Chaque année, au moins 3 millions de filles sont victimes d’excision dans le monde. Divers facteurs culturels, religieux et sociaux sont à l’origine de cette pratique, reconnue au niveau international comme une violation des droits humains, et qui peut avoir de graves conséquences sur la santé des femmes.
A l’occasion de la Journée mondiale contre les mutilations génitales féminines du 6 février, la Fondation RAJA-Danièle Marcovici souhaite dénoncer ces pratiques dangereuses pour les femmes.
Focus sur la lutte contre l’excision et ses conséquences, avec le Docteur Ghada Hatem.
Le Docteur Ghada Hatem, gynécologue-obstétricienne à la maternité de l’Hôpital Delafontaine à Saint Denis (93), se bat pour ouvrir une « Maison des femmes », un lieu d’accueil et de soins, notamment pour les femmes victimes d’excision. La Fondation RAJA-Danièle Marcovici soutient la création de cette structure unique.
Togoportail : Combien de femmes excisées rencontrez-vous chaque année ?
Docteur Ghada Hatem : Sur les plus de 4 200 femmes qui accouchent ici chaque année, environ 15 % sont excisées. La plupart des femmes ont été excisées dans leur pays d’origine, d’autres en France, mais ce cas est devenu exceptionnel depuis que la loi le punit. D’autres encore l’ont été lors de vacances dans leur pays d’origine, par exemple chez leur grand-mère, qui ne comprenait pas que leur petite fille ne soit pas excisée.
Quel est la particularité de cet hôpital ?
L’hôpital Delafontaine est le seul du 93 à proposer la reconstruction chirurgicale du clitoris. D’ailleurs, la France est très avancée sur ce sujet : très peu de pays reconstruisent. En France, c’est une opération remboursée par la sécurité sociale.
Comment abordez-vous la question de l’excision avec vos patientes ?
C’est un sujet très délicat. Il y a les femmes excisées qui n’en parlent pas, et ne souhaitent pas en parler. Parfois, l’excision est le dernier de leurs soucis : elles ont d’autres problèmes de santé plus graves, n’ont pas de quoi manger…
Il y a celles qui viennent à cause des conséquences de l’excision sur leur santé : accouchements difficiles, problèmes dans leur sexualité, infections, brûlures, ou autres symptômes… Il est alors légitime de leur proposer quelque chose.
Une manière d’aborder le sujet, c’est de commencer par demander « Avez-vous été victime de violences ? ». C’est quelque chose que l’on fait systématiquement maintenant parce qu’on se rend compte que beaucoup de femmes qui n’en avaient pas l’air, que l’on côtoie tous les jours, sont battues. Et en abordant le sujet violences, on touche à l’excision.
Quels facteurs poussent les femmes excisées à faire le choix de la reconstruction chirurgicale ?
Il y a plusieurs raisons possible : la douleur, la sexualité, ou tout simplement une « demande identitaire ». Le choix de la reconstruction chez certaines femmes est leur premier acte autonome : elles n’ont pas choisi leur mari, n’ont pas choisi d’être excisées, et prennent là leur première décision de femme.
J’ai aussi rencontré des femmes qui faisaient ce choix avec le soutien de leur mari. Une de mes patientes, qui n’avait pas le courage de le faire, a même été poussée par son mari à faire cette démarche. Mais la plupart du temps, c’est leur décision, elles ne disent rien à leur mari et considèrent que ça les regarde, que c’est leur corps.
Avez-vous constaté des évolutions dans les pratiques de l’excision ?
Ce que j’ai pu comprendre, c’est qu’avant, l’excision était un rituel de passage très festif ; la douleur était occultée au profit de cette fête. Comme maintenant, la pratique est devenue honteuse, prohibée, tout cet accompagnement disparaît : on excise alors les jeunes filles de manière cachée et on leur demande de ne surtout pas en parler…
Parmi les autres évolutions de la pratique, il y a l’idée qu’on pourrait faire « une petite excision », pour maintenir le rite. On oublie qu’il n’y a pas de « petite excision » : on touche à l’intégrité du corps, on est toujours dans le non-respect du droit humain.
D’autres veulent « faire ça proprement lors d’une opération », comme en Egypte, pour enlever l’aspect douloureux et les mauvaises conditions sanitaires qui provoquent des infections. Or dans ces conditions on coupe beaucoup plus et cela entraîne des conséquences irréversibles et beaucoup plus graves…
Comment pensez-vous que les choses peuvent changer ?
J’ai rencontré une jeune malienne qui racontait qu’avant d’arriver en France, elle ne connaissait pas les méfaits de l’excision. Tant que les femmes sont dans l’ignorance, on ne peut pas leur en vouloir de faire ce qu’elles font depuis la nuit des temps… Il faut lever ce tabou et faire davantage de sensibilisation sur le terrain, et envoyer les filles à l’école : quand elles sont scolarisées, cette pratique cesse.
La deuxième chose, c’est qu’il faut travailler avec les hommes, qui ont vraiment un rôle à jouer dans cette lutte. Une jeune fille me disait récemment : «Tant que les maris ne refuseront pas d’épouser une fille excisée, tant qu’ils exigeront que la femme qu’ils vont épouser soit excisée, ça ne pourra pas changer». C’est une décision courageuse à prendre pour une mère que de ne pas exciser sa fille : c’est prendre le risque de ne pas la marier, c’est décider de rompre avec le clan.