La tradition est connue de tous. Tous les ans, au mois de juillet, le peuple Kabyè du Togo se retrouve dans la Kozah, pour les traditionnelles luttes Evala. C’est une marque identitaire qui caractérise les Kabyè, mais qui est aussi sous-tendue par des principes et des exigences culturelles mystiques.
Beaucoup plus qu’un simple festival de luttes, les Evala sont avant tout, une fête initiatique qui repose fondamentalement sur des prescrits des ancêtres et assumés par les prêtes traditionnels connus en pays Kabyè sous le nom de Tchotcho.
Les luttes Evala obéissent surtout à un calendrier bien précis intrinsèquement lié à des rituels qui ne peuvent avoir lieu qu’au cours du mois de juillet.
Le peuple Kabyè étant à l’origine un peuple guerrier, il s’agit pour le kabyè, chaque année, en cette période, de procéder à l’initiation des jeunes à des valeurs de l’endurance, du courage physique, de la dextérité absolument indispensables pour faire face à l’ennemi.
Les Kabyés, faut-il le rappeler, ont toujours vécu dans un milieu hostile où courage, endurance et stoïcisme sont des vertus cardinales pour faire face à la vie et à l’adversité. Les Evala sont le symbole de cette culture, de cet esprit de combat où le jeune est appelé à se montrer vaillant et digne de sa communauté.
C’est pourquoi avant les luttes proprement dites dans les différentes arènes, les jeunes Evala sont préparés physiquement et psychologiquement.
Ils ont droit chacun à un chien, animal de chasse, mais aussi animal de de combat qui, pour le Kabyè, incarne la rage de l’attaque, la puissance de combat, l’intelligence et la ruse nécessaires pour tout combattant, mais aussi le sens de la protection de la famille et de la maison.
C’est donc à travers les luttes Evala que le Kabyè procède à l’insertion sociale des jeunes, teste leurs performances et leurs attribue les castes sociales.
Tout cela se fait dans une fourchette de temps bien donnée pour baliser la voie à d’autres pratiques rituelles telles les Akpéma, initiation des jeunes filles, qui ont lieu en août, mais aussi la consommation de certaines prémices des champs.
Ceux qui connaissent bien le caractère implacable des rituels initiatiques, savent mieux que quiconque, qu’aucun individu, si puissant soit-il ne saurait badiner avec leurs exigences sans courir le risque de provoquer le courroux des forces de la nature.
C’est malheureusement ce à quoi le peuple Kabyè risque de s’exposer cette année avec le report curieux de la date de cette initiation des jeunes.
Sans doute pour des raisons politiques, les Evala qui doivent impérativement se dérouler au cours du mois de juillet, sont, progressivement en train d’être repoussés vers le mois d’août, période assez critique qui bouleverse le calendrier traditionnel préétabli pour ces genres de cérémonies traditionnelles.
« C’est une vraie forfaiture et un sacrilège vis-à-vis des fétiches et les esprits protecteurs du peuple Kabyè, le pouvoir du jeune veut tout dépraver dans notre pays » s’est indigné un dignitaire du peuple Kabyè.
« Les Evala ne sont pas un simple festival dont on peut fixer la date au gré du vent ou selon le vouloir d’un individu, il s’agit d’une exigence ancestrale qui n’est soumise à aucune contrainte ni politique, ni autre chose » s’est encore plaint notre interlocuteur.
Et à lui de préciser que le chef de l’Etat n’est pas obligé d’être présent aux luttes Evala. « Si son calendrier l’en empêche, il n’est pas tenu d’être là, mais il ne doit, en aucune manière reporter cette initiation comme si la tradition était à bafouer » a-t-il encore précisé.
Il apparaît donc évident, que le peuple Kabyè est ainsi en train d’assister impuissant à la banalisation de ses valeurs traditionnelles, qui en principe, constituent le ciment sur lequel repose son mode de vie actuel.
Si on peut demander au peuple togolais de tolérer certains errements politiques du pouvoir actuel, il serait très difficile de faire le même pari pour les forces de la nature et les esprits protecteurs du peuple Kabyè. Les lois de la nature et les forces spirituelles, de coutume, pardonnent très peu quand on leur manque d’égards