Togo - Qu’on les appelle église, ministère, camp de prières, chapelle etc. elles foisonnent à profusion. Dans toutes les régions, à chaque coin de rue, que ce soit dans de véritables lieux de culte ou dans des bâtiments improvisés, les églises chrétiennes dites « évangéliques » s’implantent et prospèrent, attirant chaque jour des fidèles dont le nombre va sans cesse crescendo.
Le phénomène est mondial et plus accru sur le continent, où le spirituel a toujours occupé une place de choix. D’où vient cet engouement pour la « parole divine » et cette fascination pour cette nouvelle forme d’expression de la foi ? Qui sont ceux qui tiennent ces maisons de Dieu et ceux qui y viennent prier ? Sont-elles toutes fréquentables ? Enquête exclusive !
Vakpossito. Banlieue ouest située à une dizaine de kms du centre ville de Lomé. Dans une ruelle mal famée difficilement accessible, une vingtaine de personnes sortent d’un bâtiment en claies, où trône une estrade avec micro en face de laquelle sont alignés plusieurs chaises-bancs. Nous sommes en début de week-end et le culte de fin d’après-midi vient de se terminer. Guillaume K, cadre commercial dans la zone portuaire n’aurait pas raté cela pour rien au monde. « Je viens remercier le Seigneur pour toutes ses grâces de la semaine. En attendant, le grand culte de dimanche. C’est le minimum que nous pourrions faire pour tout les bienfaits que Dieu nous procure » explique-t-il, sérieux.
Même état d’esprit chez tous les autres fidèles qui ont accepté échanger. Leur pasteur, la quarantaine bien trempée se félicite quant à lui de ce que le « troupeau du Seigneur » s’agrandisse et se dit heureux, d’« avoir été choisi » pour le guider. Quand on s’étonne de l’état du lieu du culte et des conditions d’accès, il a la réponse apparemment sur-mesure : « On peut rendre gloire à notre Seigneur en tout endroit ; ce n’est pas le plus important. Mais avec sa bénédiction, les fidèles lui érigeront bientôt un temple digne de ce nom », indique-t-il, confiant. A-t-il eu besoin d’une autorisation particulière pour installer « sa maison de Dieu » ? « Non » répond-t-il. « l’appel de Dieu est la seule autorisation qui vaille » estime-t-il, énigmatique.
150.000 FCFA SUFFISENT
De fait, le Togo ne dispose d’aucune réglementation spécifique pour encadrer l’exercice du culte sur son territoire. Laissant donc un espace très libéral au nom du principe selon lequel « lorsqu’il n’y a pas de restrictions, la liberté reste absolue » dans lequel s’engouffrent aussi bien vrais pasteurs qu’aventuriers de tout acabit. La seule référence reste l’article 25 de la Constitution togolaise qui dispose que « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion, de culte, d’opinion et d’expression. L’exercice de ces droits et libertés se fait dans le respect des libertés d’autrui, de l’ordre public et des normes établies par la loi et les règlements. L’organisation et la pratique des croyances religieuses s’exercent librement dans le respect de la loi. Il en est de même des ordres philosophiques. L’exercice du culte et l’expression des croyances se font dans le respect de la laïcité de l’Etat. Les confessions religieuses ont le droit de s’organiser et d’exercer librement leurs activités dans le respect de la loi ».
En pratique, les religions sont placées au même titre que les associations sous la loi du 1er juillet 1901 relative à la liberté d’association. Ainsi, hormis les églises mondialement structurées et centralisées, celles privées ou les «Business Church » comme certains les appellent, s’enregistrent au ministère de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales sous le régime de déclaration et reçoivent leur récépissé. Les formalités sont des plus simples. Une demande de déclaration tamponnée d’un timbre fiscal de cinq cent francs (500F) CFA est adressée au ministre en charge du secteur. A cette demande sont ajoutés quatre (4) exemplaires des statuts et règlements, le procès verbal de l’assemblée générale constitutive et la liste des membres dirigeants.
Deux (2) photocopies du diplôme du pasteur, du plan de la situation géographique, du contrat de bail, d’achat, de vente ou donation du local et deux (2) enveloppes à timbre poste de 200 FCFA sont aussi déposés avant étude du dossier par les agents techniques de la Division des Cultes en Direction des Cultes ( DCDC). Créée en 2008 pour assainir le secteur, la DCDC a pour mission entre autres de faire le suivi du fonctionnement des églises, des ordres philosophiques et des couvents et de mettre en œuvre la réglementation relative à l’exercice des cultes. Elle est constituée de six (6) agents ayant à leur tête madame Mawoulé NEVIS.
Après un délai de deux semaines, les dossiers dont les résultats d’enquête révèlent une proximité avec un hôpital, une école, une successibilité de nuisance sonore ou d’insécurité du bâtiment ou encore une inadéquation entre le nombre de fidèles attendu et la superficie du temple, sont catégoriquement rejetés. Pour les cas ayant reçu un avis favorable, le dossier est transmis au ministère de la Sécurité pour enquête de moralité sur les premiers responsables. Au bout du processus, une somme de cent cinquante mille francs (150.000 F) CFA pour enregistrement et délivrance du récépissé est acquittée.
Selon nos informations, la Division des Cultes logée au ministère de l’Administration territoriale ne traite directement que les demandes provenant de la région maritime, vu la faiblesse de ses moyens. Celles des autres régions sont étudiées par les préfets et transmis à Lomé. D’après des chiffres officiels, seules 35% environ des églises installées sur le territoire togolais satisfont à cette démarche. Et parmi celles qui le font, « près de 95% le feraient obligés de s’y soumettre pour répondre aux exigences fixées par leurs partenaires financiers dans le cadre d’octroi de dons ou de prêts » nous a confié une source au ministère. Depuis 2005, près de cinq mille (5000) demandes d’officialisation d’église ou de groupe de prières ont été introduites dont plus de la moitié rejetée. Ce qui ne les empêche pas d’exercer en toute tranquillité et d’avoir pignon sur rue, surfant sur le fait que les contrôles post-installation sont quasi-inexistants.
Face à l’anarchie qui règne, l’actuel ministre de l’Administration territoriale, Gilbert BAWARA, a suspendu en 2013 tout processus conduisant à l’attribution de récépissé aux organisations religieuses.
Une longue histoire religieuse au Togo :
Aux côtés de l’animisme et du culte vaudou qui ont longtemps animé la vie spirituelle des populations togolaises jusqu’à l’arrivée du colonisateur, et l’islam très tôt importé, le christianisme s’est peu à peu implanté au Togo. Après les vaines tentatives de la communauté des frères Moraves venue de Saxe (en Allemagne) entre 1737 et 1770, c’est en 1843 que la première église chrétienne, celle des méthodistes, a été implantée à Aného.
Différentes stratégies furent mises en place pour faciliter cette implantation notamment le projet d’alphabétisation des Togolais par l’école des missionnaires. D’autres communautés religieuses les ont rejoints par la suite, avant le début de la colonisation allemande en 1884. Mais leur influence s’est limitée à la côte. C’est en août 1892 que l’église catholique fera son apparition avec l’arrivée des premiers missionnaires de la SVD (Société du Verbe Divin) dans la préfecture Apostolique « Togoland » que le Saint-Siège leur avait confiée comme champ de travail missionnaire. En 1913, les premiers missionnaires catholiques se sont installés officiellement à Alédjo. Sans pour autant franchir Bafilo, Sokodé et Tchamba, pour ne pas entrer en conflit avec les musulmans qui avaient déjà une certaine influence dans les villages de l’alentour plus grands et plus accessibles qu’Alédjo. Vingt trois années plus tard, en avril 1936, l’Eglise des Assemblées de Dieu du Togo s’ajoutera à la liste des églises.
Malgré l’indépendance, l’installation des églises ne sera pas chose aisée dans notre pays. Le vent de démocratisation va favoriser davantage d’ouverture à la liberté de religion. Ainsi, quelques églises mondialement organisées, entre autres le Christianisme Céleste, les Témoins de Jéhovah, les Pentecôtes, quelques ministères et ordres vont de plus en plus s’installer sur le territoire national. Pour la plupart formés à l’étranger, les œuvres d’évangélisation et les opérations miraculeuses des pasteurs privés ou autonomes, ont marqué le paysage chrétien togolais des années 1990 et début 2000. Eglise des Amis du Christ du Pasteur Mawouena DRAH, Eglise Yesu lé Agbé de William Tété et l’Eglise en Mission pour le Salut (EMS) de Samuel EKLOU ont été quelques uns des acteurs de l’époque.
Le renforcement des libertés publiques qui apparaît à partir de 2005 va booster le phénomène, avec l’émergence de plusieurs églises, ministères ou camps de prière. Des formations à court, moyen et long termes sont alors organisées sur place pour les « pasteurs, évangélistes, prophètes et diacres » qui n’ont pas les moyens d’aller hors de la sous-région pour se faire former. Aussi, les lieux d’adoration appartenant aux expatriés vont-ils voir s’installer la concurrence de nationaux, formés sur place ou au Ghana.
Que ce soit Praise Chapel, Winner Chapel, Topa Church et bien d’autres églises d’origine anglophone (ghanéenne, nigériane, libérienne, américaine) qui vont proliférer, elles draineront toutes énormément des fidèles, surtout dans la capitale Lomé. La plus implantée sur le territoire national reste l’église ZION-TO, du célèbre Luc ADJAHO, ancien professeur d’anglais et huissier de justice, devenu pasteur et dont les films diffusés sur sa chaîne de télévision, connaissent un succès fou.
Prolifération des églises chrétiennes : Un développement fulgurant à l’échelle continentale
Selon une enquête réalisée par le Club du Millénaire dont nous reproduisons la substance, la croissance de l’évangélisme d’Afrique occidentale serait parfois attribuée au soutien des États-Unis, attachés à promouvoir leur modèle religieux.
Néanmoins des travaux menés depuis une quinzaine d’années par des chercheurs européens et africains nuancent l’image d’une religion importée, extérieure au continent. L’implantation du pentecôtisme en Afrique s’est produite en deux temps : par le pentecôtisme « historique » puis par le néo-pentecôtisme. Les premières initiatives évangélistes en Afrique de l’Ouest remontent à 1914 dans les colonies anglaises, notamment au Liberia. Elles se sont poursuivies au Burkina-Faso en 1921, au Ghana et au Nigeria dans les années 1930. Les États-Unis ne sont pas étrangers à ce développement puisqu’il s’est produit par l’action d’une fédération de communautés pentecôtistes américaines, les Assemblées de Dieu, créées face à la montée en puissance du Réveil pentecôtiste. Très puissantes, elles ont envoyé un certain nombre de missions en Afrique, qui ont-elles-mêmes encouragé la création d’Eglises africaines autonomes. Celles-ci ont à leur tour évangélisé les pays voisins, toujours soutenues par l’assistance financière et matérielle des Assemblées de Dieu. Les moyens mis à disposition sont divers : on parle de plus en plus du « télévangélisme » qui utilise les médias pour prêcher la « bonne parole ».
De manière générale, les programmes télévisés, radios, livres, les conférences rassemblant des milliers de fidèles dans des lieux publics tels que des stades caractérisent l’évangélisme moderne. L’accession au pouvoir de Georges W. BUSH, lui-même membre d’une église évangélique, a encore accru le soutien de l’administration américaine aux mouvements pentecôtistes africains. On peut souligner à titre d’exemple l’impact de l’évangélisme dans la région du Darfour depuis le début des années 2000. L’administration BUSH y a fortement soutenu la minorité chrétienne du Sud-Soudan depuis 2001 : Colin POWELL, Condoleeza RICE ont rapidement parlé de « génocide » et imposé des sanctions économiques et diplomatiques au gouvernement soudanais (proposition d’une résolution à l’ONU définissant les évènements comme un génocide en 2004, sanctions économiques par le Sudan peace act en 2001, condamnation publique du gouvernement soudanais, enquêtes, etc.). L’organisation Samaritan Purse, association humanitaire évangélique très présente dans la région, est connue pour avoir des liens étroits avec la famille BUSH. Outre le soutien aux victimes de la situation intérieure, elle a pour mission l’évangélisation de la région.
L’influence anglo-saxonne ne suffit cependant pas à expliquer la montée de l’évangélisme. Le renouveau pentecôtiste peut s’observer dès les années 1970, d’abord dans les pays anglophones comme le Nigeria ou le Ghana, plus tardivement dans les pays francophones au cours des années 1990. Ce renouveau engendre l’apparition de nouveaux acteurs chrétiens transnationaux, et la multiplication d’initiatives locales. Récemment on observe d’ailleurs un début d’implantation du pentecôtisme dans des pays musulmans comme le Sénégal. Le pentecôtisme n’est pas non plus un phénomène massif. Il n’est en fait majoritaire nul part. Par ailleurs sa répartition est inégale, entre les pays comme au niveau interne.
Conséquence de l’absence d’autorité centrale et de la porosité avec d’autres croyances évangéliques, on dispose enfin de peu de chiffres précis sur le nombre d’Églises et de pratiquants. Le mouvement pentecôtiste est en concurrence avec le catholicisme, l’islam, d’autres sectes protestantes, mais aussi avec les cultes locaux et les syncrétismes entre cultes locaux et pratiques religieuses occidentales. C’est néanmoins la mouvance chrétienne qui connaît la plus forte croissance puisqu’on parle de 125 millions de pentecôtistes en Afrique Noire. Le Nigeria est le pays africain comportant le plus d’adeptes, derrière le Brésil, la Corée du Sud et les Etats-Unis. Il n’y a donc pas de mainmise extérieure possible : le développement du pentecôtisme pourrait dépendre moins des influences extérieures que d’un contexte socio-économique propice à ce développement.
EN QUÊTE DE……
Le succès de l’évangélisme est souvent attribués à la crise de la dette africaine, ayant marqué les années 1980. L’influence des conditions économiques en général est importante pour comprendre le succès du pentecôtisme en Afrique de l’Ouest. Au cours des années 1980 l’économie africaine s’est largement détériorée avec la « crise de la dette » comme le souligne l’exemple du Ghana. L’effondrement du prix du cacao dans les années 1960 a par ailleurs abouti à une famine générale dans les années 1980. Ces problèmes ont favorisé l’augmentation du nombre de fidèles évangélistes, à la recherche d’assistance face à l’échec des États. Nombre d’individus en détresse sociale ont sans doute trouvé des réponses dans les discours évangélistes, au détriment des gouvernements. Les églises évangélistes se veulent d’ailleurs des endroits où les plus marginaux ont leur place.
De par les ressources collectées par les pasteurs et les fidèles, certaines églises possèdent des infrastructures très développées : hôpitaux, centres sociaux, universités, garages, banques, stades pour accueillir les fidèles en masse etc. En parcourant les hôpitaux, les écoles et même les espaces publics pour prêcher la bonne parole et convertir les populations, les évangélistes entendent apparaître comme plus proches du « peuple » que les élites politiques. La doctrine évangélique s‘attache également à promouvoir une redéfinition des rapports sociaux en rupture avec la tradition, par la rupture avec la famille élargie et l’autonomisation de l’individu. Il s’agit ici de s’affranchir de son passé pour « aller de l’avant ». L’idée de renaissance suppose de couper les liens avec son ancienne vie, à commencer par le cercle familial.
La doctrine évangéliste représente enfin un véritable outil de réussite sociale. Le pentecôtisme accordant une importance particulière à la promesse de réussite et de richesse pour ses adeptes, nombre de jeunes Africains voient dans le métier de pasteur un moyen de faire fortune sans difficulté. Le ton est donné avec cette citation d’un pasteur américain milliardaire, Creflo DOLLAR, venu en Ouganda pour voir les adeptes : « C’est grâce à Dieu que je suis sorti de la pauvreté et possède désormais un avion privé. Pour réussir, il faut avant tout devenir évangéliste. (…) Vous devez aussi avoir confiance en Dieu (…), épargner, faire des projets d’avenir et écouter le Saint-Esprit ». Les églises pentecôtistes deviennent souvent de véritables entreprises, tirant profit de la situation de précarité ou de pauvreté de la population locale. Anouk BATARD, définit d’ailleurs le pentecôtisme comme un « affairisme décomplexé, lobbying politique sur fond de désespérance sociale » L’aspect entrepreneurial est renforcé d’autant par la multitude de produits dérivés vendu par les églises : tee-shirts à l’effigie du pasteur officiant et de Jésus, Cds, DVD des « shows », etc. Ces produits, tout comme les collectes de fonds ou les prières personnalisées sont exempts de taxes. Les profits sont donc immenses et si une part est employée pour les œuvres de charité, la grande majorité enrichit les responsables de la communauté. Les pasteurs deviennent des vedettes nationales dont le prestige est accru par les shows « à l’américaine » et les passages réguliers à la télévision. Réussite financière et évangélisme sont désormais assimilés pour une partie des populations africaines, qu’entretient la compétition entre pasteurs pour afficher les plus belles voitures, les villas les plus luxueuses. Un nombre croissant de personnes se déclarent logiquement « miraculées » ou « sauvées » par Dieu et, invoquant leurs visions divines, créent leur propre Eglise évangéliste.
AFRIQUE EN PREMIERE LIGNE :
L’Afrique participe aujourd’hui fortement à la production théologique du pentecôtisme, jusqu’à devenir un pourvoyeur d’influence plus qu’un simple récepteur. Le pentecôtisme africain prétend ainsi contribuer à la rechristianisation de l’Europe par l’implantation d’antennes en France, en Angleterre, aux États-Unis, au Japon, en Inde, voire en Ukraine pour la ghanéenne Church of Pentecost. Comptant sur sa puissance financière et le soutien d’une part importante de la population, l’évangélisme est progressivement devenu un lobby avec lequel compter, à l’échelle locale ou nationale.
Dans certaines régions l’assistance aux offices a pris un intérêt professionnel en termes de réseaux, et une lettre de recommandation signée d’un pasteur peut représenter une aide précieuse pour postuler à un emploi. Les évangélistes sont situés à des postes-clé dans les administrations de plusieurs pays de l’Afrique de l’ouest : un tiers des parlementaires ougandais se déclarent évangélistes. La première dame du pays Janet MUSEVENI soutient activement le mouvement, à l’instar de la femme du président sortant de la Côte d’Ivoire Simone GBAGBO, et a contribué à changer la politique de lutte contre le VIH, prônant l’abstinence sexuelle avant le mariage et condamnant l’usage du préservatif.