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Togo, Et demain l’alternance : Ni chasse aux sorcières, ni destruction de biens pour un Togo nouveau
Publié le mardi 31 mars 2015  |  Liberté hebdo




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Togo - Lentement, mais sûrement, le peuple togolais se rapproche de son destin, aussi vrai que l’eau va à la rivière. Mais au-delà de l’alternance tant attendue et qui est en train de s’offrir enfin après des décennies de prédation des richesses du pays, se posera le problème de gestion de cette alternance.

Et s’il est vrai que beaucoup de familles ont subi les affres d’un système qui n’a que trop nui au développement et à l’essor des fils et filles du pays, il est encore plus vrai que les réalisations actuelles, quoi qu’on dise, sont les fruits des contributions de chaque citoyen, et de la clairvoyance à préserver les acquis actuels, à éviter la chasse aux sorcières et à surmonter les douleurs légitimes, dépendra le succès de cette alternance tant désirée. Et dans cette entreprise, tous les citoyens sont interpellés, peu importe leur appartenance.

« Sentinelle, que dis-tu de la nuit ? La nuit est longue, mais le jour vient », disait dans son message le premier président démocratiquement élu, Sylvanus Olympio le jour de l’accession du Togo à la souveraineté internationale. Depuis son assassinat, longtemps les Togolais ont couru après une seconde indépendance, celle qui les affranchira du joug des Gnassingbé. Après près de cinq décennies, une lueur semble poindre à l’horizon.

Si de tout temps des élections se sont déroulées au Togo sans que le fichier sur la base duquel le corps électoral est convoqué, n’ait jamais fait l’objet de « fouille minutieuse », la donne sera tout autre au prochain scrutin présidentiel. Avec la présence de la mission de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) qui consiste à expurger le fichier électoral des centaines de milliers de doublons et de personnes décédées, il n’est pas exagéré, à l’aune des résultats des dernières législatives de juillet 2013 et des chiffres des doublons estimés par Alberto Olympio du Parti des Togolais, couplés à de la clairvoyance à d’autres étapes du processus électoral, de prédire que la bérézina de l’Union pour la République (Unir) est déjà actée, à moins d’une catastrophe identique à celle de Fukushima. Mais, et l’après victoire ? Le Togo aura-t-il fait tout ce chemin pour ensuite retomber dans ses propres travers et ainsi donner raison à ceux qui prédiraient que l’opposition togolaise ne serait pas prête à gouverner ?

Si la volonté d’endiguer le cercle vicieux élection-contestation-répression-dialogue semble présente dans bien des esprits, celle de faire en sorte que la minorité qui, hier, « a accaparé les richesses du pays », ne soit pas livrée à la vindicte populaire, doit être au centre des préoccupations des acteurs de tous bords. Autrement, les Togolais auront « déshabillé Pierre pour habiller Paul » et un triptyque ou une autre trilogie risque d’être créé(e) : élection-chasse aux sorcières-dialogue.

Les revendications de la Synergie des travailleurs du Togo (STT) et l’impact de ses mouvements de grève ont montré et continuent d’exposer le degré de paupérisation des travailleurs de la fonction publique, sans considération d’appartenance politique. Depuis Cinkassé jusqu’aux abords de l’océan Atlantique, le pouvoir d’achat des travailleurs n’a de valeur que de nom, raison pour laquelle les 20.000 et 30.000 FCFA d’augmentation arrachés il y a quelque temps déjà, ont été accueillis avec soulagement. Mais quel visage présenterait le pays si au lendemain de la montée d’une autre classe politique au pinacle, une chasse aux sorcières venait à être lancée au sein des travailleurs pour des raisons politiques?

S’il est un homme qui a vraiment vécu en passant par les hauts et les bas de cette vie politiquement parlant, c’est sans doute Nelson Mandela dont la mort a créé beaucoup d’émoi dans le monde. Non pas pour les vingt-sept années passées à la prison de Robben Island, ni pour son accession à la magistrature suprême, mais assurément pour sa gestion du pouvoir et de ceux qui l’ont privé de liberté pendant toutes ces années. Bien que Mandela eût toutes les raisons d’en vouloir à ses maîtres d’hier et de se venger d’eux, l’homme, au lieu de penser à sa « petite personne », a plutôt mis au devant de toute autre considération sa nation, l’Afrique du Sud. Et reconnaissant des qualités à certains de ses adversaires, il leur a fait appel pour « faire avancer le pays ». Mieux, alors que son parcours politique et la Constitution l’autorisaient à briguer un second mandat qu’il remporterait haut les mains, Mandela y renonça. Toutes les qualités de ce chef d’Etat unique sont là ! A tous ceux qui demandaient à Mandela président ce qu’il connaissait de la souffrance de la majorité du peuple noir d’Afrique du Sud dont il ne semblait pas se préoccuper, il répondait : « 27 ans », rapportait l’Archevêque Desmond Tutu.

Les autorités togolaises ont décidé de l’installation de nouvelles infrastructures. Que les conditions d’attribution ne soient pas ce que prescrit la norme, est une chose ; mais que pour des considérations illogiques, on veuille porter atteinte à ces infrastructures, en est une autre. Il urge que tous les Togolais s’accordent pour reconnaître que ces infrastructures sont un bien commun, peu importe l’appartenance politique ; et à ce titre, leur préservation incombera à chacun. Car c’est la somme des taxes et impôts de chaque citoyen qui a permis ces réalisations et non l’argent personnel d’un quelconque clan ou d’un certain parti. Et en ces temps où une course à l’émergence semble se dérouler entre pays ayant été récemment admis à l’initiative des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) et pays ayant réussi à inverser la tendance de leur balance commerciale trop longtemps restée déficitaire, il ne sera de l’intérêt d’aucun Togolais que le peu d’acquis soit vendangé.

« Une minorité a accaparé les richesses du pays », reconnaissait l’actuel chef de l’Etat la veille du 27 avril 2013. Le nouvel ordre politique qui devra présider aux destinées du Togo devra-t-il faire table rase des crimes économiques, ou devra-t-il poursuivre les supposés responsables jusque dans leurs derniers retranchements ? Ni l’un, ni l’autre, pensons-nous. Car d’une part, il y aura des crimes économiques dont la traçabilité pourrait ne jamais connaître d’épilogue, tout comme d’autres dont il suffira d’ouvrir des dossiers ou de lever les yeux pour en retracer les circuits. A l’heure du changement et pour acter la vérité selon laquelle le temps où les Togolais croyaient que le pays était effectivement divisé entre le nord et le sud est révolu, il faudra avoir la force d’accepter de couper la poire en deux, histoire de ne pas trop léser certains, ni de trop contenter d’autres. Mais un tel sursaut ne sera possible que si l’actuel régime obtient des garanties d’une part, et accepte de jouer le jeu de la transparence tout au long du processus électoral d’autre part.

En effet, les signaux actuels en provenance des officines du régime ne prêtent pas à une assurance quant à la transparence, surtout avec le marathon dans lequel se sont lancés Faure Gnassingbé et deux femmes de son parti, Victoire Tomégah-Dogbé et Ingrid Ataféinam Awadé. Inaugurations par-ci, mutuelles par-là, lancements ailleurs, c’est à croire que ce trio a attendu le dernier virage vers l’élection pour donner l’impression que « Faure Gnassingbé en aurait tellement fait pour le Togo que sa réélection ne souffrirait d’aucun handicap ». Ce qui justifierait de possibles fraudes pour corroborer le plan. Mais justement, dans le cas où l’actuel chef d’Etat togolais n’aurait fait que donner de sa personne et de son énergie durant ses deux mandats, quoi de plus démocratique que d’organiser un scrutin qui souffrirait plutôt d’un excès de transparence, histoire de démontrer au monde entier qu’il n’aurait pas volé une fois de plus son hypothétique victoire ? Que ce soit le jour du scrutin, lors du dépouillement, de la signature des procès-verbaux, de la transmission des résultats et de leur compilation, pourquoi ne pas faire en sorte que toutes les parties prenantes soient d’accord avec le processus ? A ce prix seulement les électeurs n’auront plus l’impression que leurs voix n’ont pas été prises en compte. Mais malheureusement, les signaux en provenance de la Commission électorale nationale indépendante (Céni) ne rassurent guère, et il n’est pas trop tard pour mieux faire.

Pas de chasse aux sorcières certes, mais des vérités sur la gestion surtout économique des fonds du pays, il y en aura à n’en pas douter, quitte à exiger que des coupables investissent une partie dans l’économie du pays. Même la nation Arc-en-ciel a dû passer par là. Au Togo, l’exécutif a trop longtemps manqué de respect au législatif, à commencer par le chef de l’Etat qui ne s’est jamais présenté devant les députés pour faire l’état de la nation. Ses ministres n’ont fait que lui emboîter le pas. Il faudrait bien qu’à l’heure du bilan, ils soient interpellés sur leur gestion. Autrement les Togolais ne sauront jamais qui a fait quoi ou qui a géré quoi. La catharsis ne viendra qu’après.

Combien de citoyens ont-ils pris la peine de réfléchir au lendemain de la proclamation des résultats ? Ce n’est certainement pas à la 25ème heure, lorsqu’il sera déjà tard qu’il faudra courir sur les médias et tenter de raisonner des citoyens fougueux et vengeurs ; mais c’est dès à présent que chacun doit se sentir concerné par le changement à venir. Car il est inéluctable.

Source : [30/03/2015] Abbé Faria, Liberté N°1914

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