Une île d’incertitudes dans un environnement qui se normalise
Monarchie, dictature et démocratie, voilà, entre autres, des formes de gouvernance qui existent.
A chaque époque ses mœurs, la démocratie, avec des valeurs communes partagées malgré les différences, est la mieux acceptée. Encourager ce système politique est donc une injonction unanime
dans l’espoir d’une bonne gouvernance. Toutefois, en Afrique, il n’en demeure pas moins des pays qui comptent rester atypiques. Ils sont caractéristiques des discours qui contrastent avec les pratiques par rapport au contrat universel autour de la démocratie. Du coup, ils s’isolent et font le lit à l’incertitude. « Le pouvoir corrompt » dans un monde en perpétuel sensibilisation contre la longévité aux commandes des affaires publiques. Quelle place occupe donc le Togo dans cet environnement?
La situation interne présente deux cas de figure
D’une part, une grande majorité silencieuse et impuissante représentée par une opposition privée de moyens d’action. Celle-ci subit le diktat d’une apparence, d’un masque entretenu par une minorité dirigeante, minorité dotée des moyens de la République. C’est elle qui pivote autour des cercles de décisions, autrement dit, autour du ‘’Führer’’. Un cercle rapproché qui s’enrichit en se servant de la force publique comme sentinelle pendant que le grand peuple observe dans un climat de ni paix ni guerre.
Cette minorité se fait le devoir d’entretenir le masque. Elle n’a pas son intérêt dans l’alternance, c’est la minorité qui « s’accapare de la richesse des Togolais » dont parle l’actuel président de la République. Pour donc rester dans notre contexte, entre ces deux tendances, existent des relations complexes qui meublent la vie politique. Ce cliché, s’il est en voie de disparition avec les voisins, reste encore d’actualité au Togo et empoisonne l’évolution du pays, le plus faible parvenant à embrigader le plus fort derrière la peur d’un masque. C’est un peu comme le colon qui arrive à mettre tout un peuple en garde-à-vous, le temps où les indigènes ont peur de deux ou trois gardes.
Une majorité qui a peur de pousser et une minorité qui résiste grâce au masque, à l’apparence. Ce masque est une grande arme de guerre qui a permis, par exemple, à Blaise Compaoré, le désormais ancien dictateur du Faso, de résister à son peuple jusqu’à ce que celui-ci comprenne que, « la plus grande arme que craignent les fauves est le courage », et qu’il ne se cache derrière un masque qu’un pétard mouillé.
D’autre part, toujours dans notre contexte, il y a peu, outre ce masque qui étouffe une volonté populaire, le régime togolais s’est beaucoup fait aider des considérations ethniques. Mais ce second épouvantail ne tient plus la route depuis que le régime revendique plus de mécontents dans ses rangs que dans les rangs de l’opposition. Depuis donc que tout le peuple et les différentes régions du pays se retrouvent héritiers d’une misère commune et de l’image funeste d’un pays largement en retard en infrastructures de tous ordres, tous les Togolais partagent une aspiration commune : l’alternance.
Depuis donc la mort de Gnassingbé père, l’alternance a cessé d’être la victoire d’un camp sur un autre, mais une quête collective d’un peuple qui en a assez des mêmes couleurs. Mais son fils qui l’a remplacé, par erreur d’ailleurs, continue par se tromper d’époque en croyant naïvement en l’existence de dirigeants charismatiques qu’il faille soutenir vaille que vaille pour éviter le spectre des guerres civiles à connotation politico-ethnique.
Togo, le mauvais élève d’un continent
En dehors des pays-continents, pays de l’Afrique centrale et le Nigéria entre autres, où le caractère immense du territoire rend difficile de contrôle des velléités ethniques, il se distingue deux Afriques : celle où la démocratie s'enracine progressivement (Bénin, Mali, Niger, Côte d’Ivoire et par extension le Burkina Faso et autres), puis celle tenue par les dictateurs et apprentis dictateurs qui poussent des ailes de velléités de pérennisation au pouvoir avec le Togo en ligne de mire. ‘‘Quand on lance une pierre dans un marché, chacun couvre sa tête’’ dit un adage populaire. En cela, cette deuxième Afrique, pour ne pas dire le Togo, intéresse notre analyse.
Chaque jour qui passe, le Togo se révèle une démocratie qui plonge pendant que les autres émergent. La volonté du peuple est le cadet des soucis des décideurs, l’équation des dirigeants forts étant la mieux acceptée. Et pourtant, le principe de la démocratie est simple : le pouvoir d'un dirigeant ne serait qu'un pouvoir délégué par un peuple souverain. Donc un pouvoir sans domination et sans écrasement du peuple, un pouvoir qui perd ainsi son autonomie et dépend du peuple, « le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple », pour reprendre les américains. Un pouvoir qui puise ses sources d’un vote où le peuple souverain choisit le moins mauvais.
Au Togo, c’est le plus mauvais qui sort souvent des urnes, le principe sacro-saint de la démocratie a laissé la place à la confiscation du pouvoir par le biais de l’achat des consciences et des fraudes systématiques. Le business de la corruption marche dans tous les sens avec en toile de fond une race d’opposants qui peuvent s’accorder des revirements spectaculaires pour de petits pains, de quoi créer un flou qui brouille l’opinion et ouvre le boulevard à la présidence à vie. Ainsi, les vices prennent la place de la vertu, il devient tous les jours anormal d’être normal. Ceux qui restent encore lucides deviennent des ‘’outsiders’’. Les politiques ne sont pas moins méconnaissables que les intellectuels.
A quelques exceptions près, tout ce que le pays compte d’intellectuels, de références, tels que les professeurs d’université, les agrégés, les chercheurs et autres crème du haut lieu du savoir ont abdiqué devant le bâton et la carotte.
Un déficit qui sème le doute Il s’entretient la confusion dans la tête des rares qui continuent par résister au masque. L’hésitation avale aussi bien les peuples que leurs leaders. Il arrive aux leaders éclairés de se demander s’ils ne sont pas en erreur. Un sentiment d’incertitude grandit et fait le lit à un passage en force. Il se dessine le camp de ceux qui pensent que ça passe ou ça casse et celui de ceux qui croient en la nécessite d’entretenir la paix, valeur contractive entre deux forces en situation de crise. C’est dans ce schéma que se trouve le Togo sous Faure Gnassingbé ces derniers moments. Fort de ces balbutiements, ceux qui sont assez lucides pour forcer l’alternance, l’opposition dite radicale, sont traquées, intimidées et les marches réprimées par l’armée. Et quelle armée ? Une armée où d’en haut, les officiers sont entretenus par des postes juteux et des enveloppes de la corruption au goût du jour, pendant que d’en bas, les hommes de troupes et autres forces de l’ordre se déploient dans une misère sans nom qui les pousse à la mendicité dans l’exercice d’un métier pourtant noble : « dis quelque chose », « café », « tu ne fais rien ?» Pire, notre armée, une référence continentale, est beaucoup plus à plaindre quand elle va en mission internationale avec celles des autres pays. Aussi bien les civils que les militaires sont donc tenus par une minorité qui tient au masque.
Fort du mutisme de la grande muette corvéable à merci, dans la lutte politique, il ne reste qu’à tout faire pour obtenir la résignation du noyau dur. Mais aussi et surtout museler la presse, un contre-poids qui empêche de tourner en rond. Dans un tel contexte, la démocratie est confisquée et toutes les valeurs sociales sont atteintes : détentions arbitraires, corruption arrosée de l’impunité, justice aux ordres, opacité dans la gestion… etc. Ainsi s’installe à petites pierres, une véritable dictature, pardon une démocratie, de la présidence à vie avec un regard vissé sur le Togo de 2030. Actuellement, la machine est en marche ; si ça passe, le peuple vivra dans l’immobilisme, dans l’usure du pouvoir, si ça ne passe pas, il va, forcement, se créer des forces sociales et populaires incontrôlées qui vont s’exprimer par l'explosion de la violence.
Et pourtant, le peuple a assez souffert d’un naufrage socio-économique collectif pour que les errements politiques s’y ajoutent. Une chose est de comprendre une situation inconfortable, l’autre est de s’organiser pour s’en défaire. Les Togolais ont tous compris que des opposants sont achetés, que la presse est mise au pas, que même vers une certaine communauté internationale, des yeux doux sont faits pour entretenir un débat flou autour d’une alternance sous agenda d’une monarchie tolérée.
L’alternance démocratique cède sa place à la présidence à vie
Peu importe si cela accouche forcement de l’usure du pouvoir. L’usure du pouvoir, c’est avant tout la perte du contact avec la réalité, la perte de légitimité vis-à-vis des citoyens. Un pouvoir usé ne se rend plus à l’évidence d’un quelconque bilan catastrophique. La fuite en avant devient le maître-mot. De ces topographies ont accouché des rebellions avec pour objectif de briser le monopole du pouvoir d’un Clan. Fort de ces expériences, une race de dirigeants s’est résignée devant la pression de la rue, mais une autre croit encore au miracle.
A chaque fois que les lignes bougent ailleurs, les citoyens montrent leurs biceps, la Marina panique un peu et se dit que le temps va calmer les ardeurs. Ça n’arrive qu’aux autres. Quand la Tunisie était secouée, l’Egypte a dit que les réalités ne sont pas les mêmes, la Lybie a dit la même chose de l’Egypte et le Burkina de la Libye. Le Togo aussi tient à ses réalités bien différentes de celles du Burkina. La longévité au pouvoir, Faure Gnassingbé en fait un cheval de bataille. Il a déjà gagné la phase allée en remplaçant un père qui a joui de 38 ans d’un règne sans partage. Entre les engagements violés (APG), les changements unilatéraux des textes fondamentaux qui ne durent que le temps qu’ils répondent aux aspirations des plus forts et les discours ambigus de même que la fameuse mise en place d’une commission de réflexion sur les reformes, Faure a tracé son chemin, n’en déplaise à la démocratie. Le prince est désormais ivre de l’illusion d'un pouvoir politique héréditaire et les promesses d’une démocratie des apparences, des masques.