Critiquant à mots à peine couverts la politique de Lagos face à Boko Haram, ses voisins et alliés tchadien, camerounais et nigérien ont décidé d'organiser eux-mêmes leur riposte contre les islamistes armés, sur fond de défiance envers le pouvoir nigérian.
Les quatre Etats - qui se partagent les eaux du lac Tchad, sur les rives duquel sévit Boko Haram - ont pourtant formé officiellement une alliance militaire qui devait se concrétiser en novembre dernier par la réactivation d’une force régionale pour combattre les islamistes nigérians. Aujourd’hui, une telle force ne semble plus être à l’ordre du jour, surtout depuis la prise début janvier de la localité nigériane de Baga, au bord du lac, par Boko Haram.
Selon Amnesty International, cette attaque - qualifiée de crime contre l’Humanité par le sécrétaire d’Etat américain John Kerry - est "la plus grande et la plus destructrice" jamais perpétrée par le groupe armé depuis le début de son insurrection en 2009, qui depuis a fait plus de 13.000 morts et 1,5 million de déplacés. L’armée nigériane entendait faire de cette ville un des principaux points d’appui de la force régionale.
De petits détachements des pays voisins y étaient présents de longue date dans le cadre de la coopération régionale. Mais les pays voisins du Nigeria ne l’entendent pas ainsi et ne veulent pas déployer directement leurs troupes au milieu des bastions de Boko Haram. "La situation la plus préoccupante pour nous aujourd’hui c’est le Nigeria, c’est la situation de Boko Haram", expliquait au lendemain de la chute de Baga le ministre nigérien de la Défense Karidjo Mahamadou, ajoutant : "depuis novembre nous n’étions plus à ce poste-là, nous avons expliqué aux Nigérians que nous ne pouvions pas rester parce que nous n’avons pas envie de mettre la vie de nos militaires en danger".
Le Cameroun, deuxième front de Boko Haram, ne veut pas non plus envoyer aux troupes en permanence au Nigeria et était également opposé à l’option Baga, située en pleine zone de conflit, selon des sources sécuritaires à Yaoundé. Le président Paul Biya - qui a annoncé jeudi soir que le Tchad allait envoyer des troupes combattre aux côtés de l’armée camerounaise - défend l’idée d’un échanges d’informations permettant des interventions coordonnées, mais chacun sur sa partie du lac Tchad, selon ces mêmes sources. Depuis des mois, Yaoundé se plaint en outre amèrement du peu de combativité de l’armée nigériane et de désertions en masse face aux islamistes de Boko Haram.
"Les soldats nigérians désertent leurs positions en abandonnant leurs armes. Ce sont avec leurs armes que nous sommes attaqués", accusait encore en début de semaine un responsable militaire camerounais, témoignant de la défiance entre alliés. Au Tchad, qui considère que ses "intérêts vitaux" sont désormais en jeu face à la progression des islamistes, la tonalité n’est guère différente.
Concernant Baga, "le retrait des forces tchadiennes et nigériennes s’expliquent par le fait qu’une évaluation faite sur le terrain ne permettait aux Tchadiens et aux Nigériens d’accomplir leur mission avec l’armée nigériane", dit sous couvert d’anonymat un officiel tchadien, ajoutant : "il y a une sorte de suspicion et l’armée nigériane ne donne pas l’impression de collaborer". La période pré-électorale au Nigeria - la présidentielle se tient dans moins d’un mois - accentue encore chez ses voisins le climat de suspicion, voire les soupçons de double-jeu.
"Le Nigeria est un pays extraordinairement complexe", rappelait récemment à l’AFP un responsable militaire occidental, ajoutant : "Boko Haram, c’est particulier" parmi les mouvements jihadistes. Le groupe joue sur les multiples enjeux de pouvoir au sein du pays le plus peuplé du continent. Sur la traditionnelle division entre le nord majoritairement musulman et le sud majoritairement chrétien, dans un pays à l’histoire violente. Mais aussi sur les enjeux politiques et financiers locaux - avec leurs cortèges de rivalités et d’ambitions - dans les Etats de la fédération.