Togo - C’est la première fois que le Coordinateur du CST accorde un entretien à la presse après les élections législatives du 25 juillet 2013. Dans les lignes qui suivent, Me Zeus Ajavon a bien voulu donner son point de vue sur les rapports tumultueux entre le gouvernement et les enseignants et sur la situation qui prévaut au sein de son Collectif. Il parle des élections locales et invoque les actions à mener dans la perspective de 2015.
La rentrée scolaire a repris ce mercredi sur fond de malentendu entre les enseignants et les autorités. En tant qu’enseignant comment appréhendez-vous cela ?
Me Zeus Ajavon : Si la rentrée a été reportée, si les syndicats d’enseignants sont en grève c’est que les promesses qui ont été faites n’ont pas été tenues. Les enseignants sont les moins lotis. Ceux qui sont dans l’administration générale bénéficient des opportunités qui leur permettent d’arrondir les angles. Mais ceux qui sont dans l’enseignement tirent le diable par la queue et c’est en raison de la dureté de la vie d’enseignant qu’ils expriment des revendications.
L’enseignant ne peut donner ce qu’il vaut et ce dont il est capable quand il a le ventre creux. Dans la sous-région, les enseignants togolais sont des parents pauvres. Alors que dans tous les autres pays, les enseignants ont vu leur situation nettement améliorée. Il n’y a qu’au Togo où les enseignants sont dans cette situation de misère indescriptible.
Que faire donc ?
Me Zeus Ajavon : Le gouvernement doit prendre le taureau par les cornes. Je suis enseignant moi-même et ça fait longtemps que cette situation prévaut. C’est depuis le temps d’Eyadema et du parti unique. Il y a plus de 40 ans que ce problème se pose. Il faut un statut particulier pour accorder des avantages spécifiques aux enseignants par rapport aux autres fonctionnaires parce que ce n’est pas facile d’enseigner. Ce sont eux qui façonnent les dirigeants de demain. Il faut donc s’en occuper mieux que ce qui se fait en ce moment.
Le CST semble entrer en léthargie et l’on parle même de son implosion à la suite des remous en son sein après les élections législatives du 25 juillet dernier. En toute franchise qu’en est-il ?
Me Zeus Ajavon : Le lion dort, mais on croit qu’il est mort. Le CST n’est pas en léthargie. Après tous les évènements qui se sont passés, après tout ce que nous avons subi à la suite des dernières élections législatives nous avons estimé qu’il faut d’abord faire un bilan interne et que de façon courageuse nous voyions la réalité en face et quelles sont les réelles raisons qui ont conduit à cette situation.
Sans complaisance entre nous et avec les autres, pour ne pas faire du saupoudrage nous sommes obligés d’aller au front et c’est ce que nous sommes en train de faire. Nous estimons que pour l’instant ce n’est pas la peine de crier sur les antennes ce que nous allons faire. Il vaut mieux qu’avant de rebondir nous cernions d’abord le contour de la question.
Pensez-vous, au regard de la situation que la concurrence entre les partis membres du Collectif puisse être évitée ?
Me Zeus Ajavon : On ne peut pas éviter cette concurrence naturelle. Les partis politiques sont créés pour conquérir le pouvoir chacun à sa manière. Au CST vous avez des partis aussi dissemblables, mais qui ont décidé de se mettre ensemble. Vous avez des associations qui ont des points de vue divergents d’un extrême à l’autre et qui ont décidé de se mettre ensemble. C’est normal qu’il y ait des problèmes. C’est normal que pour mettre tout ça ensemble qu’il y ait des petits heurts. Pour harmoniser cela et qu’on se mette d’accord c’est très difficile et c’est normal. Il en est ainsi dans tous les pays.
L’on pense à tort ou à raison que l’opposition doit constituer un bloc unique pour vaincre le parti au pouvoir. Mais l’union entre les partis aussi dissemblables est aussi difficile à réaliser en amont et à gérer en aval. Comment faire pour que les différences soient positives au sein du CST ?
Me Zeus Ajavon : Nous avons affaire à des partis politiques. Pour les mettre ensemble dans tous les pays au monde, c’est compliqué. C’est plus facile de mettre ensemble les associations et c’est pour cela qu’en 2005 lorsque le président Eyadema est décédé et que Faure Gnassingbé a pris le pouvoir de la manière que vous avez, j’ai réussi à fédérer toute la société civile. En deux jours, nous avons réussi à mettre ensemble 150 associations et syndicats. C’est très facile de mettre ensemble les gens de la société civile parce qu’ils n’ont pas l’ambition de conquérir le pouvoir et de le gérer.
En ce qui concerne les partis politiques, chacun a sa vision selon son principe, son programme, son objectif, son idéologie. C’est donc difficile, mais je ne désespère pas. Je continue le travail de fond pour les mettre ensemble. Je rencontre d’autres partis en dehors du CST et je crois qu’à un moment donné la raison prendra le dessus et que les Togolais feront ce qu’il faut pour que le Togo change. On parle d’alternance, mais la question qui se pose n’est pas une question d’alternance, mais de changement.
Nous avons un bloc politique qui est en face. C’est une question de système. Eyadema est parti, vous avez vu que ça n’a rien changé. Au contraire la situation s’est empirée de façon pernicieuse. Si Faure n’est pas là demain, et si c’est toujours l’ancien système qui demeure, il n’y aura pas eu de changement. Moi je veux le changement. Il faut que tout le monde comprenne que ce pays doit changer nécessairement, radicalement et fondamentalement.
Lorsque tous les Togolais auront compris cela, tous ceux qui veulent que le pays évolue réellement et qu’on ne torture plus, tous ceux qui ne veulent pas qu’une minorité de Togolais s’accapare les biens de l’État, tous ceux qui ne veulent pas que des milliards de nos francs se retrouvent dans les maisons de certaines personnes auront gain de cause. Ce sera facile de mettre ensemble, et des partis politiques, des associations, et même de ceux qui sont du parti au pouvoir malgré eux et qui veulent néanmoins le changement. Le jour où il y aura un fond de changement, les gens de l’autre côté viendront se joindre à nous.
Mais quand on parle d’union de l’opposition, on sous-entend que tous les partis doivent retomber à zéro et repartir sur le même pied d’égalité. Est-ce possible ?
Me Zeus Ajavon : Si l’objectif est l’alternance, on pense qu’il s’agit de remplacement de certains par d’autres. Alors qui remplace qui ? Celui qu’on veut remplacer ne veut pas être remplacé et ceux qui veulent le remplacer sont nombreux et se battent entre eux. C’est ça le problème fondamental. Luttons donc pour le changement radical de notre pays et vous verrez qu’il y aura beaucoup de gens autour de cet objectif.
On a l’impression que l’entrée au parlement des partis au CST sonne le glas de la mobilisation populaire. Est-ce donc la fin de la lutte politique hors du parlement ?
Me Zeus Ajavon : Les députés des partis membres du CST qui sont à l’Assemblée se battent là-bas avec les armes qui sont les leurs. Nous devons voir comment nous remobiliser pour que le pays se relève de nouveau. Nous sommes en train de voir ce que nous allons faire et comment nous allons le faire.
: Au sujet du directoire de l’opposition, certains voudraient voir Me Ajavon comme chef de file des adversaires du régime en place. Votre réaction ?
Me Zeus Ajavon : À quel titre serai-je à la tête de l’opposition ? Je n’ai pas quitté les partis politiques pour entrer dans la société civile pour rentrer dans les polémiques politicienne. Je ne suis pas politique. Ce sont les politiques qui peuvent être chefs de l’opposition. Il n’y a pas de polémique en cela. D’ailleurs les textes sont clairs. C’est à l’issue des élections générales qu’on désigne le chef de l’opposition. Ce sont les partis membres du CST qui constituent la tendance majoritaire de l’opposition à l’Assemblée. Le chef de l’opposition ne peut sortir que de leur rang à moins qu’après des débats, des discussions, une décision se prenne pour désigner quelqu’un d’autre, mais jamais un membre de la société civile. ÇA ne peut être qu’un politique parce que les attributions du chef de l’opposition sont des attributions essentiellement et éminemment politiques.
La position qu’occupe Fabre lui attire la foudre des autres partis politiques qui sans doute considèrent que plus l’ANC a de l’envergure moins ils émergent. Que faire ?
Me Zeus Ajavon : Nous n’avons pas mené le combat pour reconnaitre le chef de file de l’opposition, mais pour mettre fin à un régime, pour mettre fin à une méthode de gouvernement. Mais nous ne sommes pas arrivés à cette fin-là. Néanmoins nous allons nous mobiliser pour que le chef naturel de l’opposition tel que désigné par la loi se mette dans la peau de rassembleur de toutes les énergies pour un changement véritable. Il faut que cette personne ait la capacité de pouvoir rassembler. Donc c’est quelqu’un qui doit avoir beaucoup d’humilité et l’esprit de concession et de discussion.
Me Zeus Ajavon : Mais le fait que des partis politiques de l’opposition mettent a priori en doute sa capacité à rassembler n’est-il pas de nature à compliquer ce projet de rassemblement ?
Me Zeus Ajavon : Vous avez parfaitement raison. C’est pour cela que nous Associations de la Société Civile et ODDH, faisons des réunions à part, mais nous avons des vues spécifiques qui nous rassemblent et nous discutons. Nous estimons du fait du handicap dont vous venez de parler que c’est nous au niveau de la société civile qui devons aider le chef de file de l’opposition à rassembler.
Me Zeus Ajavon : Apparemment vous semblez ne pas vous préoccuper des élections locales ?
Me Zeus Ajavon : Les élections locales sont extrêmement importantes pour nous. C’est même pour cela que le pouvoir en place n’organise pas ces élections qui consacrent la démocratie à la base. C’est là où le peuple s’exprime. Or le pouvoir en place veut tout chapeauter, le pouvoir en place veut tout régenter. Il veut mettre une chape de plomb du haut sur les populations alors que les élections locales permettent de faire une vague de fond de la base vers le haut. Ces élections sont d’une importance capitale. C’est pour cela que j’ai demandé que les partis membres du CST commencent déjà à mieux s’organiser pour que l’opposition puisse conquérir les préfectures et toutes les grandes municipalités et aller même aller au-delà de ses fiefs.
Que dites-vous du défi de 2015 ?
Me Zeus Ajavon : Rien ne prédestinait le président actuel à être au pouvoir. Il est venu au pouvoir sur un coup de baguette magique. C’est le décès de son père et les circonstances du moment qui ont fait qu’il est au pouvoir. Il jouit des délices du pouvoir et s’y accroche. Un pouvoir sans partage est enivrant. Il ne veut pas s’en débarrasser. Il va tenter de s’y accrocher de toute son énergie. Mais ceux qui veulent le changement s’ils sont conséquents avec eux-mêmes doivent savoir qu’il va y avoir un choc de titans. Il faut que ce soit clair que le changement ne sera pas donné sur un plateau d’or. Ça doit s’arracher il n’ya aucun pays où l’évolution politique et sociale se fait par un don sur un plateau. Le combat de 2015 sera rude il faut qu’on sache que ça va être terrible.