Il est certes vrai que l’exercice de certains métiers secrète une forme insoutenable de passion qui, si l’on n’y prend garde, amène l’homme à confondre ce métier à son être et à sa vie.
Autrement dit, il arrive que l’on devienne presque prisonnier du métier qu’il exerce du fait de la passion saine qu’il lui procure et de la dépendance quasi irrésistible qui y surgit et se transforme souvent en une véritable conflagration qui embrase à la fois, le corps, l’âme et l’esprit de celui qui l’exerce.
Les grands leaders qui ont réussi leur vie et réalisé des merveilles dans ce monde, indiquent d’ailleurs que cette passion dans l’exercice de tout métier est plus qu’indispensable si l’on veut réellement y tracer son sillon et aller vraiment loin.
Car c’est justement cette passion définie par moment comme une sorte d’Amour, qui permet à l’homme de secréter quotidiennement et indéfiniment de l’énergie indispensable à l’exercice aisé ou même naturel de ce métier.
Elle permet précisément à l’homme de rassembler sans calcul et avec désintéressement, l’ensemble de ses facultés jusqu’aux cellules pour ce métier qui, finalement, constitue sa principale et indiscutable raison d’être.
C’est dans ce sens que le philosophe chinois Confisius disait avec éloquence ceci : Choisis le métier que tu aimes et jamais tu n’auras à travailler un seul jour de ta vie.
En clair, la passion ou l’amour d’un métier émousse le raisonnement, les calculs, les retenues dans l’exercice de ce métier, et développe en revanche une forme imprescriptible de foi et de conviction qui dépasse largement la dimension de l’intellect pour embrasser l’immense océan du cœur et des émotions.
Il suffit de voyager un peu dans la vie et le parcours de ceux qui ont réellement percé dans leur vie, de tous ceux ont fait les grandes inventions et les nobles réalisations de ce monde pour se rendre compte de l’évidence de ce que nous relevons ici.
Mais justement, il y a un danger autour de ce phénomène de la passion ou de l’amour lorsqu’on est en face d’une charge : ne jamais oublier le but que l’on poursuit en déversant sans calcul son énergie et l’ensemble de ses facultés dans l’exercice de cette charge.
C’est naturellement ici que le débat s’ouvre grandement dans le cas précis de notre cher Prince bien-aimé. On peut concéder le fait qu’à l’épreuve de l’exercice de ses fonctions de Chef d’Etat, le fils héritier ait pu développer une sorte de passion pour cette fonction. Mais justement pour quel but ? A cette étape épargnons-le de tout jugement de valeur et tout a priori.
Supposons-là que c’est dans le but d’entretenir un meilleur devenir du Togolais.
Soutenons alors que, particulièrement mu par un sens aigu du patriotisme et du devenir de ce peuple, Faure Gnassingbé a pu s’oublier dans l’exercice de ses charges de Président du Togo au point de vouloir confondre cette fonction à sa vie et d’en faire son unique raison d’être.
Mais là aussi, malheureusement le débat reste encore entier. A-t-il le droit de s’y oublier ou de confondre sa vie à la fonction de Président sans avoir eu la caution ferme du peuple qui est supposé l’y avoir mis ?
Cette question est d’autant plus pertinente qu’elle soulève le caractère d’emprunt de la fonction d’un Président de la République.
N’est Président de la République que celui qu’un peuple choisit librement et lui confère, pour un temps ou une période donnée, les pouvoirs de gérer sa destinée.
Prise comme telle, la fonction d’un Président de la République est une fonction d’emprunt que tout esprit lucide ne saurait confondre à sa propre vie comme si elle constituait un métier de main.
Non. La Présidence de la République est une fonction qui est par essence temporaire du fait que son exercice est consubstantiellement concédé par un peuple sur une durée bien déterminée.
C’est d’ailleurs ici que la notion de « mandat » retrouve tout son sens.
Vous êtes mandaté pour une période précise par un peuple et si ce peuple le souhaite il vous renouvèle ce mandat de plus….Voilà le principe sacrosaint duquel il ne faut jamais dévier.
Qu’un Président trouve nécessaire et indispensable de secréter de la passion ou même de l’amour pour exercer décemment cette fonction durant ce mandat est un fait, mais qu’il s’y oublie au point d’en faire vaille que vaille un métier dont il a du mal à se défaire, est sans doute un péché ou pire, un crime qui tue l’essence même et la raison d’être de cette fonction.
Au-delà même du droit, un Président de la République a-t-il les moyens légaux et orthodoxes de s’oublier pour longtemps à ce poste au point de se croire naïvement capable de régenter indéfiniment toute une République sans coup férir ?
Manifestement non, puisque le pouvoir de décision de son maintien à ce poste ne lui incombe guère. Il incombe plutôt au peuple souverain.
Pourquoi alors le Prince peut-il se permettre un tel forcing pour aller contre la volonté manifestée par le peuple de voir les mandats limités, de promouvoir l’alternance pacifique, de faire les réformes...pour assoir les socles d’une démocratie affranchie et décemment assumée au Togo ?
Sans aucun doute par intérêt personnel. Ce qui constitue là aussi, un autre crime quasi imprescriptible.
Puisqu’elle n’appartient à aucun n’individu ou encore moins à aucune famille donnée, la fonction du Président de la République n’a naturellement rien à voir avec les calculs personnels, les privilèges personnels, la gloire personnelle.
Tous ceux qui s’y oublient et s’en contentent pour motiver leur accrochement au pouvoir pèchent évidemment par légèreté. Ici, il faut entendre par « légèreté » tout ce qui est lié à la chair et aux penchants physiques ou matériels, bien loin de l’esprit qui, lui, aspire à la noblesse, à la dignité, aux vertus etc.
Voilà pourquoi le Prince éprouve autant de mal à se frayer un passage libre pour son maintien aisé au pouvoir.
L’ébullition sociale que l’on note depuis un certain temps à tous les niveaux de l’échiquier national, participe justement de cette cause.
Il y a une déchirure béante entre le Prince et son peuple. Du fait même qu’il a littéralement dévié des principes républicains qu’il a l’ultime mission de défendre dans l’intérêt bien compris du peuple, la crise de confiance entre lui et les togolais est devenue plus qu’aigüe en ce moment. Il est d’ailleurs fort à parier qu’elle ira crescendo dans les jours et semaines qui suivent.
Il est clairement établi qu’en toute chose que l’on initie ou active, seul le but compte. Ici, le but du fils-héritier en s’agrippant tant au fauteuil présidentiel est très loin des intérêts du peuple. Ce peuple l’a naturellement bien compris et est en train justement de le lui faire savoir à travers sa grogne et toute la véhémence qu’il manifeste à l’égard de son pouvoir.
Lui et sa famille politique ont alors beau forcer à tous les niveaux, ils ont beau charcuter les lois et principes de la nature pour se maintenir dans ce piédestal qui appartient au peuple, son exercice continuera toujours de prendre un goût de plus en plus amer jusqu’au jour où, de gré ou de force, ils seront obligés, par la conjugaison des circonstances, de le lâcher honteusement comme ce fut le cas pour Fo Blaise et bien d’autres despotes que le monde a déjà connus.
La confusion…cette grave et intolérable confusion entre une passion naturelle et noble liée à l’exercice sain d’un métier et celle qui flatte l’égo et les penchants de la chair liée au matériel, à la gloire et aux privilèges éphémères, cette confusion disais-je, n’a jamais pardonné.
Du fait même que cette dernière éteint les fonctions de l’âme et de l’esprit, elle conduit inéluctablement au précipice et au mal au sens plein du terme. Qui s’y aventure paye d’emblée le prix, un jour ou l’autre sans ménagement ni concession de la nature.