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Les intellectuels africains aux commandes de l’Etat : le cas du Togo
Publié le dimanche 15 fevrier 2015  |  Letogolais


© aLome.com par Lakente Bankhead
Kako Nubukpo, ministre auprès de la présidence de la République, chargé de la Prospective et de l`Evaluation des politiques publiques


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Par CHRISTOPHE COURTIN

Le président togolais après plusieurs demandes infructueuses a finalement été reçu à l’Elysée le 15 novembre. Son gouvernement a été remanié après les élections législatives de juillet dernier. Des élections qui tendent à devenir un modèle africain des processus électoraux : victoire écrasante du parti au pouvoir, dénonciation des fraudes par l’opposition, moyens de l’Etat pour les candidats du parti. En l’espèce pas de violences, ce qui est en passe de devenir le critère d’acceptation des élections sur le continent par les chancelleries et les bailleurs : au moins ils ne se battent pas entre eux.

Au Togo, le régime assure la stabilité du port en eau profonde de ce petit pays, terre de tous les négoces, y compris mafieux, qui gère un corridor sahélien. Le pays participe à la force africaine au Mali et n’entre pas dans les préoccupations immédiates géostratégiques des grandes puissances qui ont du mal à cicatriser le dossier ivoirien, qui observent, inquiètes, l’état d’implosion permanent du Nigéria et qui sont au bord du gouffre au Sahel.



Deux quadras, intellectuels universitaires de bonne pointure, entrent pour la première fois au gouvernement. Ce n’est pas la première fois que des universitaires participent aux affaires publiques mais ce qui est nouveau c’est que ces deux personnes : Robert Dussey aux affaires étrangères, docteur en philosophie et Kako Nubukpo à la prospective économique, docteur en économie, ont chacun publié récemment un ouvrage qui dénonce avec vigueur et conviction les maux dont souffrent les gouvernements africains. Les titres sont évocateurs : « l’Afrique malade de ses hommes politiques[1] » pour le premier et « l’improvisation économique en Afrique de l’Ouest[2] » pour le second.

Ce ne sont pas des inconnus.

Robert Dussey a collaboré avec la communauté catholique de San Egidio de Rome, spécialisée dans la diplomatie secrète et qui a obtenu ainsi de beaux résultats dont la fin de la guerre au Mozambique. Il a été la cheville ouvrière en 2010 du ralliement politique de Gilchrist Olympio à Faure Gnassimbé qui avait succédé à son père Gnassimbé Eyadéma en 2005 après une élection marquée par de graves violences politiques et plusieurs centaines de morts. En 2010, en pleine campagne électorale présidentielle, le résultat n’était pas mince : Gilchrist était l’opposant historique à Gnassimbé Eyadema et il est le fils de Sylvanus Olympio premier président du Togo assassiné lors du premier coup d’Etat en Afrique en 1963 par des militaires de l’entourage d’Eyadema père. Les deux fils se réconciliaient sur la tombe de leurs pères. Biblique.


Les dernières élections législatives ont cependant montré que ce ralliement individuel n’a pas été suivi par les électeurs de Gilchrist Olympio qui sont restés dans leur très grande majorité dans l’opposition au régime. Robert Dussey a été décoré en 2012 de la légion d’honneur par l’ambassadeur de France à Lomé à la demande du cabinet de Nicolas Sarkozy.


Ses réseaux en France sont plutôt à droite et les dirigeants de la communauté de San Egidio dont il est proche participent aux gouvernements italiens de centre droit. Le constat qu’il fait sur la réalité africaine est dur : « un certain nombre d’Etas africains ont continué à s’appuyer sur un régime politique centralisé et personnel, basé sur une gestion patrimoniale des biens publics et qui consiste à les confondre trop souvent avec des biens de famille [3] ». Il ne précise pas s’il parle de son pays. En s’appuyant sur les travaux de Jean François Bayart ou les écrits d’Axel Kabou [4] qui ont suscité la polémique, il montre qu’après les chocs civilisationnels qu’ont été la traite saharienne, la traire atlantique, la colonisation, les indépendances octroyées et les plans d’ajustement structurels, les élites africaines, fonctionnent hors sol en décalage complet avec leurs peuples.

Kako Nubukpo a été cadre supérieur à la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest et à L’UEMOA. Il est spécialiste de la filière coton et il n’hésite pas à critiquer l’orthodoxie néolibérale de la banque mondiale ou de l’AFD. Ses arguments contre l’arrimage du franc CFA au trésor public français portent. Il a une vraie réputation auprès des universitaires africanistes français comme Jean François Bayart. Avant sa nomination au gouvernement il était directeur du bureau togolais du principal think tank international africain : l’African Capacity Building Foundation.


Ses réseaux universitaires autour de Sciences Po Paris l’amènent à fréquenter plutôt les réseaux de la gauche libérale. Il a l’oreille des conseillers Afrique de l’Elysée. L’analyse qu’il porte sur la gestion des économies africaine est sans appel : « De fait le discours sur la bonne gouvernance économique ne serait qu’un ingrédient de plus dans le programme d’optimisation de dirigeants assoiffés de pouvoir et capables de tous les raffinements pour se draper du manteau de bons élèves de l’orthodoxie économique internationale[5] ».


Là non plus il ne précise pas de quels pays il parle. Il démontre avec force que dans le contexte plein d’incertitudes de l’extraversion des économies ouest africaines et de leur insertion primaire dans la mondialisation, les dirigeants africains n’ont d’autre choix rationnel que de ne rien faire. Les injonctions contradictoires des institutions de Bretton Wood et onusiennes entre la lutte contre la pauvreté et le respect des équilibres macro économiques les amènent à ne rien gérer et à adapter leurs discours aux contraintes externes : populistes en public, orthodoxes libéraux en privé. Selon Nubukpo, la parité du franc CFA avec l’euro empêche tout développement économique endogène et ne protège que les revenus des fonctionnaires internationaux et les échanges commerciaux au bénéfice des quelques élites urbaines qui voyagent. Ceux qui profitent de cette parité sont ceux qui la gèrent : ils n’ont pas intérêt à changer le dispositif.

L’un va-t-il apporter un remède togolais au malade et l’autre pourra-t-il mettre un peu de prospective et de cohérence dans la gestion de l’économie du Togo alors que les contraintes de la réalité politique de cet Etat dépassent largement leur volontarisme ?

Pour détourner un avion, il faut monter dedans répondront ils. Certes, mais dans ce cas précis c’est le commandant qui les a invité à monter à bord. La vraie question à poser est celle de la nature de ce régime, régulièrement indexé pour sa mauvaise gouvernance et ses atteintes aux droits de l’homme mais qui a la capacité d’attirer à lui ces intellectuels.

Les observateurs bienveillants et ceux qui ont intérêt à y croire liront dans ces nominations une volonté du président de faire monter aux affaires, par petites touches, une nouvelle génération politique plus compétente et d’écarter peu à peu les caciques sécuritaires de son père qui l’ont porté au pouvoir en 2005. D’autres verront simplement dans ces nominations l’arrivée aux affaires d’une nouvelle lignée politique plus habile qui sait ruser avec les contraintes internationales pour maintenir au pouvoir la famille Gnassingbé avec son appareil militaire, sa mainmise sur les prébendes étatiques et le contrôle des négoces du port de Lomé.

Malgré son discours hétérodoxe, Kako Nubukpo rassurera les institutions financières, il est de la famille et parle le même langage. Avec son entregent et ses réseaux Robert Dussey améliorera l’image du régime. Faisons leur crédit de leur bonne foi, et posons comme hypothèse qu’ils n’ont pas été simplement achetés, mais ne représentent ils pas ce que Kako Nubukpo dénonce à savoir qu’ils ne sont là que pour aider le régime à « se draper du manteau de bon élève » ? A, finalement, mieux ajuster l’uniforme du commandant de bord et y ajouter de nouveaux galons.


[1] R.Dussey, l’Afrique malade de ses hommes politiques, Paris Jean Picollec Editeur, 2008
[2] K.Nubukpo, L’improvisation économique en Afrique de l’Ouest : du coton au franc CFA, Paris, Karthala 2011.
[3] Ibid. p.139
[4] A. Kabou, Et si l’Afrique refusait le développement ? Paris, Karthala 1991.
[5] Ibid. p.118


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