Alors que sa candidature ne fait plus l’ombre d’un doute, le président togolais Faure Gnassingbé, face à une opposition estomaquée, tient à gagner la présidentielle d’avril prochain au risque de faire replonger son pays dans les affres des violences électorales.
Mais pourquoi les chefs d’Etat africains s’obstinent-t-ils autant à perdurer au pouvoir ? Cette question qui taraude l’esprit des analystes politiques se justifie encore aujourd’hui en Afrique noire. 2015-2016 sont des années d’élections (une quarantaine) dans plusieurs pays du continent. Autant de points chauds qui inquiètent la communauté internationale si tant est qu’elle se soucie de l’intérêt des peuples.
Parmi ces ‘’zones à risques’’, le Togo, petit pays de l’Afrique de l’ouest réputé pour ses violences électorales, occupe malheureusement une place de choix. Depuis plusieurs mois, le président Faure Gnassingbé et son opposition dite ‘’radicale’’ se déchirent sur l’épineuse question des réformes censées garantir la transparence de la prochaine présidentielle. Pouvoir et opposants se renvoient la balle sur fond de duperie, de faux-fuyant et de fourberie.
Mais, le nœud du problème semble ailleurs car, sous ses airs de timide, Faure Gnassingbé cache bien son jeu : il ne veut pas, ou ne peut pas, partir en 2015. Les raisons.
Question d’ego. La discussion a lieu dans un luxueux hôtel de la capitale burkinabé, Ouagadougou courant 2014. Faure Gnassingbé lors d’une de ses nombreuses visites à l’ex-président du Faso, Blaise Compaoré, se confie à une source qui a requis l’anonymat : «Beaucoup pensent que je suis incapable, que je ne peux rien sans les autres.
Et bien, je vais leur prouver le contraire en gagnant une élection par moi-même ». Parfaite illustration de l’amer sentiment d’infériorité qui a toujours rongé cet introverti que le sort, par l’entremise de quelques officiers supérieurs des Forces armées togolaises (Fat) avec le soutien de la France de Jacques Chirac, a propulsé au sommet de l’Etat togolais en 2005.
Et, il faut bien le reconnaître, il se débrouille pas mal jusqu’à présent. Comme dans les tragédies grecques, tout commence le 5 février 2005 par la mort brutale dans le ciel tunisien d’Eyadéma Gnassingbé alors doyen des chefs d’Etat africains. Deux de ses fils, Kpatcha et Faure, ont suivi de bout en bout le dernier voyage du « grand baobab de Pya ». Mais, même désigné président, Faure s’est retrouvé écrasé sous le poids de Kpatcha, au sens propre comme au figuré, aux lendemains de cette terrible nouvelle. Présent dans tous les coups fumants : la nuit du 5 février, Kpatcha est aux côtés de son frère lors de la rocambolesque cérémonie d’allégeance des Fat.
Il n’a pas hésité à mobiliser tous les moyens afin de permettre aux députés de se retrouver en session extraordinaire, illico presto, pour légitimer cette forfaiture. Dans un mélodrame à la togolaise orchestré de main de maître par Charles Debbasch, Faure Gnassingbé alors ministre de l’Equipement redevient député, président de l’Assemblée nationale avant de revêtir le manteau de président de la République. Il faut le faire!
Plusieurs sources rapportent que pour maintenir Faure à la tête du pays, Kpatcha Gnassingbé a commandité le massacre de 2005 exécutés par des officiers supérieurs dont l’actuel chef d’Etat-major des Fat, le général Félix Katanga, alors chef du régiment des Forces d’intervention rapide (Fir). Bilan : entre 400 et 1000 morts.
«Le gros» ou encore le « vice-président » (comme il est surnommé) revient à la charge lors des législatives de 2007. L’achat massif de consciences dans le nord par le richissime ministre de la Défense a permis au régime d’avoir une confortable majorité de 50 sièges sur 81 à l’Assemblée nationale.
Un autre « gros » s’est fortement impliqué dans l’ascension de Faure Gnassingbé : Pascal Bodjona. Fidèle invétéré d’Eyadéma Gnassingbé, il s’est bien évidemment rangé du côté de son fils dont il était ami de longue date. En 2003, alors ambassadeur du Togo aux USA, il a fait campagne pour la réélection de Faure Gnassingbé comme député de Blitta (centre du Togo).
Durant les études de ce dernier à l’université George Washington, M. Bodjona s’est érigé en « protecteur », prédisant certainement un destin national à cet étudiant accroc aux nouvelles technologies et aux plaisirs de la vie. Après l’accession mouvementée de son « ami » à la magistrature suprême en 2005, Pascal Bodjona s’est évertué à faire du service après-vente.
Débatteur hors pair, il est sur tous les fronts, défendant mordicus le jeune président auprès des partenaires et autres chefs d’Etat africain au grand dam de l’opposition.
Et, c’est cette même opposition qui lui donnera son heure de gloire. Quelques semaines avant la présidentielle de 2010, Faure Gnassingbé signe un accord politique avec Gilchrist Olympio, leader de l’Union des forces de changement (Ufc) principal part d’opposition d’alors. Ce coup d’éclat qui porte entre autres, la griffe de Pascal Bodjona assure au jeune président, sa réélection. En 2013, M. Bodjona assure encore la majorité au régime à l’assemblée nationale avec un découpage électoral biaisé, selon l’opposition. Bref, le puissant ministre de l’Administration territoriale, ancien directeur de cabinet de la présidence, avait le vent en poupe au point de déranger.
Et, Faure Gnassingbé n’a pas tardé à se révéler fin stratège. Il veut prendre, conserver et stabiliser son pouvoir.
Il lui faut donc se débarrasser de ses encombrants proches. Une fois les rênes du pouvoir bien en main, le jeune président montre les crocs et commence « le nettoyage des écuries d’Augias ». Les fameux faiseurs de roi n’ont pas tardé à se faire littéralement manger par l’ «inoffensif », l’ « incapable », le « timide » Faure Gnassingbé. « Si tu savais changer ton caractère, quand changent les circonstances, ta fortune ne changerait point », conseille Nicolas Machiavel dans Le Prince.
Débarqué du gouvernement, le député Kpatcha Gnassingbé est arrêté en avril 2009 devant l’ambassade des USA à Lomé après avoir échappé à une tentative d’assassinat de militaires de la Fir à son domicile à Kégué. Il est rapidement accusé de « complot et tentative d’attentat contre la sûreté de l’État » et écopera de 20 ans de prison à la suite d’un procès houleux. En réalité, son demi-frère n’en pouvait plus de son omniprésence dans l’appareil étatique et surtout ses ambitions politiques supposées.
Quant à Pascal Bodjona, il croupit à la prison civile de Tsévié (35 km de Lomé) dans l’attente de son procès dans une affaire d’escroquerie internationale d’une valeur de 36,5 millions d’euros. En outre, plusieurs mutations à la tête des Fat ont fini par faire rentrer dans les rangs les derniers récalcitrants et, Faure Gnassingbé apparaît aujourd’hui comme le seul véritable maître à bord.
Question de la CPI. En multipliant les tours de passe-passe, Faure Gnassingbé est arrivé, contre toute attente, à faire oublier son illégitimité de 2005. Il est fortement aidé par une opposition rabougrie constamment en lutte contre elle-même et qui a longtemps sous-estimé l’intelligence politique du successeur d’Eyadéma. Mais, le jeune président n’arrive pas à faire oublier les crimes de sang et les crimes économiques qui collent à la peau de son régime. Pis encore, il ne semble rien faire pour juger les présumés coupables qui continuent par se pavaner au su et au vu des victimes et des familles endeuillées. Selon des sources concordantes, un ‘’dossier Togo’’ est pendant auprès de la Cour pénale internationale (Cpi) après les massacres de 2005.
Une liste de plusieurs proches du pouvoir pressentis auteurs ou commanditaires, annexée au rapport de l’Organisation des nations unies (Onu) serait même envoyée à Faure Gnassingbé. Toujours pas de réactions ! En outre, les recommandations de la Commission vérité justice et réconciliation (Cvjr) dirigée par Mgr Nicodème Barrigah sont restées lettres mortes. « La situation du Togo est d’une étrangeté remarquable. Tous les éléments sont en place pour apaiser les cœurs et conduire à une réconciliation parfaite. Mais, quand on semble se rapprocher de la solution, on se rend compte qu’elle s’éloigne encore plus », regrette un universitaire togolais. Pour ses détracteurs, Faure Gnassingbé est le premier responsable de ce statu quo et de la promotion de l’impunité au Togo.
«Il est évident qu’il [le président togolais] ne veut manifestement pas traduire en justice les coupables. Soit il a peur de la réaction de ses proches, soit il en tire bénéfices », analyse Brigitte Améganvi, vice-présidente de l’association Synergie-Togo.
En bon animal politique, Faure Gnassingbé, selon un ancien ministre togolais, a réponse à une partie du dilemme judiciaire. « Je n’ai rien à voir avec les massacres d’avril 2005, se justifie-t-il en privé. Je n’étais que simple candidat et nul ne peut apporter la preuve que j’étais impliqué de près ou de loin dans ces événements malheureux. La responsabilité incombe plus à ceux qui était au pouvoir en ce temps ». Ainsi, le président togolais a son coupable en secret : El-Hadj Abbas Bonfoh, chef d’Etat par intérim du 25 février au 4 mai 2005, au moment des massacres. Une autre manière de se débarrasser d’un autre faiseur de roi.
Mais, que dire des accusations de torture portées contre des membres de l’Agence nationale des renseignements (Anr) dont son ancien chef, le Lieutenant-colonel Alex Yotrofei Massina, durant le procès de Kpatcha Gnassingbé en 2011? Des actes confirmés par une enquête de la Commission nationale des droits de l’homme (Cndh). Malheureusement, son rapport paru le 20 février 2012 a été édulcoré par le gouvernement, dix jours plus tôt et a valu l’exil à son président, Koffi Kounté, en France. « Lorsque vous avez résisté, plusieurs jours, aux pressions de certains conseillers du président et que vous avez pris une décision mettant en cause de hautes personnalités [officiers des services de renseignements et de la gendarmerie], il semble prudent de se mettre à l’abri. », avouera l’intéressé aux confrères de Jeune Afrique.
«J’ai essayé d’expliquer à mes interlocuteurs qu’accepter ce rapport et prendre des sanctions exemplaires serait la preuve que le gouvernement s’inscrit dans une logique de lutte contre l’impunité - en vain. », conclut amer, le juriste. Faure Gnassingbé semble également démuni face aux accusations de crimes économiques. En effet, depuis près de 10 ans, plusieurs sociétés d’Etat sont en très mauvaises postures financières et leurs premiers responsables sont soupçonnés de détournements. Office togolais des phosphates (Otp), Société togolaise du coton (Sotoco), Fonds d’entretien routier (Fer), Togo Telecom… et les banques publiques de ce petit pays sont en situation de quasi faillite. Mais, leurs directeurs ne sont jusqu’ici pas inquiétés.
Pis encore, dans un rapport publié en 2013 sur les flux financiers illicites, l’Ong américaine Global Financial Integrity (GFI) pointe des dysfonctionnements dans l’économie togolais. La sortie de fonds illicites est passée de 10,08% (2002-2004) à 1 860% (2005-2008) et les flux de 251 millions de dollars US à 952 millions de dollars. Une augmentation de 279% en une année. Il n’en fallait pas plus pour faire sortir Jean-Pierre Fabre, leader de l’Alliance nationale pour le changement (Anc, principal parti d’opposition) de ses gongs. « Il est clair maintenant que Faure Gnassingbé est celui qui a détourné plus de 8000 milliards de FCFA [plus de 12 milliards d’euros] en 6 ans », accuse-t-il avec véhémence.
Un autre rapport de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie) a constaté un écart global d’un montant de 1.705.251.288 FCFA (plus de 1,5 millions d’euros) non ajusté au titre de l’exercice 2010 entre les flux de paiements des sociétés extractives et les revenus de l’Etat. Soit 5.7% du total des recettes déclarées par le gouvernement pour cette année. Même en usant de ruse, il faudra bien, un jour, trouver les responsables de la disparition de ces sommes faramineuses dans un pays dont près de 70% de la population vit sous le seuil de pauvreté.
Et c’est bien là toute la hantise de Faure Gnassingbé soupçonné lui-aussi d’avoir un beau magot dans plusieurs banques occidentales. « Aujourd’hui, il arrive à empêcher que les scandales éclatent en rendant difficile l’acquisition de preuves mais, qu’adviendra-t-il une fois qu’il aura quitté le pouvoir », s’interroge l’universitaire cité plus haut. Bref, entre l’ego, le magot et la crainte pour sa vie après la présidence, Faure Gnassingbé s’estime trop jeune pour prendre sa retraite.
Du moins volontairement. D’autant plus que son opposition qui n’a de mérite que son existence ne lui donne aucune garantie. C’est donc sa vie que le chef de l’Etat togolais joue à chaque scrutin présidentiel. Et, il semble décidé à miser autant que possible pour repousser la date fatidique de son départ. Ce n’est sûrement pas la récente fuite de Blaise Compaoré du Burkina Faso et ses difficultés à trouver un pays d’accueil qui vont le rassurer.