Après beaucoup d’hésitation, le collectif « Sauvons le Togo » s’est décidé à participer aux prochaines législatives. Est-ce un bon choix ? Kofi Yamgnane : Je ne crois pas que ce soit un bon choix. Parce qu’aucune des revendications que ce collectif défend depuis maintenant plus d’un an n’a été satisfaite. En plus, beaucoup de responsables du collectif sont toujours en prison. On a prétexté des incendies des marchés de Kara, puis de Lomé, pour les mettre en prison. Donc, beaucoup sont en prison. Et pourtant ceux qui sont restés au-dehors partent aux élections. Vous voyez bien que ce n’est pas une démonstration de solidarité qui puisse amener à la sérénité de l’ensemble des Togolais.
En échange de sa participation, l’opposition a tout de même obtenu quelques concessions, comme la libération, justement, de plusieurs opposants qui étaient inculpés dans l’affaire des marchés incendiés.
Il en reste beaucoup en prison ! Ça c’est la méthode du RPT (Rassemblement du peuple togolais), du parti au pouvoir ! La méthode du RPT c’est de se donner une voie. Sauf qu’en avançant, il lance comme ça, des fumerolles, des fumées, des leurres. Et l’opposition s’arrête aux leurres et laisse tomber le vrai chemin. Le vrai chemin c’est que Faure Gnassingbé, comme son père, veut rester au pouvoir quoi qu’il arrive. Et pour cela, il faut qu’il décapite une opposition qui est de plus en plus intelligente et de plus en plus généralisée. L’ensemble du peuple togolais n’en peut plus ! Donc, il faut absolument créer les rapports de force, de telle sorte que ce soit le pouvoir qui commence à réfléchir à son départ.
Pour l’opposition, ce n’était donc pas le moment de négocier ?
Ce n’était pas le moment de négocier, de partir aux élections. D’ailleurs, moi je les ai eus, les responsables, au téléphone quelques jours auparavant. Ils m’ont dit : « Non, non, non… On est sur la même ligne. On n’ira pas aux élections ». Puis trois jours après, ils partaient aux élections. Vous voyez qu’ils ne sont pas très clairs ! Mais soyons tout à fait honnêtes, ce n’est pas l’opposition qu’il faut accuser dans cette affaire-là, c’est le pouvoir.
Le principal problème au Togo c’est le découpage électoral. Le Nord est surreprésenté par rapport au Sud. Certains députés du Nord sont même élus avec huit fois moins d’électeurs que les députés de Lomé. Est-ce que cette forte disparité ne commence pas à être corrigée ?
Pas du tout, mais c’était sur ce sujet que les négociations avaient commencé. Et ça n’a pas abouti, puisque quand vous parlez de huit, il faut multiplier par dix. Il y a des députés dans le Nord qui sont élus avec 10 000 voix. Et quelques-uns à Lomé doivent être élus avec plus de 100 000 voix. On ne peut pas appeler ça une élection transparente et équitable.
De son vivant, le regretté Siradou Diallo, opposant guinéen, avait coutume de dire : « S’il faut boycotter une élection, mieux vaut choisir la présidentielle. Quand on boycotte des législatives on se prive de plusieurs dizaines de sièges de députés pendant plusieurs années et on est les premiers pénalisés ». Partagez-vous cette vision ?
Ce n’est pas faux. J’ai toujours dit qu’il fallait aller contester le pouvoir, non pas toujours dans la rue, mais aussi au Parlement. Mais vous avez vu ce pouvoir ? Quand même l’opposition a des députés, c’est le RPT qui les vire. Ils décident qu’il y en a neuf qui doivent partir. Comme ça, on ne sait pas pourquoi. Allez, on chasse neuf députés ! Non, mais vous avez déjà vu ça dans quel pays ? Il faut, parfois, savoir boycotter une élection pour amener le pouvoir à davantage de négociation, davantage de transparence.
Ne craignez-vous pas que vos camarades de l’opposition vous rétorquent : « C’est trop facile de donner des conseils depuis la France. Il faut venir sur le terrain » ?
Ils n’arrêtent pas de me le dire, mais je vais sur le terrain de temps en temps. Il ne faut pas non plus croire que c’est à partir du terrain qu’on sait tout. Moi je peux vous dire aujourd’hui que depuis la France, je vois au moins aussi bien qu’eux, ce qui se passe là-bas. Parce que, aujourd’hui les Togolais, qu’est-ce qu’ils ont ? Ils cherchent à manger, ils veulent survivre, ils sont le nez dans le « guidon ». Donc ils ne voient pas. Ceux qui sont à l’extérieur ont une vision plus importante et ont le droit de leur dire, pour qu’ils corrigent les attitudes sur place. D’ailleurs, je ne vais pas tarder à aller au Togo. Je n’ai pas peur du terrain. Je ne fais que ça. En Bretagne, je me suis présenté neuf fois, j’ai été élu sept fois. Je sais ce que c’est que le terrain.
Quand François Hollande, l'actuel président français, était dans l’opposition, vous étiez l’un de ses conseillers Afrique. Est-ce que vous l’êtes toujours ?
Je ne peux pas prendre un poste officiel en France et convoiter un autre poste au Togo. Je ne peux pas courir deux lièvres à la fois. C’est pour ça que je me tiens un peu plus à l’écart, puisque les élections sont finies et qu’au pouvoir on a des gens capables de mener la politique que nous avons définie ensemble pendant la campagne.
Etes-vous allé à l’Elysée depuis le 6 mai 2012 et avez-vous parlé du Togo avec le président ?
Oui, bien sûr. J’y suis allé. On parle Togo, on parle Afrique, on parle démocratie. Du reste, je suis en train de finir un livre sur la démocratie et l’Afrique. Je crois que l’Afrique est vraiment fâchée avec la démocratie. J’écris quelques textes. Peut-être cela va-t-il faire un bouquin d’ici la rentrée, si j’ai un peu de temps.
Voulez-vous dire que François Hollande continue de vous écouter sur les affaires togolaises ?
Absolument. Pour le Togo, mais pas que pour le Togo. Je fais des notes. Je ne suis pas un spécialiste de l’Afrique, mais je suis simplement un Africain. Je peux lui donner mon ressenti d’Africain qui lui permette de mettre les nuances qu’il faut, dans les conseils que lui donnent ses conseillers, de faire ou de ne pas faire ceci ou cela.