Edem ASSIGNON, afrikaexpress Paris le 04/02/2015 En Europe pour un plaidoyer autour des questions d’alternance et de paix dans la région des Grands lacs, Mgr Fridolin Ambongo, président de la Commission justice et paix de la République démocratique du Congo (RDC), a reçu Afrikaexpress le mardi 3 février, à Paris, en marge de la conférence-débat organisée par Le Secours catholique et Caritas France. Les nouvelles donnes sociopolitiques et économiques en Afrique, les velléités de tripatouillages constitutionnelles et leurs conséquences, le rôle de l’Eglise… Afrikaexpress donne la parole à un prêtre qui n’a pas sa langue dans sa poche.
Mgr Ambongo, pourquoi convaincre, aujourd’hui, les présidents africains d’accepter la limitation de mandat ?
Ce qui est fondamental et que je considère comme une révolution est le basculement et le changement de position du peuple, de nos jours. Beaucoup ont toujours vu les peuples africains surtout ceux du centre comme des passifs. Mais, nous assistons à un changement dont beaucoup de dirigeants politiques n’ont pas encore pris la mesure. Ils s’imaginent être toujours en face des mêmes peuples manipulables à dessein, qui acclament à coup de cadeaux et de corruption. Ce temps est révolu car, les mentalités ont évolué. Cela s’est vérifié d’abord au Burkina Faso [fin octobre 2014, avec la chute du régime de Blaise Compaoré, NDLR]. Il y a dix jours, nous en avons fait l’expérience en RDC avec les soulèvements populaires à Kinshasa, Goma, Bukavu etc. et, nous voyons déjà pointé pareille situation au Congo Brazzaville. Les peuples ont surmonté la peur et commencent à s’approprier leur destin. Ils savent maintenant où se trouvent leurs intérêts et ils osent les défendre. Et, nous n’en sommes qu’au début.
Vous pensez que d’autres pays risquent de connaître des soulèvements populaires ?
Tout à fait! La prise de conscience, ce basculement pour ne pas dire, cette révolution s’étendra inéluctablement vers des pays comme le Togo, le Cameroun, le Tchad, le Zimbabwe… J’en suis sûr et certain au point d’affirmer aujourd’hui que les jours sont comptés pour tous les dictateurs au pouvoir en Afrique. Mais, ces dictateurs roulent pour des multinationales qui les soutiennent en retour… Notre mission de plaidoyer a justement deux objectifs. Politique, avec le processus de démocratisation en Afrique. Economique, avec la demande formulée auprès de l’Union Européenne pour qu’elle adopte une loi sur le modèle Dodd Franck Act [loi américaine de régulation des secteurs bancaire et financière] pour la traçabilité et la transparence dans l’exploitation des ressources naturelles en Afrique. Nous sommes convaincus qu’une exploitation ténébreuse et mafieuse de nos ressources s’alimente de la dictature et du clientélisme. L’ordre dans le domaine politique avec l’avènement de la démocratie va de pair avec l’absolue exigence de la transparence dans l’exploitation des ressources. Si ces deux caps sont tenus, l’Afrique connaîtra des lendemains meilleurs.
Quel doit ou peut être le rôle de l’Eglise dans ce processus ?
L’Eglise accompagne les peuples dans leurs efforts vers plus d’humanité et de dignité. L’homme est créé digne mais quand nous voyons vivre nos peuples aujourd’hui, on se demande s’ils sont des créatures à l’image de Dieu. Où est leur dignité ? L’Eglise se positionne donc en veilleur et réveilleur des peuples. Elle est la sentinelle de la cité et reste éveillée pour sonner l’alarme quand un danger pointe et menace la sérénité des habitants. L’Eglise en RDC forme et informe le peuple à travers le programme d’éducation civique et électoral. Et, l’éveil auquel nous assistons aujourd’hui est le fruit de tous ses efforts.
Et, bien évidemment ce rôle prophétique nous attire des ennuis. D’un côté, l’Eglise accompagne, informe et forme mais de l’autre, il y a des prélats réticents, hypocrites voire même complices des dictatures… Il a été de tradition chez moi en RDC que l’Eglise prenne position, même s’il y a, en interne, des débats contradictoires entre nous. D’autres hommes de Dieu sur le continent n’ont pas un discours clair face aux agissements des dirigeants. C’est peut-être lié à l’histoire de leurs pays mais, nous espérons voir les choses évoluer à leur niveau.
Quelle est votre perception de la situation en RDC ?
Le Congo est dans une tourmente. Nous avons vécu, il y a dix jours, une révolution autour du projet de loi électorale. Le pouvoir en place est dans la logique de s’éterniser à la tête du pays. Et, il avait deux cartes : celle de la modification constitutionnelle qui n’a pas marché et celle de la prolongation. Il l’a récemment grillée en voulant conditionner la tenue de la présidentielle de 2016 à l’organisation d’un recensement général. Or, dans un pays aussi démuni en infrastructures, comme la RDC, ce processus peut prendre entre 5 et 6 ans. Et mal lui a pris. Maintenant, nous nous demandons quel autre tour le régime prépare. C’est la raison de notre inquiétude. Par conséquent, nous demandons au peuple de rester vigilant car, ce pouvoir est capable de mettre le feu à la maison.
L’avènement du Pape François favorise-t-il l’émergence d’une nouvelle génération de prélats en Afrique? Je ne parlerai pas, pour ma part, de nouvelle génération. Mais, il y a une insistance et un message très clair du Pape François à revenir à la mission d’élévation de l’être humain. Le Pape prend clairement position pour le petit, le pauvre, le délaissé parce que ce sont eux qui ont perdu leur dignité dans nos sociétés aujourd’hui.
Or, la majorité des populations africaines sont dans une situation tellement misérable que l’Eglise en tant que mère est obligée de les soutenir dans leur quête de dignité et de respectabilité. Naturellement, cette prise de position a une incidence sur notre ministère car, nous ne pouvons rester insensibles à ce discours contre tout ce qui freine la promotion de l’Homme dans sa dignité. Mgr Ambongo, sans indiscrétion, êtes-vous un homme politique ? Tout dépend de ce que vous entendez par ‘’homme politique’’.
Si le politique est celui qui va au bureau tous les jours, le ministre, le député, le président etc., non, je ne le suis pas. En revanche, si par homme politique vous entendez celui qui a la passion de son peuple, qui s’implique dans le bonheur de ses concitoyens et ose prendre la parole quand leurs intérêts sont menacés, alors, je m’y retrouve naturellement. L’être humain a trois dimensions: politique, économique et socioculturelle. On ne peut pas prétendre le servir dans sa globalité sans prendre en compte tous ces aspects. L’Eglise est dans le socioculturel à travers la construction d’écoles, de centres de santé…
Elle est aussi dans l’économie avec la Caritas qui, en collaboration avec le gouvernement, paie notamment des enseignants. Il n’y a jamais eu de critiques par rapport à toutes ces actions. Mais, quand il s’agit de politique, certains sont offusqués par nos prises de positions. L’Eglise ne fait pas de la politique politicienne, misérable et dépourvue de tout intérêt général. Elle participe juste à l’accomplissement de la troisième dimension de l’être humain en lui éclairant la voie et en guidant ses pas.