbé. Mais alors qu’est-ce qui rassure qu’au crépuscule du second extra-mandat, il ne ferait pas tripatouiller à nouveau la Constitution et sauter le verrou de la limitation du mandat présidentiel, pour s’éterniser au pouvoir comme son défunt père ? Quelle est la meilleure option ? Autant de questions qui restent posées et prouvent à suffisance que le choix n’est pas aisé.