Lomé - Ils sont presque tous jeunes, parfois très diplômés, et gagnent mal leur vie: les innombrables moto-taxis de Lomé font partie de ces oubliés de la croissance économique au Togo, où la pauvreté persistante alimente les tensions sociales.
Si le Togo, sanctionné pendant des années par les bailleurs de fonds étrangers, affiche aujourd’hui une croissance économique annuelle de près de 6%, la pauvreté reste massive et le chômage touche la jeunesse de plein fouet.
Dans le centre de la capitale, ils sont une quinzaine à attendre le client à l’ombre d’un toit de tôle. La profession de moto-taxi -on dit aussi "zemidjan", ou "zem"-, ils la pratiquent parfois en complément d’un premier métier. L’un est tailleur, l’autre menuisier. Un jeune cordonnier recloue une semelle.
D’autres sont titulaires de diplômes universitaires, ou du baccalauréat, comme Gabriel, 31 ans, qui a rejoint la profession "parce qu’il n’y a pas de travail" ailleurs.
Les motos ne leur appartiennent pas. Et le propriétaire qu’ils remboursent petit à petit n’hésite pas à se servir grassement au passage. "Quand une moto coûte 300.000 francs (CFA, environ 460 euros), il nous la fait payer 600.000", grogne Gabriel.
La paye est maigre, disent-ils: l’équivalent de 7,50 euros par jour en moyenne, dont il faut déduire 6 euros, la moitié pour le propriétaire, l’autre pour le carburant. Parfois c’est encore moins, alors on puise dans la "tontine", une caisse de solidarité, pour ramener 1.000 francs (1,50 euro) à la famille le soir.
La plupart des "zems" ont la vingtaine, à l’image du pays: les trois quarts des Togolais ont moins de 35 ans, et la population double tous les 25 ans.
"La démographie est une tendance lourde qui va expliquer beaucoup de choses dans les années à venir", prédit le ministre de la Prospective, Kako Nubukpo.
"C’est une course de vitesse entre le rythme auquel notre société se modernise et sa capacité à inclure sa jeunesse. Il faut donner de l’espoir aux jeunes, sinon il y a des risques d’explosion sociale", met-il en garde.
- 29% de Chômage -
Le Togo affiche pourtant de bons chiffres macroéconomiques: le PIB a doublé en 10 ans et la dette publique n’atteint pas 50%.
Et on revient de loin: quand l’actuel président Faure Gnassingbé est arrivé au pouvoir en 2005, à la mort de son père, Gnassingbé Eyadéma, qui avait régné d’une main de fer pendant 38 ans, "le pays était exsangue après 14 ans de sanctions internationales", explique le ministre.
L’aide de l’Union européenne (UE) a notamment été suspendue en 1993 pour "déficit démocratique". Le PIB, l’espérance de vie et le taux de scolarisation avaient alors dégringolé, les entreprises étatiques étaient laissées à l’abandon. Et le pays n’a bénéficié d’aucun accompagnement lors de la dévaluation du franc CFA en 1994.
Le robinet s’est rouvert en 2007, l’UE estimant M. Gnassingbé "de bonne volonté", dans un pays ayant renoué avec la liberté de la presse et le multipartisme, et aboli la peine de mort.
"Comme dans beaucoup d’autres pays africains, l’annulation de la dette (en 2010) a été un soulagement" pour l’économie togolaise, et "a permis au gouvernement de réinvestir" dans plusieurs domaines, souligne Maurice Toupane, chercheur pour l’Institut de recherche en sécurité (ISS) à Dakar.
M. Gnassingbé mène depuis une politique volontariste de développement: assainissement des finances publiques, grands travaux d’infrastructures, école primaire gratuite. Autant de domaines mis en avant lors de sa campagne électorale, en vue de la présidentielle de samedi, où il briguera un troisième quinquennat.
Mais les beaux chiffres de l’économie formelle ont aussi leur part d’ombre: "6% de chômage selon le BIT (Bureau international du travail), ça ne veut rien dire. En réalité on est à 29%, dont une majorité de jeunes", précise M. Nubukpo.
Et la croissance, portée par le cours des matières premières, a essentiellement bénéficié aux plus riches, estime l’ONU.
Les deux tiers des Togolais vivent de l’agriculture de subsistance, et la pauvreté reste massive, plus de la moitié de la population vivant avec moins d’un dollar par jour.
"La jeunesse est étouffée par le chômage au Togo", estime M. Toupane. "De nombreux jeunes quittent le pays pour le Nigeria voisin. Et des titulaires de maîtrises universitaires se retrouvent à conduire des moto-taxis".
Depuis sa cahute poussiéreuse, Gabriel lui fait écho: "Tout le monde est moto-taxi. Il y en a des milliers, trop. Ca nous fait trop de soucis!".